Décès de Peter Buxtun, qui avait dénoncé une étude médicale cruelle sur les hommes Afro-américains
Né d'un père juif, Buxtun avait évoqué les expériences médicales nazies quand il avait appris que les officiels de la santé américains refusaient des traitements à des centaines de malades de la syphilis pour en examiner les effets
JTA — Au début des années 1960, Peter Buxtun effectuait le suivi des maladies sexuellement transmissibles pour le bureau de San Francisco du Public Health Service (PHS) lorsqu’il s’était aventuré dans la cafétaria de son dispensaire. Là-bas, il avait entendu un agent du PSH parler d’une étude lancée trois décennies auparavant.
Et ce qu’il avait entendu l’avait alarmé : En partenariat avec le Tuskegee Institute, dans l’Alabama, le gouvernement avait recruté 399 hommes afro-américains qui avaient contracté la syphilis. Même si les antibiotiques étaient devenus disponibles dans les années 1940 et qu’ils pouvaient soigner de manière efficace la maladie, les responsables fédéraux de la santé avaient demandé à ce que les précieux médicaments ne soient pas mis à disposition des malades pour pouvoir étudier les effets de la syphilis sur le corps humain.
Cette révélation avait rappelé quelque chose à Buxtun, qui était né en République tchèque. Son père était Juif et sa mère était catholique romaine. Il avait grandi en entendant les récits de la Shoah qui étaient racontés par son oncle, un officier allemand qui avait essayé d’empêcher les soldats nazis d’assassiner des civils et qui avait échoué.
« J’ai pensé que nous ne pouvions pas faire cela », s’était souvenu Buxtun, selon l’historienne Susan Reverby. Il était allé à la bibliothèque pour étudier le procès de Nuremberg où des médecins avaient pris place sur le banc des accusés, ainsi que les directives qui encadraient les traitements et la recherche médicale suite aux expérimentations monstrueuses qui avaient été faites par les nazis sur les Juifs et sur d’autres prisonniers. Buxton avait déclaré que « ça a été vers la fin de la soirée, alors que j’étais dans cette bibliothèque, en centre-ville, que je me suis dit : ‘Il faut que je fasse quelque chose’. »
Le rapport qu’il avait écrit et envoyé au mois de novembre 1965 aux Centers for Disease Control (CDC) et au PHS avait alerté de l’existence de l’un des projets de recherche les plus célèbres de toute l’histoire de la santé publique aux États-Unis. Même s’il avait fallu attendre encore cinq ans et un reportage de l’Associated Press pour qu’il obtienne finalement gain de cause, Buxtun était parvenu à démontrer que « l’étude de Tuskegee sur la syphilis non-traitée chez l’homme nègre » était un abus scandaleux en matière d’autorité gouvernementale et d’éthique médicale.
Ces révélations avaient entraîné des audiences au Congrès et un recours collectif en justice qui s’était conclu par un arrangement judiciaire à hauteur de dix millions de dollars. L’étude avait, elle aussi, été arrêtée. En 1997, le président américain Bill Clinton avait présenté des excuses officielles pour cette expérimentation, disant qu’elle avait été « mauvaise – profondément, foncièrement et moralement mauvaise. » L’étude a été « une honte au regard de notre engagement en faveur de l’intégrité et de l’égalité pour tous nos citoyens », avait-il ajouté.
Buxtun est mort des suites de la maladie d’Alzheimer à Rocklin, en Californie, le 18 mai, même si son décès n’a été rendu public que la semaine dernière. Il était âgé de 86 ans.
Son acte avait eu des conséquences profondes. Le gouvernement avait mis en place de nouvelles règles régissant la recherche médicale. Certains Afro-américains hésitent encore aujourd’hui à prendre part à des recherches médicales.
Dans des entretiens, Buxtun rejetait les éloges qu’il avait reçus pour avoir dénoncé l’étude, notamment de la part des membres des familles de ceux qui y avaient pris part. « Je ne veux pas me sentir débordé par une pluie trop importante de compliments. Je suis qui je suis », avait-il confié à Carl Elliott, spécialiste de la bioéthique, en 2017.
Toutefois, il donnait des conférences sur l’étude et sur l’éthique médicale et il avait été distingué pour son travail de lanceur d’alerte. Après avoir quitté le PHS, il avait fait des études de droit, il était parti fréquemment en voyage et il avait collectionné et vendu des antiquités.
Né à Prague, Peter Buxtun était encore un bébé quand la région des Sudètes, la zone germanophone de la Tchécoslovaquie, avait été cédée à l’Allemagne nazie. Le père de Buxtun s’était immédiatement préparé à faire immigrer sa famille aux États-Unis. Ses parents avaient posé leurs valises dans une ferme, dans l’Oregon.
Buxtun avait fait ses études à l’université de l’Oregon et il avait servi au sein de l’armée américaine à un poste d’infirmier, sur le front. Il était travailleur social quand il avait répondu à une offre d’emploi du PHS.
En plus de son activité de lanceur d’alerte, il avait passé plus de 20 ans à tenter de récupérer les biens de sa famille qui avaient été saisis par les nazis – et il avait partiellement réussi. Il ne laisse aucune famille immédiate derrière lui.
« Les expériences de vie de Peter lui ont permis de considérer immédiatement l’étude comme indéfendable au niveau moral et elles l’ont amené à rechercher la justice qui, dans ce cas précis, se présentait sous la forme d’un traitement pour soigner ces hommes », avait déclaré Ted Pestorius, vice-directeur des CDC, lors d’un programme qui, en 2022, avait marqué le cinquantième anniversaire de la fin de l’étude. « Il n’a finalement pas pu lâcher prise ».