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Des musulmans soulèvent le tabou de l’antisémitisme musulman en France

"L'antisémitisme fait partie de préjugés communs dans la mentalité musulmane", relève le philosophe Abdennour Bidar

La Grande mosquée de Paris. Illustration. (Crédit : Wikimedia Commons)
La Grande mosquée de Paris. Illustration. (Crédit : Wikimedia Commons)

Quand son frère lui a demandé que dire à un enfant ayant traité un camarade de sale juif, Soufiane Zitouni lui a répondu qu’il fallait d’abord cesser de tenir en famille « certains propos » sur les juifs.

Ce professeur de confession musulmane, qui a exprimé dans une tribune publiée par le journal Libération son émotion après les attentats qui ont frappé en janvier la France, évoque auprès de l’AFP « l’antisémitisme culturel » de nombreuses familles musulmanes où l’on croit dur comme fer que les juifs possèdent argent et pouvoir, voire sont les vrais maîtres du monde.

Iannis Roder, qui enseigne l’histoire dans un collège d’une banlieue populaire de Paris, alerte depuis une quinzaine d’années, longtemps sans grand succès, sur cet antisémitisme exprimé par « des élèves qui s’identifient eux-mêmes comme musulmans ».

« L’un d’eux m’a dit un jour ‘les juifs tiennent les médias, tout le monde le sait sauf vous' », se souvient ce professeur, qui insiste sur la nécessité du « dialogue » avec les adolescents. La plupart « ne sont pas dans l’idéologie, ils répètent ce qu’ils ont entendu », souligne-t-il.

Selon une enquête de la Fondation pour l’innovation politique publiée en novembre 2014, « les musulmans sont deux à trois fois plus nombreux que la moyenne des Français à partager des préjugés contre les juifs ».

Souvent qualifié par euphémisme de « nouvel antisémitisme » par opposition au vieil antijudaïsme chrétien, en perte de vitesse, ou à l’antisémitisme d’extrême droite, l’antisémitisme en milieu musulman est de plus en plus nommé et dénoncé par des musulmans eux-mêmes, dans un pays qui compte les plus nombreuses communautés juive et musulmane d’Europe.

La France a connu ces dernières années plusieurs attentats antisémites commis au nom de l’islam, le dernier dans un magasin casher de Paris qui a fait quatre morts le 9 janvier, deux jours après l’attaque meurtrière contre le journal Charlie Hebdo.

Les responsables musulmans et le président François Hollande ont affirmé que ces actes commis par de jeunes Français se réclamant du djihadisme n’ont « rien à voir » avec l’islam.

Mais parallèlement, les actes antisémites – agressions, insultes, inscriptions – sont en forte hausse, alimentant un climat d’insécurité et de méfiance parmi les quelque 600 000 juifs français.

‘Victime et bourreau’

Interrogé par l’AFP, le philosophe Abdennour Bidar souligne que « l’antisémitisme fait partie de préjugés communs dans la mentalité musulmane », avec des clichés « vieux comme le monde » qui prolifèrent sur « la misère morale et spirituelle dans laquelle grandissent trop de jeunes d’origine musulmane ».

« Quand donc, sur ce plan comme sur d’autres, les musulmans vont-ils enfin commencer à assumer leurs responsabilités, et à reconnaître qu’il y a une dégénérescence de leur culture dans trop de familles et de milieux ? », demande le philosophe, animateur d’une émission, « Cultures d’islam », sur la radio France Culture.

Le déni de cette réalité existe aussi dans une partie de la société française, surtout à gauche, où les musulmans des quartiers populaires, immigrés ou descendants d’immigrés venus des anciennes colonies françaises au Maghreb ou en Afrique subsaharienne et premières victimes du chômage, sont d’abord vus comme des victimes des discriminations et du racisme.

« Mais on peut être à la fois victime et bourreau », relève Iannis Roder.

La création d’Israël en 1948 et le conflit israélo-palestinien sont généralement cités comme la cause principale des relations conflictuelles entre musulmans et juifs, et chaque épisode de tension au Proche-Orient voit effectivement monter les incidents antisémites en France.

Mais pour l’historien spécialiste du Maghreb Benjamin Stora, président du musée de l’Immigration à Paris, ce facteur n’est venu quasiment « qu’en fin de course » dans une histoire tourmentée propre à la France.

Après la colonisation de l’Algérie, rappelle-t-il, les juifs qui disposaient en terre d’Islam d’un statut à la fois protégé et inférieur de « dhimmi », vécu par les intéressés comme « obsolète » à la lumière des idées répandues par la Révolution française, ont obtenu la pleine citoyenneté française. Mais pas les musulmans.

Puis au moment de l’indépendance algérienne en 1962, les juifs ont émigré massivement vers la France, où ils étaient traités comme Français à part entière, alors que dans le même temps les immigrés algériens devenaient étrangers dans le pays où ils étaient venus travailler.

Cette histoire a abouti à séparer les deux communautés après des siècles de cohabitation et « provoqué ressentiment et méfiance », souligne Benjamin Stora.

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