Dans une banlieue de Paris, la criminalité et l’extrémisme incitent à un exode juif interne
Beaucoup plus de juifs français ont été déplacés de manière interne, s’éloignant de Paris ou allant dans les quartiers plus riches de la ville, explique le responsable du BNVCA

LA COURNEUVE, France (JTA) – Dans le seul bâtiment juif de cette banlieue pauvre de Paris, le rabbin Prosper Abenaim sert du thé sucré aux hôtes les plus présents et les plus fiables de sa synagogue : les soldats français portants des armes semi-automatiques.
Six soldats, postés ici pour défendre les juifs de cette commune, majoritairement musulmane et frappée par le crime, proche de la capitale, sont les premiers nouveaux visages depuis des années dans cette communauté en diminution, qui a perdu des centaines de membres pendant les 20 dernières années, partis en Israël ou dans les quartiers sûrs de Paris. Certains matins, le nombre de soldats dépasse le nombre de fidèles.
Ce n’était pas le cas quand Abenaim est arrivé à la synagogue Ahavat Chalom de La Courneuve en 1992. Il y avait plus de 4 000 juifs dans le quartier à l’époque, et c’était une bataille pour les faire tous entrer dans la synagogue pour Yom Kippour.
« La shul débordait dans les rues », se souvient Abenaim.
Depuis, l’amélioration des finances et des attaques antisémites répétées ont conduit toutes les familles juives sauf 100 à quitter le quartier, où les dealers de drogue agissent ouvertement dans les rues, où, selon les habitants, la police a trop peur pour patrouiller. Les juifs restants sont majoritairement grisonnants, coincés ici pour des raisons financières.
« Nous avons deux gros problèmes, l’extrémisme et la criminalité, et ils se mélangent souvent », a déclaré Abenaim, qui vit dans le 17ème arrondissement de Paris, où vivent et viennent s’installer de nombreux juifs, et a encouragé ses fidèles à partir en Israël. « Je comprends pourquoi les gens ne veulent pas élever d’enfants ici. Je ne suis moi-même ici que par devoir. Sinon, je serai en Israël ».

La réputation de criminalité de La Courneuve est bien établie et se reflète dans les mesures de sécurité d’Ahavat Chalom, qui ressemble à une forteresse, avec de lourdes portes métalliques, une multitude de caméras de sécurité et trois soldats en uniforme camouflage militaire à l’entrée.
Depuis des années, la ville est classée parmi les plus violentes de France, avec 19 agressions pour 1 000 habitants enregistrées en 2013.
Au coin des rues proches du centre de la ville, des bandes de jeunes hommes échangent ouvertement des drogues contre de l’argent. A midi, les prostituées sollicitent les clients sur le boulevard Pasteur, une des artères principales de la ville.
Près de la synagogue, un groupe d’hommes portant des vêtements de sports colorés fument des cigarettes et de la marijuana un lundi matin. L’un d’eux, originaire de l’île caribéenne de Saint Martin, et qui se présente comme Degree, a déclaré qu’il se sentait en sécurité « pour faire n’importe quoi ici », parce que « la police ne viendra pas, ici, ils ont trop peur. S’ils viennent, nous les tuons. »
L’extrémisme religieux est plus difficile à mesurer, mais ses effets sont néanmoins évidents. Le mois dernier, La Courneuve est devenue la dernière demeure de Samy Amimour, l’un des terroristes kamikazes qui ont tué 130 personnes pendant des attentats coordonnés dans Paris en novembre, et dont la famille vit à proximité.
La sécurité de la synagogue a été augmentée à la suite de ces attentats, mais les soldats étaient déjà là. Leur présence fait partie de l’opération Sentinelle, lancée en réponse aux meurtres de quatre juifs en janvier 2015 dans un supermarché casher de Paris. Ahavat Chalom, qui a survécu en 2002 à un incendie déclenché par cinq bombes incendiaires, est considérée comme particulièrement à risque.
Ces 15 dernières années, de telles attaques ont poussé beaucoup de juifs à quitter les banlieues pauvres de Paris comme La Courneuve pour aller dans des quartiers plus sûrs, selon Bernard Edinger, un ancien correspondant senior de Reuters basé à Paris.
« Des dizaines de milliers de personnes ont changé de quartier, poussées par l’hostilité de leurs voisins arabes ou attirées ailleurs via la mobilité sociale », a écrit Edinger le mois dernier dans le Jerusalem post.
Aubervilliers, une commune limitrophe de La Courneuve, comptait autrefois trois synagogues et beaucoup de magasins casher. Aujourd’hui, il y a une synagogue et la nourriture casher n’est disponible que sur une étagère d’un supermarché classique, selon l’hebdomadaire La Tribune Juive.

Sammy Ghozlan, fondateur du bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA), un groupe de surveillance non gouvernemental, a déclaré qu’alors que l’immigration de France vers Israël atteint des niveaux record, elle n’a représenté que 15 000 personnes pendant la dernière décennie. Beaucoup plus de juifs français ont été déplacés de manière interne, a expliqué Ghozlan, s’éloignant de Paris ou allant dans les quartiers plus riches de la ville.
Abdenaim a déclaré qu’il a vu ce phénomène se dérouler devant ses yeux. Les fidèles de La Courneuve ont quitté la ville et se sont installés près du domicile d’Abenaim, dans le 17ème arrondissement, qui n’avait pas de synagogues il y a 30 ans et peut à présent se vanter d’en compter huit.
Pendant ce temps, La Courneuve a vu proliférer des écoles islamiques et des mosquées de la taille d’un appartement, situées profondément dans le labyrinthe glauque des cités HLM.
L’une des mosquées était une synagogue dans les années 1960, quand les premiers juifs sont arrivés, en tant que réfugiés fuyant la guerre d’Algérie. L’arrivée en 1962 de 4 000 juifs français a donné son nom à l’une des principales cités de La Courneuve, la Cité des 4 000.
Alain FelLous, un photographe français juif, a emménagé à La Courneuve en 1996, pour le faible loyer, la proximité de son lieu de travail et celle de ses enfants, qui vivent avec leur mère à Paris. Pour se protéger, il a adopté une attitude dure et pris parti de porter de gros manteaux par tous les temps pour signaler qu’il pourrait être armé.
« Bien sûr que je préfèrerais vivre dans le 17ème, ou dans un endroit plus agréable, a déclaré Fellous. Je ne suis pas ici pour prouver quelque chose. Vivre ici en tant que juif n’est pas pour tout le monde. »
Au supermarché, Fellous a payé les pommes d’un autre client, une femme arabe âgée avec qui il a échangé quelques blagues. Mais il était aussi sur ses gardes, donnant un coup de pied dans le caddie d’un client qui l’avait doublé dans la file tout en l’insultant.
« Vous devez répondre immédiatement ici, a déclaré Fellous, ou il vous mangeront vivant. »
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