Israël en guerre - Jour 372

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'Livrées par les nazis par la police locale de Guernesey, trois Juives ont été transportées en France avant d'être assassinées à Auschwitz'

Découvrez le nouveau film sur l’occupation des îles de la Manche par les nazis

Comment les Britanniques auraient-ils réagi si les nazis étaient arrivés jusqu'à Londres ? Les agissements des citoyens au sein du seul territoire britannique occupé par Hitler pourraient offrir des réponses désagréables

Amanda Abbington, à gauche, et Jenny Seagrove dans le rôle de Louisa Gould dans 'Another Mother's Son.' (Capture d'écran)
Amanda Abbington, à gauche, et Jenny Seagrove dans le rôle de Louisa Gould dans 'Another Mother's Son.' (Capture d'écran)

LONDRES – Quand les Allemands ont envahi les îles anglo-normandes en juin 1940, au moins une habitante a été déterminée à montrer qu’elle ne se laisserait pas intimider. Le seigneur de Serq, Dame Sibyl Hathaway, a reçu deux officiers allemands dans sa résidence, les faisant traverser un long salon pour venir la saluer.

« Vous n’avez pas peur ? », a demandé l’un d’eux.

« Est-il nécessaire d’avoir peur d’officiers allemands ? » a-t-elle répondu dans un allemand parfait.

Serq est l’une des des petits îles – un archipel comprenant Jersey, Guernesey et Alderney — situées dans le Channel anglais [La Manche], au large des côtes de Normandie. Semi-indépendantes, elles ont été toutefois les seules îles britanniques à être occupées par les nazis.

Cette réaction de Hathaway paraît résumer ce qu’un observateur a plus tard qualifié de « mépris glacial » affiché par les habitants de ces îles de la Manche envers leurs occupants. Elle a servi d’exemple de ce flegme indomptable britannique qui avait mené le pays à se dresser seul contre Hitler durant l’été 1940.

Certains de ses habitants ont payé un prix lourd pour leur refus de se soumettre au régime autoritaire nazi. Cela a été le cas notamment de Louisa Gould, une commerçante de Jersey morte dans les chambres à gaz de Ravensbruck après que les Allemands ont découvert qu’elle avait abrité un prisonnier de guerre russe, l’un des milliers qui avait été contraint à travailler dans les camps de travaux forcés pour construire des fortifications en béton qui existent encore aujourd’hui.

La semaine dernière, « Another Mother’s Son », qui raconte l’histoire de l’héroïsme dont Gould a fait preuve, est sorti dans les salles obscures du Royaume Uni. Ses motivations pour venir en aide à Feodor Burriy, un jeune homme âgé d’une vingtaine d’années, étaient simples.

Ayant perdu l’un de ses fils qui servait dans la Royal Navy, avait-elle expliqué à une amie, « j’ai dû faire quelque chose pour ce fils d’une autre mère ».

Mais tandis que l’acte de bravoure de Gould n’a pas été unique, il existe aussi un autre aspect plus sombre de l’histoire de l’occupation, caractérisé notamment par le sort réservé à la petite population juive des îles. C’est un récit qui néanmoins peut apporter des réponses – peut-être désagréables – à l’une des plus importantes questions appartenant au passé récent du Royaume-Uni : Comment se serait comportée la population britannique si les nazis avaient envahi Londres ?

Couverture de  ‘SS-GB’ écrit par Len Deighton. (Autorisation)
Couverture de ‘SS-GB’ écrit par Len Deighton. (Autorisation)

C’est un sujet qui intrigue les médias comme les historiens. Le mois dernier, la BBC a diffusé une adaptation en cinq épisodes du roman dystopique de Len Deighton intitulé « SS-GB ». L’expérience vécue sur les îles de la Manche paraît indiquer que le Royaume-Uni pourrait avoir montré les mêmes mécanismes désordonnés – l’acceptation maussade de la majorité, la collaboration et la résistance courageuse des autres – que ses voisins du continent.

Une grande partie de la population juive des îles anglo-normandes avait rejoint le Royaume-Uni avant l’arrivée des Allemands. Avec le cabinet de guerre de Churchill qui avait décidé que les îles étaient à la fois indéfendables et non importantes au niveau stratégique, les îles avaient été démilitarisées et une évacuation volontaire avait été menée durant les quinze jours qui ont précédé l’arrivée, le 30 juin 1940, des premiers avions Luftwaffe.

Il n’y a pas eu sur les îles un seul tir ni aucune des atrocités ayant caractérisé l’avancée des nazis à travers l’Europe de l’est. Comme en France, les Allemands ont plutôt tenté de gagner l’assistance des autorités locales pour faciliter l’occupation. Et ils devaient trouver des complices de bonne volonté.

Mais tandis que Hathaway devait trouver rassurant le bruit des Allemands frottant leurs bottes contre le paillasson – une indication possible de leur niveau de civilité, se souvient-elle avoir pensé – les Juifs de Guernesey et de Jersey ont rapidement senti que leurs angoisses face aux nouveaux maîtres des îles étaient largement justifiées.

Dame Sibyl Hathaway s'adressant aux soldats allemands aux alentours du 15 mai 1945 (Domaine public)
Dame Sibyl Hathaway s’adressant aux soldats allemands aux alentours du 15 mai 1945 (Domaine public)

A peine trois mois après le début de l’occupation, les nazis ont réclamé l’application des premières mesures anti-juives : Ainsi, tout individu ayant plus de deux grands-parents juifs était défini comme Juif, tous les Juifs devaient être enregistrés et leur commerce devait être clairement identifiés en tant « qu’entreprise juive ».

Rien de cela n’était surprenant. Ce qui l’a été davantage, c’est la manière dont les autorités des îles anglo-allemandes n’ont soulevé aucune objection, à une exception honorable près toutefois.

Sir Abraham Lainé, membre du Parlement de Guernesey, a refusé de voter en faveur des mesures qui avaient été présentées à la Cour royale. Ambrose Sherwill, huissier de l’île et président de la Commission de contrôle – principal point de contact entre les Allemands et les gouvernements des îles de la Manche – a ultérieurement fait part de la honte éprouvée lorsqu’il n’était pas parvenu à s’opposer, tout en défendant son inaction en prétendant qu’il pensait alors que les Juifs avaient tous été évacués.

Certains Juifs ont tout de suite pressenti le danger et ont décidé de ne pas se faire enregistrer. D’autres ont obéi. Douze Juifs se sont fait enregistrer à Jersey et cinq de plus à Guernesey. Comme le suggère Madeline Bunting, dont l’ouvrage écrit en 1995, « The Model Occupation », se consacre à cette histoire trouble – « leur confiance dans les autorités des îles et leur désir de se conformer à la loi les a, sans le savoir, précipités dans un étau qui n’a pas cessé de se resserrer ».

Des mesures supplémentaires ont rapidement été annoncées. Les entreprises qui appartenaient aux Juifs – notamment celles dont les propriétaires avaient déjà quitté l’île – ont été « aryennisées » et vendues à des non-Juifs. Des emplois n’ont plus été ouverts aux membres de cette communauté, leurs radios ont été confisquées et l’accès à des immeubles publics leur a été interdit – tandis que l’entrée dans les commerces ne leur était dorénavant permise que pendant une heure, l’après midi.

A chaque phase, les chefs des îles de la Manche ont reçu sans protester les ordres donnés par les Allemands, les ont transmis via la chaîne de commandement, faisant fidèlement remonter les informations une fois les mesures mises en oeuvre.

Et en effet, comme un spécialiste de l’histoire de l’occupation l’a affirmé, le responsable à Jersey de l’application des mesures anti-juives, qui était également à la tête de la police des étrangers, Clifford Orange, a montré une « tendance troublante… à faire du zèle dans son travail ».

Et la tragédie a inévitablement suivi. Durant l’été 1942, les Allemands ont demandé au gouvernement de Guernesey de leur livrer trois Juives étrangères sur l’île : Therese Steiner et Auguste Spitz, nées en Autriche, et Marianne Grunfeld, qui était Polonaise.

Un soldat allemand garde le mur de l'Atlantique sur les îles anglo-normandes durant la deuxième guerre mondiale (Crédit : Getty images/iStock)
Un soldat allemand garde le mur de l’Atlantique sur les îles anglo-normandes durant la deuxième guerre mondiale (Crédit : Getty images/iStock)

Livrée aux nazis par la police locale de Guernesey, les trois femmes ont été emmenées en France et assassinées à Auschwitz en l’espace de quelques semaines.

L’année suivante, un grand nombre des Juifs qui se trouvaient encore dans les îles ont été déportés dans le cadre d’une plus grande opération qui avait été ordonnée par Hitler en riposte à l’attaque d’un commando britannique sur l’île de Serq.

A une exception près, ces Juifs n’ont pas été séparés des autres habitants des îles de la Manche et ont passé le reste de la guerre dans des camps d’internement en France et en Allemagne, ce qui leur a permis d’échapper au sort qui avait été réservé à Steiner, Spitz et à Grunfeld.

Néanmoins, les persécutions exercées à l’encontre des Juifs des îles de la Manche ont eu un lourd bilan. Victor Emmanuel s’est suicidé pendant la guerre, Nathan Davidson a été admis dans un hôpital psychiatrique de Jersey en 1943 et il y est décédé peu de temps après, Samuel Simon a été retrouvé mort d’une attaque cardiaque présumée la nuit qui a précédé sa probable déportation.

Des soldats allemands à un carrefour de Jersey durant l'occupation des îles anglo-normandes pendant la seconde guerre mondiale (Crédit : Domaine public)
Des soldats allemands à un carrefour de Jersey durant l’occupation des îles anglo-normandes pendant la seconde guerre mondiale (Crédit : Domaine public)

Après la libération en 1945, un silence est tombé sur les îles concernant un grand nombre des vérités désagréables de l’occupation. Ce silence a duré des décennies. Il s’est rompu au début des années 1990 lorsque des archives consacrées aux événements de la guerre ont été ouvertes à Londres et à Guernesey.

En 1995, des documents appartenant à Clifford Orange ont été découverts dans les archives d’état de Jersey et rendues publiques. Toutefois, ces réalités lugubres avaient été assez vite révélées au gouvernement de Londres après la libération des îles.

En août 1945, un rapport établi par les renseignements britanniques estimait que « lorsque les Allemands ont proposé de mettre en oeuvre les mesures anti-juives, aucune protestation n’a émané de la part des responsables de Guernesey qui se sont empressés d’apporter toute l’aide possible aux Allemands ». L’auteur notait également que, en comparaison, des efforts considérables avaient été livrés pour protéger les francs-maçons de l’île.

Aucun habitant des îles anglo-saxonnes n’a été poursuivi pour collaboration. Ni Victor Carey, l’huissier de Guernesey, qui avait qualifié les militaires britanniques de « forces ennemies » et offert la somme de 25 livres aux informateurs qui trahiraient ceux qui peinturluraient le signe « V » – symbole de la résistance – sur les murs.

Ni John Leale, pasteur méthodiste qui avait succédé à Sherwill au poste de président de la Commission de Contrôle et qui avait transmis le nom des Juifs figurant sur une liste collectée par la police de Carey aux Allemands.

Ni Alexander Coutanche, homologue de Carey à Jersey, qui a affirmé durant des années que la communauté juive des îles de la Manche n’avait pas souffert mais dont les annotations sur les ordonnances allemandes indiquaient clairement la complicité avec les nazis.

Aucune poursuite pour collaboration des habitants des îles anglo-normandes

« A la libération », pense le petit-fils de Carey, « le gouvernement ne savait pas s’il devait pendre mon grand-père pour trahison ou le décorer ».

Une décision a été bientôt prise. Carey, Coutanche et le procureur général de Jersey, Duret Aubin, ont tous été honorés. Leurs défenseurs ont prétendu que les autorités avaient fait office de « tampons » entre les Allemands et la population locale, mais ce tampon a offert bien peu de protection aux Juifs ou, en effet, aux 1 200 habitants des îles nés au Royaume-Uni qui ont été déportés dans des camps d’internement.

La résistance n’était pas facile. Il y avait un soldat allemand pour trois habitants mais de petites actions d’opposition aux nazis, peu organisées et souvent symboliques, ont toutefois eu lieu.

Une bannière avec un portrait d'Albert Bedane flottant à St. Helier lors du soixantième anniversaire de la libération de Jersey de l'occupation nazie (Domaine public)
Une bannière avec un portrait d’Albert Bedane flottant à St. Helier lors du soixantième anniversaire de la libération de Jersey de l’occupation nazie (Domaine public)

Certaines ont été plus significatives que d’autres. Albert Bedane a ainsi été distingué par Yad Vashem en l’an 2000 pour avoir abrité une Juive néerlandaise, Mary Richardson, dans la cave de son habitation de St. Helier pendant plus de deux ans.

L’année dernière, Dorothea Weber a elle aussi été honorée. Hedwig Bercu, une Juive autrichienne qui avait simulé sa propre mort, a vécu clandestinement à ses côtés depmuis 1943 jusqu’à la libération des îles. Leur histoire a connu deux tournants curieux. Weber était mariée à un réfugié autrichien, conscrit au sein de l’armée allemande. Les deux femmes ont été aidées par un soldat allemand, Kurt Ruemmele, qui leur apportait de la nourriture issue de trafics. Après la guerre, Bercu a suivi Ruemmele au Royaume-Uni où il a été emprisonné comme prisonnier de guerre. Ils se sont ensuite mariés et ont élevé leur famille en Allemagne.

De nombreux habitants des îles, bien sûr, ne pouvaient pas imaginer les intentions meurtrières des nazis à l’égard des Juifs.

Comme Barbara Newman, qui avait acocmpagné à pied Therese Steiner à la capitale de Guernesey le jour de sa déportation l’avait fait remarquer plus tard : « De pareilles choses ne surviennent pas en Angleterre ».

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