D’Auschwitz à Bnei Brak, en passant par les sommets de l’industrie automobile
Né à Auschwitz, devenu numéro 2 de Renault et l’un des créateurs de la Renault 5, pour finalement s’installer dans la ville orthodoxe de Bnei Brak, le Dr François Ephraïm Wasservogel a un parcours qui ne saurait laisser indifférent
François Ephraïm Wasservogel est né le 2 décembre 1943 à Auschwitz d’une mère polonaise juive avocate et d’un père pianiste et mathématicien. « Il faut croire que maman était particulièrement brillante, puisqu’elle a été admise en faculté de droit, malgré le numerus clausus », confie le Dr Wasservogel dans une interview accordée au Times of Israël.
Comme nombre de leurs compatriotes, Yossef et Myriam Tzimmer tentent d’échapper à l’horreur, mais sont dénoncés. La jeune femme, issue d’une famille aisée et cultivée, propriétaire d’une librairie à Varsovie, n’a pas grandi dans le ghetto et ne parle pas yiddish. Élevée par une nourrice autochtone, elle a un air suffisamment polonais pour se faire passer pour une catholique et échapper à la Gestapo. Yossef Tzimmer n’a pas cette chance et est abattu, alors que sa femme est arrêtée pour avoir eu l’audace de fréquenter un Juif.
Naissance à Auschwitz
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Elle est alors incarcérée à la prison de Lvov, avant d’être transférée à Auschwitz. C’est là que naît François Ehpraïm. « Je ne saurai jamais comment maman et moi-même avons survécu. Elle ne m’a jamais rien raconté, donc je ne sais rien sur la Shoah. Elle me disait : « Tout ce que tu pourras entendre, lire ou voir sur la Shoah ne s’approche pas, même de loin, de la vérité » », se souvient-il.
Après la libération des camps, sa mère reçoit un visa pour le Venezuela, mais préfère descendre du train à Paris, pour refaire sa vie dans le pays de George Sand. Le petit François a quatre ou cinq ans lorsque sa mère lui présente Moshé Wasservogel comme étant son père. Ce n’est que plus tard qu’il comprendra que le nouveau mari de sa mère n’était pas son père biologique.
« Mais je n’ai jamais posé de questions, j’ai respecté leur silence », reconnaît-il. Face au scepticisme du mémorial de la Shoah Yad VaShem quant aux chances d’un bébé de survivre à Auschwitz, M. Wasservogel ira jusqu’à croire que son véritable père était peut-être un nazi.
À 15 ans, il rencontre celle qui deviendra sa femme, cinq ans plus tard et « avec laquelle il vit heureux depuis 52 ans ». Titulaire de deux doctorats – l’un en mathématiques et l’autre en économie – il est envoyé au Venezuela pour y faire des travaux pour le compte des Nations unies. « J’ai aussi été pilote d’avion, j’ai à peu près tout fait », affirme-t-il.
Numéro 2 chez Renault
En 1968, le président de la Régie Renault, Pierre Dreyfus, l’invite à rejoindre la compagnie et en fait son assistant personnel, puis le directeur du Produit de l’entreprise. « Je suis resté chez Renault pendant dix ans. J’étais le numéro 2 ou 3, cela dépend de comment on compte. On me prête le fait d’avoir dessiné, conçu, étudié, développé et produit la Renault 5, qui a été un immense succès mondial, probablement l’un des plus grands succès automobiles que l’on ait connu », se félicite Wasservogel.
Après le départ de Pierre Dreyfus, il quitte Renault pour travailler dans une entreprise américaine, comme dirigeant des opérations américaines.
Installé à Genève, c’est en 1985 qu’il commence à « mal tourner », selon ses dires.
« Mon épouse avait de mauvaises fréquentations : elle a rencontré le grand rabbin de Genève et de proche en proche, elle a commencé à se livrer à des « actes de sorcellerie » à la maison, qui ont consisté à mettre de la viande dans un bac d’eau avec du sel, soi-disant pour la saigner, puis elle m’a demandé si je voyais un inconvénient à aller acheter un service de table à bordure bleue, puis un autre à bordure rouge et un troisième à bordure verte.
J’ai cru que c’était l’époque artistique de mon épouse. Puis, on avait un frigo qui était bien assez grand pour nous, mais on en a acheté un deuxième. Le comble du comble, ce fut lorsqu’en rentrant un soir après une « rude journée de travail », je m’approche de mon épouse et qu’elle recule avec effroi me disant : « Ne me touche pas ! » et d’ajouter : « Et ça va durer 15 jours ». Vous comprenez bien que je n’avais qu’une hâte c’était de demander le divorce persuadé qu’elle ne m’aimait plus, que c’était fini, sans comprendre que c’était la période où les femmes s’éloignent un peu de leurs maris [période de ‘nida’ selon la Halakha où le couple ne peut pas se toucher]. Et c’est ainsi que petit à petit par curiosité, beaucoup plus que par mysticisme, j’ai commencé à étudier et suis devenu moi-même religieux », raconte, avec beaucoup d’humour et de dérision, cet homme qui habite aujourd’hui à Bnei Brak, l’un des bastions de la communauté juive orthodoxe israélienne.
Directeur du développement de 220 000 employés
Lorsque le gouvernement français décide, dans les années 1980, de réunir la sidérurgie française en une seule entreprise Usinor-Sacilor, son PDG Francis Mer l’invite à devenir le numéro 2 de cette « petite entreprise de 220 000 employés ». Il restera directeur du développement automobile d’Usinor-Sacilor une dizaine d’années jusqu’à son départ en Israël en 1996.
De cette période aussi, le Dr Wasservogel se remémore une anecdote. Les bureaux d’Usinor-Sacilor, au 25e étage de la Défense à Paris, comportaient également des salons où les dirigeants de la société « mangeaient admirablement en buvant les meilleurs vins du monde ».
Déjà devenu pratiquant, il n’y déjeune donc jamais, ce qui n’est pas sans déranger son patron. M. Mer lui conseille tout simplement de rendre les salons cashers, une démarche qui semble irréelle dans l’une des plus grosses entreprises françaises, « qui plus est nationalisée ». Seule nécessité « pour éviter d’attirer le Canard enchaîné » : que personne ne le sache jamais.
« Pendant plus de 10 ans, un jour sur deux le maître d’hôtel venait annoncer que le chef avait préparé une dorade royale qui serait suivie d’un plateau de fromages, et le lendemain, qu’il avait préparé une épaule d’agneau suivie d’un plateau de fruits [un menu respectant donc les restrictions concernant le mélange du lait et de la viande, NDLR]. Personne ne s’est jamais rendu compte de rien », explique M. Wasservogel. Même le vin venait d’Israël. Un œnologue invité à sa table crut même identifier un Châteauneuf du Pape. Et ce n’est que 20 ans plus tard, en visite en Israël, que le spécialiste découvre qu’il a en fait bu un Grand Castel…
C’est à cette époque aussi que la mère du Dr Wasservogel décède. Le soir de sa mort, elle lui présente la photo d’un homme d’une trentaine d’années et un livre des Psaumes. « Inutile de faire un test génétique : c’était mon père ». Beaucoup plus tard en Israël, il en saura plus sur la famille Tzimmer et rencontrera son cousin germain par le plus grand des hasards au kibboutz Zikim. Un mois après ce décès, la famille Wasservogel décide de s’installer en Israël. Il faudra encore deux ans pour réaliser ce projet, début 1996.
En Israël, le Dr Wasservogel travaille dans un premier temps à la banque HaPoalim et est chargé des prêts accordés aux investisseurs étrangers ou israéliens. Là aussi, les anecdotes s’accumulent. Se renforçant dans la pratique de sa religion, M. Wasservogel fréquente chaque jour un Kollel (établissement d’études juives et talmudiques pour les hommes mariés, NDLR) de 18 à 20 heures.
Il n’hésitait donc pas à « abandonner des investisseurs qui venaient avec des jets privés et des milliards de dollars, entre les mains de [s]es adjoints, ce qui avait pour don de les vexer épouvantablement ». L’un d’eux, un riche Italien, fit un scandale auprès du directeur de la banque.
Sans se démonter, M. Wasservogel expliqua à l’investisseur qu’il était parti négocier avec un autre… Quelle ne fut pas la surprise de l’investisseur lorsque son interlocuteur lui annonça non sans humour : « Je négociais avec le bon D.ieu, me battant avec Lui pour essayer de comprendre l’essentiel de Ses enseignements. » Et l’investisseur, catholique fervent, de finalement investir une coquette somme, arguant de sa joie « d’avoir pour rival le bon D.ieu en personne »…
« Chassez le naturel, il revient au galop »
M. Wasservogel travaillera également une dizaine d’années pour le fabricant de technologies de défense, l’israélien Elbit Systems. Il quittera finalement le géant de l’armement pour pouvoir se consacrer à ses études au Kollel tous les matins.
« Mais, chassez le naturel, il revient au galop », confie le Dr Wasservogel, qui dirige alors une entreprise dans le domaine de la géolocalisation intelligente, SafeClick, et conseille un certain nombre de sociétés israéliennes.
C’est aussi en Israël qu’il sera de nouveau contacté par Renault pour devenir directeur de projets lorsque le géant automobile français s’associe à la start-up Better Place pour produire des voitures électriques. M. Wasservogel décline cependant la proposition : il ne croit pas en la faisabilité du projet.
L’histoire lui donnera raison, Better Place ayant déposé son bilan il y a quelques années. Pour cet expert du domaine, auteur de L’Auto immobile, (Éd. Denoël, 1977), « les conséquences des champs électromagnétiques sont mal connues et peuvent être à terme absolument catastrophiques ». Et de conclure : « C’est pour cela que je ne crois pas aux véhicules à batterie. Mais, je crois en revanche aux véhicules qui fabriquent l’électricité sur mesure, si je puis dire. »
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