Des Iraniens appellent à la vengeance après les frappes israéliennes
Les rues de Téhéran sont quasi-désertes, à l'exception des stations-service ; le trafic aérien est interrompu ; "Nous ne pouvons pas laisser Netanyahu continuer, sinon nous finirons comme Gaza"

Dans la capitale iranienne, très calme pour cause de jour férié, des habitants appellent vendredi à la vengeance contre Israël, après son attaque d’une ampleur sans précédent contre des sites nucléaires et militaires et la mort de plusieurs hauts gradés et scientifiques iraniens.
Très remonté contre le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, Abbas Ahmadi, un employé de 52 ans, lance « qu’on ne peut pas laisser ce bâtard » continuer sinon « on finira comme Gaza », en référence à l’enclave en proie à plus de vingt mois de guerre déclenchée par le pogrom perpétré par le groupe terroriste palestinien du Hamas le 7 octobre 2023.
« L’Iran doit le détruire, il doit faire quelque chose », tempête-t-il, au volant de sa voiture.
La plupart des rues de Téhéran en ce vendredi sont quasi-désertes, la majorité des commerces étant fermés au milieu d’un week-end férié de trois jours à l’occasion de la fête chiite d’al-Ghadir.
Mais dans le centre de la capitale, qui abrite de nombreux bâtiments officiels, des Iraniens sont déjà dans la rue pour manifester contre l’ennemi juré et son allié américain. « Mort à Israël, mort à l’Amérique ! », scandent-ils, brandissant des drapeaux de la République islamique.
Certains portent aussi des portraits du guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, au pouvoir depuis 1989 et ultime décisionnaire. Selon la télévision d’État, des manifestations similaires se tiennent dans d’autres villes.

Plusieurs stations-service sont aussi prises d’assaut avec de longues files d’attente, un phénomène loin d’être inhabituel en Iran en période de tensions.
Les autorités ont annoncé des restrictions temporaires d’internet. Le pays « ne ménagera aucun effort » pour se défendre, a de son côté promis la présidence iranienne dans un SMS envoyé sur les téléphones portables.
Dans le quartier cossu de Nobonyad, au nord de Téhéran à quelques pas des majestueux sommets de l’Alborz, deux immeubles résidentiels lourdement endommagés et dont des flammes s’échappent encore, témoignent de l’ampleur de l’attaque israélienne.
Les secouristes s’affairent au milieu des débris dans la zone, bouclée par un important dispositif de sécurité. Des familles en pleurs et des badauds sont réunis à proximité.
« Vivre dans la peur »
« Combien de temps allons-nous encore vivre dans la peur ? », s’interroge Ahmad Moadi, un retraité de 62 ans vêtu d’une élégante chemise à rayures.
« En tant qu’Iranien, je pense qu’il doit y avoir une réponse écrasante, une réponse cinglante », dit-il d’un ton posé.
L’Iran et Israël, ennemis jurés depuis la Révolution islamique de 1979, se livrent depuis des années à une guerre de l’ombre.
L’an dernier, les tensions avaient atteint leur paroxysme lorsque l’Iran et Israël avaient à tour de rôle attaqué leur territoire respectif, sur fond de guerre contre le Hamas à Gaza.
L’Iran arrête régulièrement des individus présentés comme des espions et a dans le passé accusé Israël d’être à l’origine d’assassinats ciblés ou de sabotages en lien avec son programme nucléaire.
Au moins six scientifiques du programme nucléaire iranien et plusieurs hauts gradés du Corps des Gardiens de la Révolution islamique (CGRI), le bras armé du régime iranien, dont son chef d’état-major, ont été tués vendredi.
La chaine d’information principale d’État, a affiché un bandeau noir de deuil sur les écrans, ensuite remplacé par un drapeau iranien, et diffusé de nombreuses images d’archives des personnalités tuées.
« Ils ont tué tant de professeurs d’université et de chercheurs, et ensuite ils vont négocier ? », déplore Moadi, en référence aux Israéliens, que le pouvoir accuse d’être à la solde des États-Unis.
« Un peu de paix »
Washington a entamé en avril des négociations avec Téhéran sur son programme nucléaire.
Israël, comme les Occidentaux, accuse l’Iran de vouloir se doter de la bombe atomique et y voit une menace existentielle. Téhéran, qui se défend vigoureusement d’avoir de telles ambitions militaires, dit développer le nucléaire pour des besoins civils, notamment pour l’énergie.
L’attaque israélienne a été déclenchée alors que l’Iran et les États-Unis devaient mener dimanche un 6ᵉ cycle de pourparlers sur le nucléaire, sous médiation du sultanat d’Oman, mais leur tenue est désormais incertaine.
Washington exige le démantèlement complet des activités nucléaires iraniennes, une exigence que Téhéran considère comme « non négociable ».
« Ils veulent nous priver de notre capacité nucléaire, c’est inacceptable », estime Ahmad Razaghi, 56 ans, au diapason de la position officielle.
Pour Farnoush Rezaï, une infirmière de 45 ans portant un hijab coloré, les frappes israéliennes de vendredi représentent le dernier acte d’un pays proche de « son dernier souffle ». Les dirigeants iraniens assurent depuis des décennies qu’Israël disparaîtra « bientôt ».

« Si Dieu le veut, au moins un peu de paix en sortira », veut espérer Rezaï.
Les attaques de vendredi ont eu lieu après plus d’un an de tensions croissantes, alors qu’Israël s’en prenait aux mandataires de l’Iran : le Hamas à Gaza, le groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah et les Houthis au Yémen.
La guerre à Gaza a éclaté lorsque quelque 6 000 Gazaouis dont 3 800 terroristes dirigés par le Hamas ont pris d’assaut le sud d’Israël le 7 octobre 2023, tué plus de 1 200 personnes, principalement des civils, enlevé 251 otages de tous âges, et commis de nombreuses atrocités et en utilisant la violence sexuelle comme arme à grande échelle.
Le Hezbollah a commencé à tirer sur Israël le lendemain, tandis que les Houthis ont commencé à attaquer des navires liés à Israël et à tirer des drones et des missiles balistiques sur Israël.
Au milieu des tensions, Israël et l’Iran se sont livrés à deux reprises à des frappes aériennes l’an dernier, sans toutefois entrer en guerre ouverte.
Mais après l’attaque de vendredi, toutes les hypothèses étaient possibles quant à la suite des événements, Khamenei avertissant Israël qu’il allait connaître un destin « amer et douloureux », tandis que l’armée iranienne déclarait qu’il n’y aurait « aucune limite » à sa riposte.
Si les manifestants ont exprimé leur colère envers Israël et leur soutien au régime, il n’y a pas eu de manifestations de masse et de nombreux messages publiés sur les réseaux sociaux par des exilés iraniens ont exprimé l’espoir que l’assassinat de nombreux hauts responsables militaires iraniens puisse accélérer la fin de la République islamique.

Le trafic aérien a été interrompu à l’aéroport international Imam Khomeini de Téhéran en raison de perturbations dans toute la région.
Dans le quartier chic de Nobonyad, au nord de Téhéran, les secouristes ont continué à fouiller les décombres de deux immeubles qui semblaient avoir été précisément visés par des frappes israéliennes.
Selon l’agence de presse iranienne Nour, les frappes sur des zones résidentielles de Téhéran ont fait 78 morts et 329 blessés.
Des familles en larmes se sont rassemblées à proximité.