Daniel Kahneman, plus préoccupé que pendant la guerre de Yom Kippour
Le lauréat du Prix Nobel a dit être plus inquiet pour l'avenir d'Israël aujourd'hui qu'il ne l'avait été pendant la guerre de Yom Kippour, en 1973 : "C'est presque la fin du monde"
Le professeur Daniel Kahneman, lauréat du Prix Nobel, a déclaré au cours d’un entretien, dimanche, qu’il était profondément inquiet pour l’avenir du pays – plus préoccupé qu’il ne l’avait été pendant la guerre de Yom Kippour, en 1973.
« De mon point de vue, c’est presque la fin du monde », a-t-il confié lors d’un entretien avec la Douzième chaîne. « C’est la fin du pays tel que je le connais ».
Kahneman, 88 ans, a dit qu’il a réfléchi, ces derniers temps, « à l’inquiétude que j’avais éprouvée pendant la guerre de 1973, en me demandant si j’avais été plus inquiet à ce moment-là… Et la réponse est que mon inquiétude est plus forte aujourd’hui. Je m’inquiète pour l’essence même de l’État ».
En 1973, Israël avait été pris par surprise par des attaques qui avaient été lancées sur de multiples fronts par les armées arabes pendant Yom Kippour, entraînant un nombre significatif de victimes et infligeant un choc psychologique majeur au pays.
Mais aujourd’hui, a souligné Kahneman – qui vit actuellement à New York City – devant les caméras, le plan du gouvernement visant à réformer radicalement le système de la justice en Israël fera de l’État juif « un pays différent de celui où j’ai grandi et certainement pas le pays où je souhaite que mes petits-enfants vivent ».
Cet éminent économiste et psychologue avait remporté le Prix Nobel en sciences économiques en 2002.
Kahneman a estimé qu’au moment « où l’exécutif prendra le pas sur le système judiciaire… Ce sera la fin de la démocratie. Il n’y a aucun doute à ce sujet. » Une telle initiative, a-t-il continué, fera d’Israël une nouvelle Hongrie, une nouvelle Pologne ou une nouvelle Turquie – des dictatures portant le déguisement de la démocratie ».
Le lauréat du Prix Nobel a affirmé à la Douzième chaîne qu’ôter ses pouvoirs au système judiciaire n’était que le début d’une pente glissante qui portera d’abord atteinte aux journalistes puis « aux libertés individuelles. C’est la direction que nous sommes en train d’emprunter ».
Il a rejeté l’idée d’une refonte judiciaire qui ne serait finalement que relativement mineure : « Ce n’est pas un petit changement, c’est une révolution immense. C’est une révolution qui change la nature du pays en le faisant passer d’une démocratie qui fonctionne à un pays qui n’est plus une démocratie, qui ne fait que prétendre en être une ».
Sur le front économique, Kahneman a fait remarquer qu’un système judiciaire indépendant était nécessaire « pour prévenir la corruption et pour permettre à l’économie de se développer. Les économies modernes et démocratiques dépendent du système judiciaire ». Les changements envisagés « rendront l’État d’Israël moins attractif » aux yeux du monde et aux yeux des investisseurs, a-t-il prédit.
Le plan de réformes radicales du système de la justice transforme également Israël « d’un pays dont on pouvait être fier » en « pays dont il sera un peu difficile de dire qu’on entretient un lien avec ».
Les propos tenus par le professeur devant les caméras de la Douzième chaîne font écho à un entretien accordé à The Marker qui avait été publié, la semaine dernière. Kahneman avait alors confié au journal financier que la refonte judiciaire signifiait « la fin de la démocratie ».
Kahneman a été l’un des signataires d’une « lettre d’urgence » – qui avait été signée par cent personnes – qui a été diffusée la semaine dernière et qui soulignait les graves implications que pouvait avoir la réforme du système de la justice en Israël.
« Je demande à tout le monde s’il y a des raisons de garder espoir mais je n’ai rien entendu de prometteur… J’espère vivement que le pire n’arrivera pas », avait dit Kahneman dans l’interview.
L’économiste avait ajouté, la semaine dernière, qu’il pensait que les initiatives de réforme entreprises par le gouvernement nuiront également au positionnement d’Israël dans le monde académique.
« Il y a déjà de nombreux universitaires qui ne participent pas à des conférences en Israël, mais ils représentent une minorité. L’impact est à suivre – Israël sera un pays mis au ban, comme l’Afrique du sud à l’époque et comme la Turquie où il est difficile aujourd’hui d’organiser des sommets scientifiques », avait-il indiqué.
Le projet de refonte du ministre de la Justice Yariv Levin, qui est soutenu par Netanyahu, prévoit de restreindre de manière importante la capacité de la Haute-cour à invalider des lois et des décisions gouvernementales avec l’adoption d’une clause dite « dérogatoire » qui permettrait au Parlement de surseoir aux décisions de la Cour suprême avec un vote à la majorité simple de 61 députés. Ces propositions prévoient aussi de donner au gouvernement le contrôle total de la sélection des juges ; de faire disparaître la notion juridique du « caractère raisonnable » du code pénal israélien, une notion sur laquelle s’appuient les magistrats pour juger une législation ou une décision prise par la coalition et elles prévoient également que les ministres seront autorisés à nommer leurs propres conseillers juridiques au lieu de devoir faire appel à ceux qui opèrent sous les auspices du ministère de la Justice.