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Dans un documentaire, des descendants du chef d’Auschwitz rencontrent des survivants

Dans "The Commandant's Shadow", Daniela Volker se penche sur la question de l'acceptation du passé du point de vue des victimes de la Shoah et de celui de la famille de Rudolf Höss

De gauche à droite : Anita Lasker-Wallfisch, Maya Lasker-Wallfisch, Kai Hoss et Hans Jurgen Hoss, dans l'appartement d'Anita dans le documentaire « The Commandant's Shadow ». (Crédit : Warner Bros. Presents)
De gauche à droite : Anita Lasker-Wallfisch, Maya Lasker-Wallfisch, Kai Hoss et Hans Jurgen Hoss, dans l'appartement d'Anita dans le documentaire « The Commandant's Shadow ». (Crédit : Warner Bros. Presents)

Quel est le scénario le plus inconcevable ? Le fils âgé de Rudolf Höss, commandant nazi d’Auschwitz, se promenant dans l’ancien camp de la mort avec la fille d’une survivante de la Shoah, ou prendre un café avec la survivante elle-même dans sa propre maison ?

Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, ces deux rencontres ont bel et bien eu lieu et sont relatées dans le nouveau documentaire intitulé
« The Commandant’s Shadow » (« L’ombre du commandant »).

Réalisé, écrit et produit par la cinéaste aguerrie Daniela Volker et distribué par Warner Bros. Pictures, le film est sorti dans les salles américaines le 29 mai. Volker a déclaré que le film sortait à un moment opportun, car l’antisémitisme est monté en flèche depuis l’assaut barbare et sadique du groupe terroriste palestinien du Hamas sur le sud d’Israël le 7 octobre et la guerre qui s’en est suivie à Gaza.

« Vous regardez l’état du monde – il ne laisse que peu d’espoir », a déclaré Volker au Times of Israel via Zoom, notant que le tournage avait été achevé avant le 7 octobre.

Le film suit les récits de deux familles dont les vies sont tragiquement liées – la famille Höss d’Allemagne, aux prises avec l’héritage de leur patriarche à Auschwitz, et la famille Lasker-Wallfisch du Royaume-Uni, dont la matriarche a survécu au camp tristement célèbre où plus de 1,1 million de personnes sont mortes, dont 1 million de Juifs.

« Il n’y a pas de survivant ou de victime sans coupable », a souligné Volker. « Il faut prendre en compte les deux [parties] pour raconter toute l’histoire. »

De gauche à droite : Maya Lasker-Wallfisch, la réalisatrice Daniela Volker et Kai Höss assistant à la première new-yorkaise de « The Commandant’s Shadow », le 22 mai 2024. (Crédit : Marion Curtis/Starpix pour Warner Bros)

Fille d’un père allemand et d’une mère argentine, Volker a grandi en Argentine, en Colombie et en Allemagne, avant d’entamer une carrière de réalisatrice à Londres, où elle se trouve encore aujourd’hui. Avec un CV qui comprend la BBC, Netflix, CNN et PBS, son travail précédent porte un regard sur le génocide rwandais survenu il y a 30 ans – toujours du point de vue des bourreaux et des victimes.

« Je ne sais pas si c’est rare », a-t-elle déclaré à propos de cette approche.
« Je pense que c’est important. C’est tellement important pour moi […] un tableau plus complet ».

Deux membres de chaque famille font l’objet d’un portrait dans « The Commandant’s Shadow » – le fils de Höss, Hans Jürgen Höss, et le fils de Hans, Kai Höss, ainsi que la survivante de la Shoah Anita Lasker-Wallfisch et sa fille Maya Lasker-Wallfisch.

La première à avoir attiré l’attention de Volker est Maya, une psychothérapeute qui a contacté la cinéaste en lui proposant de parler des traumatismes transgénérationnels liés à la Shoah. Volker s’est également intéressée à la diversité du parcours de Kai. Il a vécu à l’étranger, notamment en Indonésie, où il a rencontré sa future épouse. Aujourd’hui, ils se sont établis en Allemagne, où il est pasteur chrétien dans une église de langue anglaise qui compte un nombre important de militaires américains parmi ses fidèles.

Tout au long du tournage, Volker s’est concentrée sur un cinquième sujet : Rudolf Höss lui-même.

Le pire meurtrier de l’Histoire ?

Le film présente Höss comme le pire meurtrier de masse de l’Histoire, qui a dirigé le camp d’extermination le plus meurtrier de tous les temps. Le récit de Höss est accessible au grand public grâce à son autobiographie, qu’il a rédigée alors qu’il était jugé pour crimes de guerre en Pologne – crimes pour lesquels il a été exécuté par pendaison.

« C’est un peu comme une histoire vraie dans laquelle le criminel a rédigé sa confession sur son lit de mort », a expliqué Volker.

Rudolf Höss, le commandant d’Auschwitz. (Crédit : Domaine public)

En tant que commandant, lui et son épouse, Hedwig Höss, ont élevé leurs enfants dans une villa à Auschwitz. Il leur aurait caché l’existence des fours crématoires. Cette histoire de famille a déjà fait l’objet d’un examen approfondi, tout d’abord dans un roman de Martin Amis, qui a été adapté l’année dernière dans le film « La zone d’intérêt« , récompensé par un Oscar.

Volker note qu’il existe des différences entre « La zone d’intérêt » et son film. Le premier couvre une période d’un an et demi entre 1943 et 1944, tandis que le second s’étend sur une période plus longue, incluant le service de Höss pendant la Première Guerre mondiale en Palestine ottomane ; son fils et son petit-fils sont filmés sur les traces de Höss dans le désert de Judée.

« Nous avons une vue d’ensemble, ce qui peut intéresser les personnes qui ne connaissent pas Höss », a-t-elle déclaré.

Le film aborde des questions morales difficiles. Quelle part de responsabilité, s’il y en a une, les descendants des monstres doivent-ils assumer pour les péchés du passé – péchés qui ont sans doute été commis à leur insu ? Quelle est la part de responsabilité de la génération suivante dans l’examen des crimes commis il y a longtemps par ou contre des membres de la famille ?

Hans Jürgen Höss, fils du célèbre commandant d’Auschwitz Rudolf Höss, dans le désert de Judée, sur cette photo tirée de « The Commandant’s Shadow ». (Crédit : Warner Bros. Presents)

Ces questions n’ont pas de réponses faciles, ce qui se reflète dans les trajectoires divergentes des deux familles, et même au sein de chacune d’entre elles.

Selon Volker, Hans Jürgen a d’abord considéré son père comme le chef du camp qui déléguait ses ordres aux autres. Peu à peu, il a accepté les faits historiques, comme en témoignent sa visite à Auschwitz et sa rencontre avec Anita. Malgré cela, il n’arrive pas à condamner complètement son père. Kai, en revanche, semble plus enclin à accepter que son grand-père était un meurtrier de masse et à le dénoncer pour cela.

« Kai a grandi dans une famille où l’on ne parlait pas vraiment du passé », a précisé Volker.

« À l’école, il a appris ce qu’était Auschwitz, puis il est rentré à la maison et a demandé à sa mère : ‘Ce Höss, a-t-il quelque chose à voir avec nous ?' »
« Oui, il s’avère qu’il a quelque chose à voir avec nous », lui a-t-elle répondu selon Volker.

De gauche à droite : Maya Lasker-Wallfisch, Kai Höss et Hans Jurgen Hoss visitent le camp de la mort nazi de Birkenau dans « The Commandant’s Shadow ». (Crédit : Warner Bros. Presents)

Des façons de traiter le passé

Quant à Anita et Maya, elles ont chacune adopté une approche différente pour traiter le récit familial de la Shoah.

Pendant plusieurs dizaines d’années, Anita, qui a perdu ses parents pendant la Shoah et qui a survécu à Auschwitz en partie en jouant du violoncelle dans l’orchestre de ses détenus, a choisi de regarder vers l’avenir, et non vers le passé. Maya s’est progressivement intéressée à l’histoire de sa famille. Elle a fini par déménager du Royaume-Uni pour s’installer en Allemagne, à deux pas de la maison jadis de sa mère à Breslau (aujourd’hui Wroclaw, en Pologne). Elle a également commémoré la vie de ses grands-parents dans le village polonais d’Izbica, d’où l’on a entendu parler d’eux pour la dernière fois.

« Pendant si longtemps, il n’y a eu aucune information, aucune certitude », a déclaré Volker. « Il était très important de pouvoir se rendre sur place et de voir l’endroit. »

Des Juifs hongrois arrivant à Auschwitz, en 1944. (Crédit : Domaine public)

Elle a ajouté que lors de la première du film à New York le 22 mai, elle a rencontré des descendants de survivants juifs qui avaient fait la même chose pour « traiter le passé ».

Les histoires des deux familles finissent par s’entrecroiser. Cela se passe d’abord à Auschwitz, où Hans Jürgen et Kai rencontrent Maya, tandis qu’une voix off diffuse les souvenirs de Höss sur les atrocités qui comprenaient l’incinération quotidienne des cadavres, l’ablation de leurs dents et la tonte de leurs cheveux.

« C’est difficile à croire, et pour moi c’est un grand choc », dit Hans Jürgen à propos de son père, « dans la mesure où nous l’avons connu comme une toute autre personne ».

« Je pense que [Hans Jürgen] a été très courageux », a déclaré Volker. « Cela l’a entraîné dans un voyage qu’il n’était pas obligé de faire. Je lui ai fait remarquer – et il a été d’accord – que ce qu’il découvrirait sur son père, il aurait peut-être préféré ne pas le découvrir. »

Hans Jürgen Höss, fils du tristement célèbre commandant d’Auschwitz Rudolf Höss, retournant à Auschwitz, sur cette photo tirée de « The Commandant’s Shadow ». (Crédit : Warner Bros. Presents)

La deuxième interaction a lieu dans la maison londonienne d’Anita, où elle accueille Hans Jürgen et Kai autour d’un café et où elle se réjouit de la tourte Linzer qu’ils ont apportée. Hans Jürgen note que c’est la première fois qu’il rencontre une survivante de la Shoah.

Chez Anita, elle dit à Hans Jürgen : « Je ne peux pas oublier ce qui s’est passé. Mon souhait est que nous nous parlions et que nous nous comprenions. »

Si le film véhicule un message de réconciliation, il laisse entendre que celle-ci est difficile, voire impossible, pour ceux qui refusent d’accepter le passé. C’est ce que montre Hans Jürgen lorsqu’il se rend dans l’est des États-Unis pour rendre visite à sa sœur malade, Brigitte « Puppi » Höss, décédée après la fin du tournage. Un intervieweur interroge Puppi sur les crimes de son père, mais elle reste évasive. C’est une séquence qui met mal à l’aise. (Ces dernières années, les médias ont évoqué un autre chapitre controversé de l’histoire de la famille Höss : Rainer Höss, le frère de Kai, s’est montré intéressé par la sensibilisation aux actions notoires de Rudolf Höss, mais a lui-même eu des démêlés avec la justice pour escroquerie).

À la fin du film, il est clair que Hans Jürgen a tiré les leçons du passé, comme en atteste une déclaration qu’il fait à Auschwitz en présence de Kai et Maya.

Hans Jürgen Höss, fils du tristement célèbre commandant d’Auschwitz Rudolf Höss, examinant des pierres tombales juives, sur cette photo tirée de « The Commandant’s Shadow ». (Crédit : Warner Bros. Presents)

« Nous ne pouvons qu’espérer que cela ne se reproduira plus nulle part, et que nous en avons tiré des leçons », dit-il. « Je ne pense pas que ce soit le cas. Sinon, il n’y aurait plus d’antisémitisme, comme c’est le cas aujourd’hui. »

Lorsqu’il rencontre Anita chez elle, elle lui explique qu’à l’époque actuelle, un garçon juif portant la kippa peut se sentir mal à l’aise pour sortir en public.

« Nous n’avons pas fait beaucoup de progrès », dit-elle. « Nous avons encore beaucoup à faire. »

Pourtant, le fait que leur rencontre ait eu lieu donne de l’espoir à Volker dans le sillage du 7 octobre.

« Cela montre le pouvoir du dialogue », déclare-t-elle. « Je suis très heureuse que cette rencontre ait pu avoir lieu. Elle symbolise ce vers quoi nous devons tendre. »

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