Daniel Barenboim, maestro et citoyen engagé
Israélien, Argentin, Espagnol et détenteur depuis 2008 d'un passeport palestinien, Barenboim utilisera sa notoriété pour servir ses convictions
Phénomène de la musique depuis sa tendre enfance, Daniel Barenboim, qui a démissionné vendredi de l’Opéra de Berlin après l’avoir dirigé pendant 30 ans, est un pianiste prodige et un chef d’orchestre boulimique, mais aussi un militant de la paix entre Israéliens et Palestiniens.
Un des plus grands virtuoses du XXe siècle, l’Israélo-Argentin de 80 ans a mené cette double carrière exceptionnelle, enchaînant concerts et enregistrements, jusqu’à ce qu’il ralentisse le rythme en raison de soucis de santé en 2022. En octobre dernier, il annonçait être atteint d’une « maladie neurologique grave ».
« J’ai joué mon premier concert en 1950. Le croyez-vous ? » confiait-il à l’AFP en 2021, ému que le public soit resté au rendez-vous.
Il est né à Buenos Aires en 1942 de parents juifs non pratiquants et professeurs de piano. « Jouer du piano était aussi naturel que marcher, s’asseoir, boire et manger », a-t-il raconté à France Musique.
Il apprend à jouer dès 5 ans et donne son premier concert à 7 ans.
Ses parents s’installent en Israël en 1952. « Mon père pensait que c’était essentiel que je puisse vivre comme faisant partie d’une majorité et pas d’une minorité juive ».
Le jeune Daniel voyage beaucoup, prend des cours de piano et de direction d’orchestre à Salzbourg avec de grands maîtres et donne des concerts à Vienne et Rome. « A 11 ans, Daniel Barenboim est déjà un phénomène », écrit alors le grand chef allemand Wilhelm Furtwängler.
A Paris, où la famille débarque en 1954, Nadia Boulanger, légendaire pianiste et pédagogue, lui donne des leçons gratuites « car elle savait que nous avions des problèmes économiques ».
A 25 ans, il est choisi par le label de musique EMI pour enregistrer les cinq concertos pour piano de Beethoven avec le chef allemand Otto Klemperer, connu pour son mauvais caractère.
Son enregistrement dans les années 60 de l’intégrale des concertos pour piano de Mozart fera date, à la tête du English Chamber Orchestra dont il a pris la direction en 1965.
En 1966, il rencontre la violoncelliste britannique Jacqueline du Pré, qu’il épouse en 1967.
Le couple forme un des plus beaux duos musicaux du siècle. En 1987 survient le grand drame de la vie de Barenboim : Jacqueline meurt à 42 ans des suites d’une sclérose en plaques.
Il s’installe à Paris avec la pianiste Elena Bashkirova, qui deviendra sa seconde épouse et avec qui il a deux fils : David Arthur Barenboim et le violoniste Michael Barenboim.
Il enchaîne les enregistrements, dévore les répertoires. « Un musicien ‘n’arrive’ jamais, la routine est son plus grand ennemi », avait dit à l’AFP celui qui a souvent dirigé les orchestres de son piano de soliste.
Il dirige pendant 14 ans l’Orchestre de Paris (1975-1989). Nommé directeur artistique et musical du nouvel Opéra Bastille, il est limogé par Pierre Bergé six mois avant l’ouverture.
Le chef débute une carrière américaine à la tête du Chicago Symphony Orchestra (1991-2006), parallèlement à la direction du prestigieux Staatsoper de Berlin. Il deviendra « chef à vie » de son orchestre, la Staatskapelle.
Ayant acquis un statut de maestro tout-puissant, Daniel Barenboim a été visé en 2019 par des accusations d’autoritarisme de la part d’anciens collaborateurs du Staatsoper. Il a reconnu auprès de l’AFP que « la manière dont on traite avec les gens a changé à travers le monde ».
Arrivé à l’opéra à 30 ans, ce qui est « tard » pour lui, il va devenir un fidèle de Bayreuth.
En 2001, il dirige un concert de Wagner à Jérusalem, provoquant une énorme polémique. « Qui a vu sa famille partir dans les camps ne peut pas écouter Wagner, il faut respecter ça. Mais il n’y a aucune raison d’empêcher les gens qui ne souffrent pas de cette association d’écouter cette musique », estimera-t-il.
Partisan de la paix entre Palestiniens et Israéliens, il fonde en 1999, avec l’intellectuel palestinino-américain Edward Saïd, le West-Eastern Divan Orchestra, qui réunit des musiciens israéliens et arabes. Nommé « messager de la paix » de l’ONU en 2007, il dirige un concert historique à Gaza en 2011.