Deborah Lipstadt espère voir Trump poursuivre la lutte contre l’antisémitisme
Face à la montée de l'antisémitisme, l'ex-envoyée spéciale pour la lutte contre l'antisémitisme se félicite de son succès dans le renforcement et la pérennisation de son bureau

(JTA) WASHINGTON – Lors de sa dernière semaine en tant qu’envoyée spéciale, Deborah Lipstadt, nommée par le président Joe Biden pour lutter contre l’antisémitisme à l’échelle mondiale, a exprimé ses doutes quant à la capacité de la future administration Trump à relever ce défi.
« Si j’en garde l’espoir, je n’en suis pas certaine », a-t-elle déclaré lors de sa dernière table ronde avec la presse juive au département d’État. Elle s’exprimait au terme de 15 mois marqués par une forte montée du sectarisme contre les Juifs dans le monde entier.
Alors que le président élu Donald Trump n’a pas encore désigné de successeur à Lipstadt, l’une des plus grandes spécialistes mondiales de la Shoah et de l’antisémitisme a affiché sa confiance en Marco Rubio. Ce dernier, sénateur de Floride et candidat de Trump au poste de secrétaire d’État, supervisera cette fonction. Bien qu’elle ait déjà critiqué l’équipe de Trump par le passé, Lipstadt a déclaré mardi que, sur les questions liées à l’antisémitisme, Rubio « comprenait à 100 % ».
Le ou la future titulaire du poste héritera d’un bureau élevé au rang d’ambassadeur sous la direction de Lipstadt, avec un budget multiplié par quatre pour atteindre 2 millions de dollars.
Parmi ses réalisations au cours de ses trois années de mandat, Lipstadt a cité la sensibilisation à l’antisémitisme lors de réunions de haut niveau dans le monde entier, l’obtention de 42 signataires pour de nouvelles lignes directrices mondiales contre l’antisémitisme, et l’élargissement de son bureau – officiellement intitulé « Envoyé spécial pour surveiller et combattre l’antisémitisme » – avec la création d’un groupe d’experts destiné à poursuivre son travail sous l’administration Trump.
« Il est impossible de faire fonctionner un bureau du département d’État si, à chaque changement d’administration, tout le personnel disparaît et doit être reconstitué à partir de zéro », a déclaré Lipstadt.
Elle a néanmoins reconnu l’ampleur du problème qu’elle était chargée de traiter – un problème qui, selon les données publiées mardi par l’Anti-Defamation League (ADL), n’a cessé de s’aggraver ces dernières années. « Ma formation d’historienne de croire que ce problème puisse être entièrement résolu », a-t-elle affirmé.
Lipstadt, 77 ans, a déploré la normalisation de l’antisémitisme dans le quotidien des Juifs ces dernières années. Elle a évoqué sa conversation avec une famille canadienne cherchant une université où leur fille pourrait se sentir en sécurité en tant que Juive, ainsi que celle avec une mère de l’Upper East Side, inquiète à l’idée de laisser son fils adolescent aller à la synagogue sans dissimuler sa kippa sous une casquette de base-ball.
« Cela donne matière à réflexion », a-t-elle observé.
Elle a également souligné qu’en tant que professeur titulaire – après avoir enseigné l’histoire pendant plus de 30 ans à l’université Emory, où elle prévoit de retourner – elle redoutait de se sentir bridée au sein du gouvernement.
« J’ai dû accepter de ne pas obtenir tout ce que je voulais », a-t-elle admis, ajoutant que ces frustrations valaient la peine pour ce qu’elle a qualifié d’« honneur de toute une vie ».
Ses opposants – provenant de l’extrême gauche et de certains groupes arabo-américains – critiquent son soutien marqué à Israël et lui reprochent de faire trop souvent l’amalgame entre antisionisme et antisémitisme.

Les dirigeants des principales organisations juives américaines estiment que Deborah Lipstadt a pleinement assumé ses fonctions, s’appuyant sur son expertise et parcourant inlassablement le monde pour dénoncer l’antisémitisme, qui s’est propagé sur presque tous les continents, notamment après le pogrom perpétré par le Hamas en Israël, le 7 octobre 2023.
Elle « a apporté son expertise, son sérieux et sa détermination » à ce poste « pendant l’une des périodes les plus difficiles pour le peuple juif depuis des dizaines d’années », a affirmé le PDG de l’ADL, Jonathan Greenblatt, dans un communiqué.
Dans ses discours et ses articles d’opinion, Lipstadt a également exploré la question de l’antisémitisme national tout au long de son mandat, et ce, malgré le caractère principalement international de son portefeuille d’ambassadrice.
« Il est rare qu’une personne engagée dans le domaine de la politique étrangère ait aussi un impact significatif sur le plan intérieur », a souligné le rabbin David Saperstein, ancien ambassadeur itinérant pour la liberté religieuse internationale. Il a souligné le rôle de Lipstadt dans l’élaboration de la première stratégie nationale américaine de lutte contre l’antisémitisme, publiée en mai 2023.
Ted Deutch, PDG de l’American Jewish Committee (AJC), a salué son travail sur cette stratégie nationale ainsi que sur les 12 lignes directrices mondiales contre l’antisémitisme, publiées en juillet 2023 à l’occasion du 30e anniversaire de l’attentat meurtrier contre un centre communautaire juif à Buenos Aires.
Depuis le 7 octobre, Deutch a noté que Lipstadt s’était rendue en Europe, en Amérique latine et au Moyen-Orient pour répondre à la montée de l’antisémitisme et expliquer comment ce fléau est enraciné dans une « longue, sordide et dangereuse histoire ».
Tout au long de sa mission, Lipstadt s’est distinguée par une communication « claire et sans équivoque », quels que soient le contexte ou le public auxquels elle s’adressait.

Le pogrom du 7 octobre, au cours duquel des milliers de terroristes du groupe palestinien du Hamas ont assassiné plus de 1 200 personnes dans le sud d’Israël et en ont kidnappé 251 pour les emmener dans la bande de Gaza, a radicalement transformé le travail de Lipstadt, lui donnant une orientation plus ciblée, a-t-elle expliqué.
Personne, a-t-elle affirmé, n’était préparé à ce qu’elle qualifie de « tsunami » d’antisémitisme qui a suivi les massacres du Hamas. Tout en reconnaissant qu’une partie des protestations contre les mesures de représailles israéliennes à Gaza reflétait une sympathie sincère pour les Palestiniens, elle a souligné que le 7 octobre avait également déclenché un flot d’antisémitisme déguisé en critiques d’Israël.
Elle s’est dite particulièrement troublée par le manque de solidarité envers les Juifs. « Le silence de leurs alliés a été très frappant, notamment de la part des femmes », a-t-elle déclaré, évoquant les agressions sexuelles perpétrées par les militants du Hamas.
Lors de la table ronde, Lipstadt a vivement critiqué Francesca Albanese, rapporteur spécial des Nations unies sur les territoires palestiniens occupés. Selon l’ADL, Albanese « a souvent utilisé des tropes antisémites et légitimé le soutien au terrorisme dans ses critiques d’Israël ». Lipstadt a décrit Albanese comme « la personne qui a causé le plus de tort à ce bureau », ajoutant que le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, l’avait qualifiée « d’horrible personnage ».
Sur X, Lipstadt a activement documenté ses voyages, mais elle est restée nettement plus silencieuse concernant les manifestations qui ont agité les campus universitaires américains en réaction à la campagne militaire d’Israël à Gaza. Ces manifestations, qualifiées d’antisémites par de nombreux Juifs américains, n’ont pas suscité de commentaires approfondis de sa part. Elle a toutefois réaffirmé son engagement en faveur de la liberté d’expression et son opposition aux lois criminalisant la négation de la Shoah, un phénomène qu’elle a combattu à travers ses recherches. Sur CNN, elle a cependant confié être « bouleversée » par les menaces visant des étudiants juifs.
Lipstadt s’est fait connaître mondialement pour avoir remporté un procès en diffamation contre l’auteur britannique David Irving, qu’elle avait accusé de négationnisme dans son livre Denying the Shoah, publié en 1996. Cette affaire a inspiré un film sorti en 2016, où l’actrice Rachel Weisz incarne Lipstadt, qui l’a aidée à perfectionner son accent.

Après sa nomination comme ambassadrice, Deborah Lipstadt a de nouveau fait la une lorsqu’elle a témoigné au procès des organisateurs du rassemblement « Unite the Right » de 2017 à Charlottesville. La bataille de plus de six mois pour confirmer sa nomination a généré plus de presse que son travail une fois la nomination confirmée. Le sénateur républicain Ron Johnson du Wisconsin, qui s’opposait à un tweet dans lequel elle qualifiait de « suprématie blanche/nationalisme » ses remarques sur l’émeute pro-Trump du 6 janvier 2021 au Capitole, a bloqué le vote.
Durant cette longue période d’attente, Lipstadt a endossé un rôle officieux de responsable de la lutte contre l’antisémitisme au niveau national. En janvier 2022, après la prise d’otages d’un rabbin et de ses fidèles par un terroriste dans une synagogue du Texas, Lipstadt, élevée dans une famille pratiquante à New York, a écrit un article d’opinion dans le New York Times dans lequel elle décrivait l’acte de se rendre à la synagogue comme un geste de courage.
« Nous sommes ébranlés. Nous ne sommes pas bien. Mais nous allons rebondir », écrivait-elle. « Nous sommes résilients parce que nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas l’être. Cette résilience fait partie de l’ADN juif. Sans elle, nous aurions disparu il y a des siècles. »

En tant que diplomate, Lipstadt a souvent insisté sur l’importance de condamner l’antisémitisme, qu’il provienne de la droite ou de la gauche. Mais au-delà des critiques des conservateurs au Congrès avant sa confirmation, elle a également fait face à des attaques virulentes de la gauche, qui l’ont accusée de soutenir la répression israélienne des droits des Palestiniens.
Le chroniqueur juif Peter Beinart a écrit dans le New York Times en 2022 que Lipstadt semblait se contredire quand elle reconnaissait que l’occupation de la Cisjordanie par Israël était « problématique », tout en rejetant un rapport d’Amnesty International qualifiant Israël d’apartheid, une accusation qu’elle considérait comme inappropriée et infondée.
Barry Trachtenberg, professeur d’études juives à l’université de Wake Forest et conseiller du groupe antisioniste Jewish Voice for Peace (JVP), a jugé que le bilan de Lipstadt était un « échec lamentable » en raison de son amalgame de l’antisionisme et de l’antisémitisme. Dans une interview, il a également souligné que les groupes de défense des droits des Arabes l’avaient critiquée pour des « propos profondément offensants », notamment une remarque désinvolte sur les attaques de bipeurs menées l’année dernière contre les terroristes du Hezbollah.
Lors de son premier mandat, Trump avait été critiqué par le Congrès pour avoir mis deux ans à nommer Elan Carr comme envoyé chargé de la lutte contre l’antisémitisme, un poste qui, à l’époque, ne nécessitait pas la confirmation du Sénat.
Plusieurs noms circulent pour succéder à Lipstadt, notamment Alan Dershowitz, professeur de droit à l’université de Harvard, Lizzy Savetsky, influenceuse sur les réseaux sociaux, le rabbin Shmuley Boteach, auteur et ancien candidat républicain, et Dov Hikind, animateur de talk-show à la radio et ancien député conservateur de l’État de New York.
Quelle que soit la personne choisie, Lipstadt a dit espérer « que ce sera quelqu’un qui bâtisse et non quelqu’un qui détruit ».
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