Daniel Kahneman, lauréat du Prix Nobel, redoute la refonte judiciaire en Israël
Selon l'économiste, ces réformes marquent "la fin de la démocratie" : "Ce n'est pas l'Israël dans lequel je souhaite que mes petits-enfants grandissent"
Le professeur Daniel Kahneman, lauréat du Prix Nobel, déclare dans un entretien publié mercredi dans The Marker que le plan de refonte judiciaire avancé par le nouveau gouvernement de la ligne dure du Premier ministre Benjamin Netanyahu marque « la fin de la démocratie israélienne », ajoutant qu’il transformera radicalement le pays.
« J’ai le sentiment d’être dans un pays qui m’est étranger. Je suis totalement sous le choc. Pour moi, la fin de la démocratie, ce n’est pas rien. C’est la fin d’un rêve », explique-t-il dans l’interview.
« Je veux croire qu’il y a encore de l’espoir mais… ce n’est plus l’Israël que je connais, ce n’est pas le pays dans lequel j’ai grandi. Ce n’est pas l’Israël où je souhaite que mes enfants et mes petits-enfants grandissent », ajoute-t-il.
Le psychologue et économiste israélien qui, en 2002, avait remporté le Prix Nobel en Sciences économiques, a été l’un des signataires – il y en a eu plusieurs centaines – d’une « lettre d’urgence » qui a été publiée mercredi, avertissant que la refonte judiciaire, une enveloppe de réformes à la portée considérable, pourrait avoir de graves implications pour l’économie.
« Je demande à tout le monde s’il y a des raisons de garder espoir mais je n’ai rien entendu de prometteur… J’espère vivement que le pire n’arrivera pas », poursuit Kahneman dans l’interview.
Cet expert en prise de décision estime que les manifestations citoyennes massives contre le gouvernement sont susceptibles d’avoir un impact, ainsi que les pressions internationales.
« Les pressions publiques entraînent parfois des résultats et de la durabilité. Mais les pressions publiques au sein d’Israël ne seront pas toutes seules – les pressions à l’international vont aussi se renforcer. Certains s’en fichent au sein du gouvernement, mais l’État d’Israël est en train de se mettre au ban, de son propre fait, du monde auquel il appartient. Et ce n’est pas rien », note-t-il.
« Concernant les manifestations – je suppose qu’elles ne vont pas s’apaiser. Le danger est tellement grand que les Israéliens ne vont pas garder le silence », dit-il.
Kahneman avertit qu’il pense que les réformes du système judiciaire feront du pays « une dictature portant le déguisement de la démocratie », faisant remarquer que les médias américains donnent d’ores et déjà l’impression que l’État juif est en train de rejoindre le clan de la Hongrie et de la Turquie, deux nations qui ne sont plus considérées comme démocratiques depuis longtemps.
« Une majorité simple sera capable de se perpétuer éternellement si, par exemple, elle décide que les partis arabes ne pourront plus se présenter », déclare-t-il, se référant à des informations qui ont laissé entendre, mardi, que les députés de la coalition étaient en train de préparer une proposition qui changerait les critères permettant d’interdire à des candidats de se présenter à la Knesset, ce qui rendrait plus facile l’exclusion des formations à majorité arabe et de leurs députés. Les Arabes israéliens représentent environ 20 % de la population.
Le psychologue et économiste ajoute qu’il pense que les initiatives de réformes entreprises par le gouvernement nuiront également au positionnement d’Israël dans le monde académique.
« Il y a déjà de nombreux universitaires qui ne participent pas à des conférences en Israël, mais ils représentent une minorité. L’impact est à suivre – Israël sera un pays mis au ban, comme l’Afrique du sud à l’époque et comme la Turquie où il est difficile aujourd’hui d’organiser des sommets scientifiques », indique-t-il.
Le courrier qui a été publié mercredi et signé par Kahneman avertit que les réformes du système de la justice pourraient « paralyser » l’économie.
Parmi les signataires, des personnalités éminentes de droite et de gauche : le professeur Eugene Kandel, ancien conseiller économique de Netanyahu et ancien président du Conseil national économique ; le professeur Omer Moav, ancien conseiller au ministère des Finances ; le professeur Avi Ben Bassat, ancien directeur du ministère des Finances et le professeur Manuel Trajtenberg, qui a occupé une série de postes déterminants au sein du gouvernement.