Israël en guerre - Jour 426

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Exposition

Des artistes israéliens répondent à l’isolement de la guerre par une réinterprétation d’œuvres mythiques

Jusqu'en février, « Masterpieces » au musée Mishkan du kibboutz Ein Harod contient 300 œuvres de 47 artistes qui ont le sentiment que la scène internationale leur a tourné le dos

L'exposition « Chefs-d'œuvre » au musée Mishkan du kibboutz Ein Harod, à l'automne 2024. (Photo de Daniel Hanoch)
L'exposition « Chefs-d'œuvre » au musée Mishkan du kibboutz Ein Harod, à l'automne 2024. (Photo de Daniel Hanoch)

La « Vénus » de Botticelli a été ressuscitée dans les endroits les plus improbables. Longtemps tenue à l’écart, la déesse de la Renaissance et du printemps accueille en ce moment les visiteurs une fois passé le guichet du musée Mishkan du kibboutz Ein Harod – mais non, elle n’a pas été prêtée par la Galerie des Offices de Florence. Cette Vénus est une création israélienne, grandeur nature et en polystyrène, œuvre de la sculptrice israélienne plusieurs fois récompensée Sasha Serber.

Bienvenue à « Chefs d’oeuvre », semble-t-elle dire, exposition collective de plus de 300 œuvres de 47 artistes israéliens qui redonnent vie aux illustres chefs-d’œuvre du passé pour les besoins du tout premier musée conçu à cet effet en Israël.

L’infrastructure moderniste blanchie à la chaux, signature du musée Mishkan (qui lui a valu une certaine renommée architecturale au-delà des frontières israéliennes), a momentanément cédé la place à des murs arborant des couleurs qui ne sont pas sans rappeler celles des bijoux, que l’on peut voir à l’étranger. Lavande, turquoise et carmin servent d’écrin aux peintures, dessins, vidéos et sculptures qui évoquent les plus riches heures de l’art occidental, mais avec un petit décalage, et répondent à la mosaïque des sols des kibboutznik.

La logique des salles suit celle des sources d’inspiration des œuvres : Renaissance italienne, Rembrandt, Caravage, Baroque, Romantisme et néoclassicisme, impressionnisme et post-impressionnisme, Picasso, Van Gogh, Renaissance du Nord. Si les artistes réinterprètent des chefs-d’œuvre, le Mishkan est, pour sa part, en train de recréer un musée encyclopédique façon Metropolitan Museum of Art ou Louvre.

« Tout cela a commencé comme une sorte de blague », admet Avi Lubin, conservateur en chef du musée Mishkan, qui a eu l’idée de cette exposition pendant la pandémie, à une époque où il était impossible de découvrir les musées de l’étranger.

Il connaissait des artistes qui avaient réinterprété des chefs-d’œuvre européens et collectionnait leur œuvre. Ces œuvres ne sont que rarement exposées, car le public s’intéresse peu aux artistes qui redonnent vie à l’œuvre d’autres artistes (même s’il s’agit en soi d’une tradition séculaire).

« Tout est parti d’une blague lorsque je me suis dit : mais pourquoi doit-on aller en Italie pour voir ‘La Cène’ ? Alors Adi Nes a refait « La Cène ». Faut-il aller jusqu’en Espagne pour voir « Guernica » ? Alors Aya Ben Ron a fait un ‘Guernica’ », explique-t-il.

Une reproduction de la Vénus de Botticelli accueille les visiteurs de l’exposition « Chefs-d’œuvre » au musée Mishkan du kibboutz Ein Harod, à l’automne 2024. (Photo de Daniel Hanoch)

Le sentiment d’isolement culturel n’a pas pris fin lorsque les vols ont repris suite aux campagnes de vaccination contre la COVID-19. Avec la refonte judiciaire, et aujourd’hui la guerre, d’autres couches se sont ajoutées à la quarantaine culturelle à l’origine de ces « chefs-d’œuvre ».

Suite à l’attaque du Hamas, le 7 octobre 2023, au cours de laquelle 1 200 hommes, femmes et enfants – essentiellement des civils – ont été massacrés et 251 pris en otage dans la bande de Gaza, la communauté artistique israélienne s’est vue frapper d’ostracisme en raison de la campagne militaire israélienne contre l’organisation terroriste du Hamas à Gaza. Phénomène qui s’est, pour certains, doublé d’une forme de repli sur soi.

« Je propose une exposition d’œuvres de la Renaissance à Picasso mais il n’y en a pas à proprement parler, et je pense qu’il n’y en aura pas de sitôt. Tout comme les artistes contemporains – nous n’allons sans doute pas beaucoup en voir dans les parages ces temps-ci. C’est une première chose. La seconde tient à quelque chose de très compliqué, en ce moment, sur la scène culturelle [internationale], qui est le fait d’être Israélien », poursuit Lubin. « À mon sens, cette situation d’enfermement culturel est catastrophique. »

Ce n’est pas la première fois que les créateurs israéliens subissent des actions de boycott, mais ces dernières n’ont fait qu’empirer ces douze derniers mois, et dans un grand nombre de domaines – cinéma, télévision, littérature et sport -. Dans le secteur des arts visuels, certains artistes étrangers préfèrent ne pas avoir de relations avec des institutions culturelles israéliennes et dans le même temps l’accès des artistes israéliens à l’étranger peut être limité.

L’exposition « Chefs-d’œuvre » au musée Mishkan du kibboutz Ein Harod, à l’automne 2024. (Photo de Daniel Hanoch)

Au début de la guerre, le calendrier des expositions du Musée d’art de Tel Aviv a dû être revu, certaines institutions étant revenues sur leur décision de prêter des œuvres d’art, officiellement en raison du surcoût en termes d’assurance.

En février dernier, des artistes et activistes ont créé un groupe appelé Art Not Genocide Alliance demandant l’exclusion du pavillon israélien de la Biennale de Venise. La lettre ouverte rédigée par ce groupe a été signée par des milliers d’artistes et de professionnels du milieu de la culture et des manifestants ont tenté d’empêcher le vernissage d’une exposition solo de Michal Rovner à la Pace Gallery de New York en mars. En mai, l’Académie royale des arts des Pays-Bas a cédé aux pressions d’une organisation étudiante et cessé toute relation avec l’Académie Bezalel des arts et du design. La liste est longue.

Dans le contexte des difficultés rencontrées par la communauté israélienne des arts visuels depuis octobre 2023, la programmation de « Chefs d’œuvre » semble une conversation à sens unique entre des artistes israéliens qui communiquent via un langage international et le silence qu’ils reçoivent en retour.

« Cette exposition aborde précisément cette question. Il est presque impossible [pour les artistes israéliens] de trouver des plateformes internationales, c’est un des problèmes. Je ne suis pas du style à fermer les yeux sur les crimes commis par Israël, bien au contraire. Mais pour qu’il se passe quelque chose ou que l’on trouve une solution, il faut qu’il y ait échange », dit Lubin. « L’impossibilité d’argumenter, de parler, c’est le problème. Particulièrement dans le domaine culturel. »,

Cinq tableaux de la série « Après Rubens » de Boyan représentant l’enlèvement des filles du roi Leucippe, lors de l’exposition « Chefs-d’œuvre » au musée Mishkan du kibboutz Ein Harod, à l’automne 2024. (Photo de Daniel Hanoch)

La prise de conscience de cet isolement et du caractère improbable d’une forme d’intérêt depuis l’étranger ne fait qu’ajouter à la profondeur de champ de ces libres réinterprétations depuis le début de la guerre.

Le peintre d’origine bulgare Boyan est, en ce qui le concerne, revenu à plusieurs reprises sur le sujet de l’enlèvement des filles du roi Leucippe dans sa série « Après Rubens », thème qui résonne particulièrement avec ce que vivent les otages et qui donne ici lieu à cinq versions de la même composition exposées dans l’aile baroque de l’exposition.

Dans la même aile, la peinture numérique d’Uri Ben Natan, le « Juif
errant », réinterprète le tableau du XVIIe siècle de Jan Vermeer
« L’Astronome », avec son personnage qui scrute le globe (peut-être à la recherche de son prochain refuge).

Autre série créée depuis octobre 2023, « Les Déplacés » – œuvres vidéo de tableaux vivants d’Asaf et Moran Gam Hacohen – ont recréé les célèbres tableaux « La Ronde de nuit » de Rembrandt et « Le déjeuner de la fête de bateaux » de Pierre-Auguste Renoir. Ces compositions emblématiques mettent en avant des Israéliens qui, comme les artistes eux-mêmes, se trouvaient en Asie orientale le 7 octobre et ont décidé de prolonger leur séjour. Certains d’entre eux sont même partis pour l’Asie au début de la guerre, pour mettre leurs enfants en sécurité.

Photo de la reproduction vidéo de « La Ronde de nuit » de Rembrandt, par Asaf et Moran Gam Hacohen. (Avec l’aimable autorisation des artistes)

« Ce retour aux classiques témoigne d’un besoin de se raccrocher à quelque chose de solide au beau milieu de cette réalité chaotique qui est la nôtre depuis le 7 octobre », confie Moran Gam Hacohen. « Nous avons puisé les forces et les qualités dont nous avions besoin dans des œuvres devenues tellement mythiques et intemporelles qu’elles ne sont plus rattachées à des lieux spécifiques. »

Le partenaire artistique et mari de Gam Hacohen, Asaf Gam Hacohen, ajoute que « les tableaux vivants sont complètement artificiels – ils sont tout sauf naturels et illustrent les tentatives désespérées des figurants d’incarner les personnages que l’on attendait d’eux et d’affronter les vents contraires qui risquent de tout emporter sur leur passage ».

L’exposition « Chefs-d’œuvre » au musée Mishkan du kibboutz Ein Harod, à l’automne 2024. (Photo de Daniel Hanoch)

Des vents violents semblent souffler sur les longs cheveux de la « Vénus » de Sasha Serber, mais ils ne la porteront probablement jamais en dehors d’Israël. Il est peu probable que les œuvres de « Chefs d’oeuvre » se rendent un jour à l’étranger, à la source de leur inspiration. Pour l’heure (et jusqu’en février prochain), elles sont visibles au Mishkan, leur lieu de conservation.

« Venez voir, il y a de tout – Botticelli, Léonard [NDLT : De Vinci] et Le Caravage, mais aussi Van Gogh. Entrez, mettez-vous à l’aise. Aucun d’eux n’est vraiment là », explique Lubin.

« Nous avons démarré ici un échange auquel personne ne répond. »

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