Créé il y a 70 ans, Le Petit Prince s’anime en yiddish à Paris
Le saviez-vous ? Ce classique de la littérature pour enfants - et pas seulement, car le message qu’il délivre transcende les âges - record de vente dans le monde derrière la Bible, était destiné à un ami juif de l'auteur, victime du régime de Vichy

Le Troïm Teater de la Maison de la culture yiddish a récemment présenté une adaptation en yiddish, sur-titrée en français, de l’œuvre de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, dans une mise en scène d’Amos Oren. Le livre traduit en yiddish par Shlomo Lerman était, quant à lui, paru en 2004.
Présentée à l’Espace Rachi dans le cadre du Festival des cultures juives, cette adaptation a séduit le public, pour le message que l’œuvre véhicule, mais sans doute aussi pour le symbole.
Car, on le sait peu, mais ce conte est un hommage rendu aux victimes de la barbarie nazie, symptôme contemporain de l’échec des civilisations. En effet, lorsque paraît Le Petit Prince écrit par Antoine de Saint-Exupéry il y a soixante-dix ans, il est dédié à son ami Léon Werth.
L’édition de l’époque parue chez Gallimard contient alors cette dédicace : « À Léon Werth. Je demande pardon aux enfants d’avoir dédié ce livre à une grande personne. J’ai une excuse sérieuse : cette grande personne est le meilleur ami que j’ai au monde. J’ai une autre excuse : cette grande personne peut tout comprendre, même les livres pour enfants. J’ai une troisième excuse : cette grande personne habite la France où elle a faim et froid. Elle a besoin d’être consolée. Si toutes ces excuses ne suffisent pas, je veux bien dédier ce livre à l’enfant qu’a été autrefois cette grande personne. Toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants. (Mais peu d’entre elles s’en souviennent.) Je corrige donc ma dédicace : À Léon Werth quand il était petit garçon ».

Au-delà de l’amitié que se portaient les deux hommes depuis le début des années 1930, cette mention concrétise un des messages que souhaite faire passer l’auteur. Car, dès 1940 et la promulgation des premières mesures antisémites du gouvernement de Vichy, l’origine juive de Léon Werth l’oblige à vivre dans la clandestinité.
Réfugié dans le Jura, à Saint-Amour, fin 1939, sa triste condition, qui fut le lot de tous les Juifs durant ces années sombres, émut Antoine de Saint-Exupéry qui portait un regard plein de désillusion sur le monde des adultes.
Durant toute la guerre, l’auteur de Terre des hommes craindra pour la vie de son ami. Il écrira Le Petit Prince pendant l’Occupation en réponse à ses souffrances. Ironie de l’Histoire : Werth survécut, pas Saint-Exupéry.
Lorsque l’on sait qu’il est dédié à cet ami romancier et journaliste né dans une famille juive vosgienne qui souffrira des affres de l’Occupation comme ses coreligionnaires, il prend une toute autre envergure. Et son adaptation en yiddish pour une pièce de théâtre aujourd’hui résonne avec un écho particulier.
Que raconte cette œuvre ? Le narrateur, un aviateur, tombe avec son avion en plein désert du Sahara. Pendant qu’il s’efforce de réparer son appareil, apparaît un petit garçon qui lui demande de lui dessiner un mouton. L’auteur apprend aussi que ce
« petit prince » vient de l’astéroïde B 612 où il a laissé trois volcans et une rose.
Avant d’arriver sur la Terre, il a visité d’autres planètes et rencontré des gens bizarres : un roi, un vaniteux, un buveur, un allumeur de réverbères, un géographe… Sur la Terre, il a pu parler avec un renard qui lui a appris que pour connaître il faut « apprivoiser », et que cela rend les choses et les hommes uniques.
« L’essentiel est invisible pour les yeux », dit-il. Pour retrouver sa rose, le « petit prince » repart chez lui en se faisant mordre par un serpent venimeux : c’est trop loin, il ne peut pas emporter son « écorce ».
L’aviateur, qui a fini ses réparations, quitte lui aussi le désert. Il espère toujours le retour du petit prince et nous prie de le prévenir si jamais nous le rencontrons.

Les personnages de l’aviateur, la rose, le roi, le businessman, la fleur du désert ou le géographe transcendent leur rôle pour renvoyer à chacun d’entre nous et délivrer un message universel de concorde et de justice.
Cet extrait est passé à la postérité : « J’ai ainsi vécu seul, sans personne avec qui parler véritablement, jusqu’à une panne dans le désert du Sahara, il y a six ans. Quelque chose s’était cassé dans mon moteur. Et comme je n’avais avec moi ni mécanicien, ni passagers, je me préparais à essayer de réussir, tout seul, une réparation difficile. C’était pour moi une question de vie ou de mort. J’avais à peine de l’eau à boire pour huit jours. Le premier soir je me suis donc endormi sur le sable à mille milles de toute terre habitée. J’étais bien plus isolé qu’un naufragé sur un radeau au milieu de l’Océan. Alors vous imaginez ma surprise, au lever du jour, quand une drôle de petite voix m’a réveillé. Elle disait — S’il-vous-plaît… dessine-moi un mouton ! – Dessine-moi un mouton… »
Ce conte allégorique aux clefs de significations multiples fait partie des classiques que l’on fait découvrir dès le plus jeune âge aux enfants en raison des messages universels qu’il véhicule : la tolérance, le refus de l’injustice, l’acceptation de l’autre, la beauté du monde et la capacité de s’émerveiller.
Des valeurs qui rappellent la pensée philosophique ou la sagesse talmudique qui ont été transmises à des générations d’enfants grâce à ce petit livre. Nos parents l’ont lu, nous l’avons lu et nos enfants le lisent à leur tour : il est une boussole rassurante dans l’apprentissage aux valeurs de l’humain par référence aux allégories contenues dans le conte.
Cette œuvre intemporelle est septuagénaire : un anniversaire qui a été fêté en grande pompe lors d’un hommage national organisé sous la coupole du Panthéon, à Paris. Alors ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian prononça un discours retraçant la vie héroïque de l’aviateur, un « humaniste militant » et un « écrivain d’action ».
Puis l’ancienne ministre de la Culture, Audrey Azoulay, rappela l’impératif de réunir au Panthéon Antoine de Saint-Exupéry avec les auteurs qu’il admirait. La cérémonie s’est conclue par un dépôt de gerbe devant le pilier qui contient cette mention gravée : « A la mémoire de Antoine de Saint-Exupéry, poète, romancier, aviateur, disparu au cours d’une mission de reconnaissance aérienne le 31 juillet 1944 ».

Il faut savoir que ce récit moral est le plus traduit au monde avec 288 traductions recensées, dont une en hébreu. Joann Sfar, par ailleurs, en a fait une bande dessinée qui a été vendue à 500 000 exemplaires et traduite en 24 langues.
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