Décès de Kitty Dukakis, première épouse juive d’un candidat à la Maison Blanche
Elle avait rejoint la première commission présidentielle américaine sur la Shoah et encouragé la création d'un musée sur le génocide juif ; après avoir rendu publiques ses propres dépendances, elle avait défendu ceux qui souffraient d'addiction

JTA — Alors que Michael Dukakis était sur le point de remporter l’investiture démocrate en vue des élections présidentielles en 1988, un journal juif du Colorado s’était intéressé à son épouse.
« Quel genre de modèle Kitty Dukakis pourrait-elle être pour nos enfants juifs ? », s’était interrogé l’Intermountain Jewish News dans un éditorial publié au mois de mai.
Le journal se penchait sur le fait que Kitty était juive et que le gouverneur du Massachusetts ne l’était pas, de son côté – ce qui faisait de leur union un exemple de la tendance aux mariages mixtes qui s’accélérait alors, inquiétant les communautés juives de la Diaspora.
« Nous parlons là d’une femme qui a épousé un non-juif et qui, selon les informations que nous avons à notre disposition, n’élève même pas ses enfants dans la tradition juive exclusivement – une femme qui pourrait bien projeter cette image depuis la scène la plus visible au monde, » avait noté l’éditorial.
En fin de compte, Kitty Dukakis – qui s’est éteinte dimanche à l’âge de 88 ans des suites de complications liées à une démence – n’avait pas eu l’occasion de donner un quelconque exemple depuis la Maison Blanche. Michael Dukakis avait essuyé une défaite cuisante au mois de novembre, ne remportant que dix états et Washington, DC, dans l’une des débâcles les plus déséquilibrées de toute l’Histoire des États-Unis. Elle restera toutefois la toute première épouse juive d’un candidat à la présidence des États-Unis, créant un précédent qu’a finalement suivi Doug Emhoff, conjoint juif d’une vice-présidente au cours des quatre dernières années.
Comme Doug Emhoff, Kitty Dukakis avait fait savoir qu’elle s’était davantage engagée dans son identité juive à cause de son mariage – un engagement qui n’aurait peut-être pas eu lieu si elle ne s’était pas unie à son époux, avait-elle dit. Elle avait rejoint le Temple Israel de Boston – la famille de sa mère avait aidé à sa fondation – après s’être rendue en Israël en 1976, aux côtés de son mari gouverneur. Elle avait écrit : « Je déteste paraître ringarde, mais j’ai eu un éveil spirituel ». Le couple avait commencé à organiser des seders à Pessah et il avait annoncé qu’il en organiserait un à la Maison Blanche – ce qui ne devait finalement se produire que deux décennies plus tard.

« Quand les gens écrivent des articles – comme ils en ont écrits – sur le fait que je serais, semble-t-il, un mauvais modèle parce que j’ai épousé un chrétien, ce qu’ils ne réalisent pas, c’est qu’il y a des hommes et des femmes comme moi qui s’identifient beaucoup plus étroitement à leurs racines juives parce qu’ils ont un conjoint qui ne partage pas la même foi », avait-elle expliqué au rabbin Michael Lerner du magazine Tikkun peu après la publication de l’éditorial de l’Intermountain Jewish News.
Kitty Dukakis était née Katherine Dickson en 1936 dans la banlieue de Boston, à Brookline, dans le Massachusetts, dans un quartier qui, selon elle, était presque exclusivement juif. Son père, Harry Ellis Dickson, fils d’immigrants juifs orthodoxes originaires d’Ukraine, était devenu chef d’orchestre au Boston Symphony Orchestra. Mais les critiques de sa mère Jane, qui avait été adoptée par une famille juive allemande et qui, selon Dukakis, avait été la principale source de son éducation juive, avaient façonné sa vie, alimentant des années de dépression et de diverses dépendances.
Des dépendances qui avaient joué un rôle dans sa vie publique – une vie qui avait commencé après avoir épousé Michael, son deuxième mari, en 1963, alors qu’il était déjà député du Massachusetts. Il avait été élu gouverneur en 1974 mais il avait été battu lors des primaires démocrates quatre ans plus tard, avant que les électeurs ne le rétablissent dans ses fonctions en 1982.
Il était encore à son poste de gouverneur en 1988 lorsque les démocrates l’avaient choisi pour affronter George H. W. Bush, qui était alors vice-président des États-Unis.
Pendant la majeure partie de cette période, Kitty Dukakis avait été dépendante aux pilules amaigrissantes – une addiction dont elle s’était débarrassée en 1982, et dont elle avait révélé l’existence au cours de la campagne présidentielle de son mari. Peu après sa défaite, elle avait entamé un traitement pour venir à bout de problèmes d’alcoolisme. Elle était ensuite devenue une militante de premier plan, travaillant à sensibiliser aux addictions et à la dépression, un activisme qui avait duré pendant toute le reste de sa vie publique. Dans ce cadre, elle avait laissé les caméras de la chaîne CBS News filmer le traitement par électrochocs qui, selon elle, était essentiel pour sa guérison.

Kitty Dukakis était également restée pendant toute sa vie une ardente défenseuse de la mémoire de la Shoah, évoquant à la fois les images d’actualité des camps de concentration nazis qu’elle avait pu voir après leur libération et une visite effectuée à Yad Vashem lors de son voyage en Israël.
En tant que membre de la première commission présidentielle consacrée à la Shoah où elle avait été nommée par Jimmy Carter en 1978, elle avait participé à la création d’un musée national voué au génocide juif. Bush l’avait ultérieurement intégrée dans le Conseil du Mémorial de la Shoah des États-Unis, chargé de superviser le musée national et le mémorial à Washington.
Dukakis avait appelé avec ferveur à tirer les leçons de la Shoah. « Le ‘Plus jamais ça’ ne s’adresse pas seulement aux Juifs mais à toute l’Humanité », avait-elle déclaré à Lerner lors de l’interview effectuée en 1988. « Nous devons aller au-delà de l’interprétation étroite de la Shoah qui parle de son caractère unique. Nous devons élargir ces leçons afin qu’elles englobent les tragédies qui surviennent dans le monde entier et nous devons rendre nos antennes plus sensibles à la compréhension de ce qui se passe lorsque d’autres personnes souffrent ».
Elle avait pris la défense des réfugiés thaïlandais et cambodgiens, ainsi que celle des sans-abri aux États-Unis et celle des Juifs soviétiques persécutés. Racontant à Lerner qu’elle avait visité des camps de réfugiés palestiniens à Gaza, elle avait affirmé : « Je suis convaincue qu’aucun camp n’est un bon camp ». Elle avait également confié qu’elle avait poussé Elie Wiesel, éminent survivant de la Shoah, à s’exprimer sur d’autres persécutions que le génocide juif.
Newsweek a rapporté qu’elle avait pris des notes pour un discours sur les réfugiés cambodgiens qui mettaient son identité au premier plan. « En tant que Juive », avait-elle écrit, « je sens que j’ai une réelle responsabilité d’aider les autres qui souffrent ».
Dukakis laisse derrière elle son époux, leurs trois enfants, John, Andrea and Kara et sept petits-enfants.