Des milliers de Syriens exultent en Europe, en Turquie et au Kurdistan d’Irak après la chute d’Assad
Sur Trafalgar Square au centre de Londres, des centaines de manifestants ont chanté : "La Syrie est à nous, pas à la famille Assad"
« Enfin nous sommes libres ! », lance Bassam Al Hamada, 39 ans, sourire aux lèvres. En Allemagne, où vit la plus grande diaspora syrienne de l’UE, ainsi que dans de nombreuses villes d’Europe, des milliers de manifestants ont fait éclater leur joie dimanche après la chute d’Assad.
De la Grèce – qui fut la porte d’entrée de l’Union pour des centaines de milliers de Syriens fuyant la guerre civile en 2015 et 2016 – à la Suède, deuxième pays à avoir accueilli le plus grand nombre de Syriens après l’Allemagne dans l’UE, en passant par le Royaume-Uni et la France, des rassemblements ont eu lieu, réunissant à chaque fois des centaines ou milliers de personnes.
A Berlin, sur une grande place du quartier populaire de Kreuzberg, quelque 5 000 manifestants, selon la police, ont agité des drapeaux vert, blanc, noir et rouge, où l’on pouvait parfois lire « Syrie libre » ou « liberté ».
Même liesse sur l’esplanade en face du Parlement dans le centre d’Athènes, où la foule a scandé « Allah, Syrie, liberté ! » et « ensemble, ensemble, ensemble ». A Stockholm, où la télévision TV4 a rapporté le déploiement du drapeau de l’opposition syrienne sur le mât de l’ambassade de Syrie et à Vienne, où il était écrit « liberté » sur les drapeaux.
Sur Trafalgar Square au centre de Londres, des centaines de manifestants ont chanté : « La Syrie est à nous, pas à la famille Assad ». Place de la République, au coeur de Paris, environ 300 personnes ont manifesté, selon un journaliste de l’AFP.
A Berlin, beaucoup étaient venus en famille, avec femmes et enfants, aux visages peints aux couleurs nationales de la Syrie, dans une ambiance relativement calme, malgré le lancement de quelques fumigènes. La police locale avait mobilisé plusieurs centaines d’agents pour assurer la sécurité.
Malgré la pluie fine, le temps gris et froid, l’ambiance était à l’allégresse dans la capitale allemande, beaucoup faisaient le « V » de la victoire en chantant. Des cris « Allah akbar ! » (« Dieu est le plus grand ! »), ont aussi retenti dans la foule.
L’Allemagne compte environ un million de Syriens, arrivés pour la plupart après le déclenchement de la guerre civile en 2011, notamment lors de la « crise migratoire » de 2015, avec une importante communauté installée à Berlin.
À Istanbul
Des centaines de Syriens ont accouru dimanche matin devant la grande mosquée du quartier de Fatih à Istanbul, l’un des épicentres de la communauté syrienne de la ville, forte de 500.000 membres, heureux d’être « débarrassés d’Assad ».
« Je ne pensais pas que ça arriverait un jour, même pas dans trois siècles ! Personne ne s’y attendait, c’est une victoire immense ! », exulte Mohamad Cuma, un étudiant syrien arrivé d’Alep il y a trois ans.
« C’est incroyable, on a l’impression de renaître », lance, incrédule, Sawsan Al-Ahmad, tenant son jeune fils d’une main. Cette mère de famille a vécu en 2011 les premiers mois de l’impitoyable siège de Homs par les forces du régime syrien, et se réjouit à l’idée d’emmener son fils « sur sa terre », maintenant que le règne de la famille Assad est terminé.
Derrière elle, sous la pluie battante, des centaines de Syriens scandent « Allah akbar ! » (« Dieu est le plus grand ! »), certains appelant à exécuter Bachar al-Assad en agitant des drapeaux de la révolution syrienne.
Au milieu du brouhaha, audible à des centaines de mètres à la ronde, un homme brandit un portrait d’Abdel-Basset al-Sarout, une ancienne star du football syrien devenu combattant rebelle et mort en 2019 dans des affrontements avec les forces du régime.
« Aujourd’hui est une grande fête pour nous, les Syriens ! », lâche Ibrahim Al-Mohamed, 42 ans, un des trois millions de réfugiés syriens à vivre sur le sol turc.
Au milieu des scènes de liesse, le père de famille peine à cacher son émotion. « Mon fils est devenu handicapé à cause d’Assad. Nous vivions à Alep et une bombe a été larguée sur l’immeuble voisin. Mon fils a été traumatisé, il n’arrivait plus à parler. Il a treize ans désormais et commence à aller un peu mieux », dit-il, les yeux rougis.
« Dieu soit loué, nous sommes débarrassés d’Assad », dit Ahmed Mohamad, professeur de Coran arrivé d’Alep il y a onze ans après avoir fait défection de l’armée syrienne.
« Si Dieu le veut, il sera décapité », ajoute-t-il en passant son pouce sous sa gorge pour mimer une lame.
Mohamad Cuma « se fiche » lui de ce qu’il adviendra d’Assad. « Il est parti et c’est l’essentiel. Qu’il aille en Russie, en Biélorussie ou Venezuela, laissez-le y aller. Dans tous les cas, il finira en enfer ».
Il espère désormais que « toute la Syrie sera unifiée sous un même drapeau », et prédit que 50 % des Syriens réfugiés en Turquie rentreront chez eux.
La chute d’Assad lui fait aussi revoir ses rêves : « Jusqu’à la semaine dernière, mon plan était de poursuivre en master au Royaume-Uni », dit l’étudiant en ingénierie civile à la prestigieuse université stambouliote de Bogaziçi. « Mais désormais, je me dis que je pourrais être utile à la reconstruction de la Syrie, donc je vais très probablement rentrer ».
Au Kurdistan d’Irak
Brandissant l’emblématique drapeau de l’opposition frappé de trois étoiles rouges, des dizaines de Syriens réfugiés au Kurdistan d’Irak ont célébré aussi dimanche la chute du dictateur syrien.
Près de la citadelle pluricentenaire d’Erbil, la capitale du Kurdistan autonome dans le nord de l’Irak, des Syriens en liesse ont effectué quelques pas de dabké, la danse traditionnelle du levant, d’autres ont scandé « un, un, le peuple syrien est un ».
Bachar al-Assad « nous a exilé, il a tué son peuple et il nous a fait subir tout ce qui pouvait l’être », dit à l’AFP Ayman Assir, 24 ans.
« Il a tenté par tous les moyens de finir cette révolution, mais grâce à Dieu la révolution a vaincu, après près de 14 ans de guerre. »
Comme de nombreux autres, « à cause du service militaire obligatoire », le jeune homme a évité ces dernières années de rentrer dans un pays morcelé. Mais il rêve de prendre « le premier avion » pour retourner en Syrie.
L’Irak, qui partage avec la Syrie une longue frontière de 600 km, accueille environ 280.000 Syriens qui ont le statut de réfugiés auprès de l’ONU. La majorité vivent au Kurdistan.
Ils font partie des millions de personnes jetées sur la route de l’exil après la guerre en Syrie, où la répression de manifestations antirégime a déclenché la guerre en 2011.
La quadragénaire Oum Cham se dit « heureuse après la chute du régime et la libération totale » du pays. « Si Dieu le veut, nous rentrerons tous et la Syrie sera reconstruite. Ca suffit les tourments, l’oppression et les bourreaux. »
Originaire de Lattaquié, bastion de la famille Assad dans l’ouest syrien, Salim Eïdo brandit le drapeau de l’opposition. « Aujourd’hui c’est une fête d’indépendance. Enfin le peuple respire, après plus de vingt années de dictature et d’oppression. »
Salma Moustapha est venue participer aux célébrations, mais cette Kurde syrienne de 35 ans espère la mise en place d' »un gouvernement qui donne leurs droits à tous les Syriens, toutes ethnies confondues ».
Pour elle, un seul vœu : « la nomination d’un bon dirigeant pour le pays ».
En Égypte
Reda al-Khedr n’avait que cinq ans lorsqu’il a fui avec sa mère, en 2014, le siège de la ville de Homs par l’armée syrienne. Dix ans plus tard, au Caire, il a encore du mal à croire que le pouvoir, qui a tué son père, est tombé.
« Je me souviens à peine de la Syrie », déclare l’adolescent à l’AFP. « Mais maintenant, nous allons rentrer chez nous, dans une Syrie libérée. Nous en avons fini avec Bachar al-Assad et son régime corrompu », se réjouit-il, après la prise de Damas dimanche par des rebelles emmenés par des islamistes radicaux, et la fuite du président déchu, qui met fin à un demi-siècle de règne de son clan.
Le père de M. Khedr avait disparu en 2014. Sa mort a été confirmée l’année dernière, avant que les insurgés n’ouvrent une prison après l’autre, libérant des milliers de personnes. L’adolescent dit faire partie de la « nouvelle génération » syrienne « qui reconstruira en mieux » le pays.
Depuis 2011, quand la répression des manifestations prodémocratie a tourné à la guerre civile, environ 1,5 million de Syriens ont cherché refuge en Egypte, selon les estimations onusiennes. Quelque 150.000 d’entre eux sont enregistrés comme réfugiés.
Dimanche, dans l’ouest du Caire, où les entreprises syriennes sont concentrées, l’air est à la fête.
« La moitié de l’équipe ne s’est pas présentée, ils ont passé toute la nuit à faire la fête », déclare à l’AFP le gérant d’un restaurant syrien. « Maintenant, on est à court de personnel. »
Mohamed Feras, vendeur dans un magasin voisin, a les yeux rivés sur les informations depuis la nuit. « Je n’ai pas vu ma famille depuis 13 ans. Maintenant, je peux enfin rentrer chez moi », dit ce trentenaire qui, à 19 ans, avait fui son pays, comme un grand nombre de jeunes, pour échapper au service militaire.
« Ma famille me demande déjà ce que je veux manger pour mon premier repas à Damas », s’amuse-t-il.
Pour les milliers de Syriens qui ont pris racine en Egypte, le retour « ne se fera pas du jour au lendemain », note Mohamed al-Shami, chef cuisinier de 36 ans. « Mais nous retournerons » en Syrie, assure-t-il, même si sa maison familiale près de Damas a été « rasée par des bombardements ».
Pour Shawkat Ahmed, 35 ans, directeur d’une confiserie, « il n’y a plus de retour en arrière possible », malgré « quelques craintes de voir le chaos s’installer ». Sa première réaction a été de se demander « ce qui est arrivé à Bachar », qui se trouve à Moscou, selon les agences de presse russe.
Pour certains, la joie se teinte de peine. « Je ne peux m’empêcher de penser à mon ami qui a appelé à la liberté il y a 15 ans, j’aimerais qu’il puisse voir cela », déclare Yassin Nour. A 30 ans, ce natif d’Alep dit avoir passé près de la moitié de sa vie à l’ombre des « destructions, tueries, déplacements et terreur » qui ont suivi le soulèvement syrien.
« Vous ne pouvez pas nous quitter maintenant », lance un client égyptien dans la confiserie. « Vous viendrez nous voir dans une Syrie libre », répond le vendeur en lui offrant des sucreries tout juste baptisées « bonbons de la victoire ».
Aider à la reconstruction du pays
Au vu des bouleversements en Syrie, l’extrême droite allemande, qui a beaucoup prospéré sur les craintes générées dans une partie de l’opinion par l’arrivée des migrants, rejette par avance tout nouveau « flux migratoire ». « Les frontières sont fermées, nous n’acceptons plus personne ! », a lancé dimanche sa principale dirigeante Alice Weidel, sur X.
« Comme beaucoup de Syriens, je voudrais retourner dans mon pays pour aider à le reconstruire », affirme pour sa part Bassam Al Hamada, qui est travailleur social après avoir fui Raqqa (centre) et être arrivé en Allemagne début 2016.
Sa compatriote Sabreen, 36 ans, venue également au grand rassemblement berlinois pour exprimer son soulagement après le départ de Bachar al-Assad, compte pour le moment « aider depuis l’Allemagne ».
« Si nous retournons maintenant en Syrie, nous ne leur apportons pas grand chose. Il y a déjà sur place des ingénieurs, des médecins et des travailleurs spécialisés », explique à l’AFP cette architecte arrivée il y a huit ans de Tartous, grande ville côtière du pays.
Juger Assad
Beaucoup de manifestants en Allemagne demandent que Bachar al-Assad soit jugé devant un tribunal international.
« Assad est le plus grand terroriste que l’on puisse imaginer », lance Ahmad al-Hallabi, qui a fui la Syrie en passant par la Turquie et la Grèce en 2015.
Accompagné de ses deux enfants, cet homme de 27 ans est venu exprimer son soulagement dans le quartier voisin de Neukölln.
« Il y a dix ans, j’étais en Syrie et j’ai vu des choses que personne ne devrait voir, des choses que l’on oublie pas », dit ce mécanicien, originaire d’Alep. « J’espère la paix et que tout ce qu’Assad et ses gens ont détruit soit reconstruit », veut-il croire.