Dans une Irlande largement pro-palestinienne, l’inquiétude de la communauté juive
Les 3 000 membres de la communauté juive irlandaise ressentent, depuis le 7 octobre 2023, une grande hostilité à leur égard et à l'égard d'Israël dans l'un des pays les plus pro-palestiniens d'Europe

En Irlande, la petite communauté juive s’inquiète que l’hostilité à Israël depuis le début de la guerre à Gaza se mue en hausse de l’antisémitisme et se sent incomprise dans un pays largement acquis à la cause palestinienne.
L’Irlande est l’un des États européens les plus critiques à l’égard de la guerre menée par Israël dans le territoire palestinien en représailles à l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023.
Depuis le début du conflit, les sondages montrent un large soutien des Irlandais aux Palestiniens. 76 % de la population estime ainsi que l’Union européenne devrait prendre des sanctions économiques contre Israël, selon l’un d’entre eux, publié en juin.
Même si les incidents restent rares, « on a vu beaucoup de graffitis inquiétants comme ‘Tuez les Juifs’, ‘Hors d’Irlande les sionistes’, ainsi que des propos antisémites horribles sur internet », affirme à l’AFP le grand rabbin d’Irlande Yoni Wieder dans sa synagogue de Dublin.
« Dans les rassemblements, vous voyez également des personnes arborant des drapeaux du Hamas ou du Hezbollah, mais personne ne dit rien », ajoute-t-il.
La communauté juive irlandaise, présente dans le pays depuis la fin du 19e siècle, est peu nombreuse, avec environ 3 000 membres pour une population de 5,4 millions d’habitants.
Avant le 7 octobre, « l’antisémitisme était très, très bas » et « la communauté se sentait vraiment très en sécurité », affirme Maurice Cohen, à la tête du Conseil représentatif des Juifs d’Irlande.
Stéréotypes antisémites
L’an dernier, l’Irlande, avec trois autres pays européens, a reconnu l’État palestinien. Et a rejoint la plainte déposée par l’Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice accusant Israël de mener un « génocide » à Gaza.
En décembre, Israël a fermé son ambassade à Dublin, accusant les autorités irlandaises de mener des « politiques anti-israéliennes ».

L’Irlande est « pour les droits humains et pour le droit international », a répliqué Simon Harris, alors Premier ministre irlandais et désormais ministre des Affaires étrangères.
La guerre à Gaza a éclaté lorsque le Hamas a envoyé 3 000 terroristes armés en Israël, le 7 octobre, pour mener une attaque brutale au cours de laquelle ils ont tué près de 1 200 personnes. Les terroristes ont également pris en otage 251 personnes, pour la plupart des civils, et les ont emmenées à Gaza. Israël a réagi en lançant une campagne militaire dont l’objectif vise à détruire le Hamas, à l’écarter du pouvoir à Gaza et à libérer les otages.
Le ministère de la santé de Gaza, contrôlé par le Hamas, affirme que plus de 48 000 personnes ont été tuées ou sont présumées mortes dans les combats jusqu’à présent. Ce bilan, qui ne peut être vérifié et qui ne fait pas la distinction entre terroristes et civils, inclut les quelque 17 000 terroristes qu’Israël affirme avoir tués au combat et les civils tués par les centaines de roquettes tirées par les groupes terroristes qui retombent à l’intérieur de la bande de Gaza.
Après l’attaque du Hamas, des portraits des otages israéliens ont été dégradés en Irlande.
« Il y a eu des problèmes sur les campus universitaires et certains politiciens ont tenu des propos relayant des stéréotypes antisémites », ajoute Yoni Wieder.
Selon le Réseau irlandais contre le racisme (INAR), un seul incident explicitement antisémite a été enregistré depuis le début de la guerre – des remarques discriminatoires adressées par le vigile d’un pub à un client juif.
Mais Shane O’Curry, directeur de l’INAR, juge probable qu’il y ait une « sous-déclaration » de tels actes.
Contacté par l’AFP, le gouvernement irlandais a indiqué « condamner le racisme et l’antisémitisme sous toutes leurs formes » et reconnu « des inquiétudes concernant une hausse des cas d’antisémitisme, en particulier en ligne ».
« Ignorés et invisibles »
Oliver Sears, 58 ans, dont le père fut un rescapé de la Shoah, estime que le discours politique devrait être plus apaisant.
Les Irlandais juifs « ont le sentiment que les gens autour d’eux […] ne les croient pas lorsqu’ils disent qu’ils constatent un antisémitisme sans précédent », ajoute celui qui a créé une association visant à sensibiliser les gens sur la Shoah.
« Les Irlandais ne comprennent pas » que « la diabolisation d’Israël nous touche profondément », dit Maurice Cohen, ajoutant que certains Juifs « ont désormais peur de porter une kippa en public ».

À l’occasion d’un événement en mémoire des victimes de la Shoah le 27 janvier, plusieurs membres de l’assistance ont tourné le dos à la tribune lorsque le président irlandais Micheal Higgins a mentionné Gaza dans son discours.
Lior Tibet, tutrice à l’University College Dublin, a été expulsée de la salle. « En tant que juive, être physiquement écartée d’un événement commémorant la Shoah, c’est vraiment choquant », a-t-elle réagi auprès de l’AFP.
Selon elle, le président irlandais a ignoré les appels de la communauté juive à ne pas politiser l’événement.
« L’Irlande ne nous écoute pas du tout. Nous nous sentons ignorés et invisibles », regrette-t-elle.