Des rescapés de la Shoah revivent les horreurs du passé en racontant leur 7 octobre
Plusieurs Juifs rescapés de la Seconde Guerre mondiale ont vécu le massacre du Hamas. Ils ont des choses importantes - et toutes différentes - à dire
JTA — Quatre-vingts-quatre ans après sa fuite de Pologne avec ses proches, peu de temps avant l’invasion allemande, le rescapé de la Shoah Dov Golebowicz a une fois de plus dû faire face à une invasion, cette fois lorsque les terroristes du Hamas ont pris d’assaut son kibboutz de Nirim, le 7 octobre dernier.
Pendant 12 heures, Golebowicz s’est retrouvé piégé, avec son fils Gideon, dans leur pièce sécurisée. Son fils a bricolé un petit dispositif en bois pour assurer la fermeture de la porte, qui ne dispose pas de serrure. Cinq personnes du kibboutz ont été assassinées et cinq autres, kidnappées : deux d’entre elles sont toujours otages à Gaza. A Nirim, Zvi Solow est l’autre rescapé de la Shoah à avoir survécu à l’attaque.
Dans les semaines qui ont suivi le 7 octobre, Golebowicz a fait l’objet de nombreux reportages, y compris sur CNN, qui ont attribué sa survie, le 7 octobre dernier, à son expérience de la Shoah. D’autres, qui ont vécu des horreurs ce jour-là ont également fait le lien entre les deux événements.
Pour autant, Golebowicz est plus que réservé à l’idée de mettre ces événements sur le même plan, au motif que cela atténue l’impact de la Shoah.
« Je pense qu’il ne faut pas mélanger les deux », explique-t-il à la Jewish Telegraphic Agency. « Bien sûr, ce qui s’est passé le 7 octobre est barbare et épouvantable, mais il s’agit d’une attaque terroriste qui a duré une journée. »
Golebowicz est l’un des nombreux rescapés de la Shoah à avoir aussi vécu les carnages du 7 octobre. Tous très âgés – les plus jeunes ont plus de 70 ans – ils estiment avoir des choses importantes à dire, même s’ils ne sont pas tous du même avis.
Haïm Raanan, qui a survécu au ghetto de Budapest dans son enfance, n’hésite pas à qualifier le massacre du 7 octobre de « seconde Shoah ».
Fondateur du kibboutz Beeri, l’une des communautés de l’enveloppe de Gaza la plus durement touchée le 7 octobre, Raanan considère que lui et ses proches ont survécu grâce à « la chance ». Plus de 100 habitants de Beeri sont morts ce jour-là.
« Déjà rescapé de la Shoah, je n’aurais jamais pensé devoir de nouveau me cacher pour me sauver la vie », confiait Raanan, mardi dernier, à l’occasion d’un événement organisé à la résidence de l’ambassadeur de l’Union européenne (UE) en Israël, Dimiter Tzantchev, pour la Journée internationale en mémoire des victimes de la Shoah.
« Cela a été un grand choc pour moi de voir, une fois de plus, quatre-vingts ans après la Shoah, des étoiles de David peintes sur les maisons de Juifs en Europe comme aux États-Unis, pour en faire des cibles et les effrayer suite au massacre dévastateur du 7 octobre », a-t-il déclaré en parlant des graffitis découverts dans certaines grandes villes dont Paris et que les autorités attribuent dans certains cas à des agitateurs russes.
« Cela me rappelle les persécutions antisémites que j’ai endurées lorsque j’étais enfant », souligne Raanan. « Je n’aurais jamais imaginé que cela pourrait arriver à nouveau. »
Raanan a demandé aux diplomates européens présents lors de l’événement de faire tout leur possible pour lutter contre l’antisémitisme. En marge de cet événement a eu lieu le vernissage de l’exposition photo baptisée « Les humains de la Shoah », dans laquelle on retrouve un portrait de Raanan.
Le photographe à l’origine du projet, Erez Kaganovitz, dit que les participants à l’événement ont été « sidérés » lorsque Raanan leur a raconté comment il avait survécu.
« Combien de souffrances une personne peut-elle endurer au cours d’une vie ? » a déclaré Kaganovitz à la JTA. « En l’écoutant, j’ai réalisé que le fait de dire ‘plus jamais’ devait avoir du sens. »
Le rescapé de la Shoah Gidon Lev, 88 ans, est devenu célèbre pendant la pandémie de COVID-19 grâce à TikTok. C’est avec sa compagne Julie Gray, dans le but de lutter contre la désinformation sur la Shoah et de promouvoir son livre, qu’il a ouvert son compte, qui a rapidement compté plus de 460 000 abonnés et des millions de likes. Trois ans plus tard, Lev a fermé son compte, pour des motifs tenant au harcèlement antisémite, suite au 7 octobre, et aux réticences du géant des réseaux sociaux à prendre des mesures.
« Avant la guerre, c’était de l’antisémitisme classique. Oh, comme je le regrette aujourd’hui. C’était facile à réfuter et contester », explique Gray à la JTA. Mais depuis le 7 octobre, « il y a eu un brutal et puissant renversement de tendance », explique-t-elle.
« Les mêmes jeunes qui suivaient Gidon et le félicitaient pour son action pédagogique sur la Shoah et ses messages de tolérance et de pensée critique ont commencé à le traiter de complice du génocide et même de ‘tueur de bébés’ », se rappelle Gray.
« Tous les deux, nous nous sommes sentis totalement abattus. Nombre de créateurs de contenus juifs de TikTok se sont rebellés et tiennent bon, mais pour nous, qui vivons en Israël, avec le choc, les sirènes et la course vers les abris, c’était trop », explique-t-elle. « Ce n’est pas le pire qui soit arrivé : c’est clairement le 7 octobre, la pire de ces choses, mais ça m’a vraiment fait mal. Tout le travail que nous avions fait semblait n’avoir eu aucun impact. »
Mercredi, Lev et Gray sont rentrés d’un voyage en Pologne, où ils ont accompagné le milliardaire Elon Musk et le conservateur américain Ben Shapiro dans le camp de la mort d’Auschwitz.
Après la visite, Musk a estimé que si les réseaux sociaux avaient existé au moment de la Shoah, rien de tel ne serait arrivé. A l’instar de TikTok, la plateforme de réseaux sociaux de Musk, X, est également critiquée pour son indolence face à l’antisémitisme.
Musk « m’a donné le sentiment d’être un ado dangereux », confie Gray, « ivre de pouvoir. Du genre à tout brûler derrière lui. Il s’est montré attentif à Auschwitz, « saluant poliment Gidon et l’écoutant attentivement – enfin plus ou moins », mais ses propos, ensuite, dans lesquels il s’est dit « juif sympathisant », nous ont déçus et ont montré une « totale déconnexion vis-à-vis de la réalité des choses », ajoute-t-elle, concluant que c’était un peu « comme inviter un pyromane à une convention de lutte contre les incendies ».
Suite au 7 octobre, Gray a voulu prendre l’un des vols affrétés pour l’évacuation des ressortissants américains. Mais Lev, dont le fils et le petit-fils sont réservistes, a insisté pour rester. « Je ne veux plus fuir », a dit Lev à Gray.
« Je n’ai plus rien et tout est à recommencer »
La première fois que Mira Talalayevsky a eu la vie sauve, c’était le 29 septembre 1941 : elle n’avait pas 2 ans. Sa mère l’avait emmenée avec elle pour fuir le ghetto de Kiev, la veille de l’ordre donné aux Juifs de marcher vers leur mort, à Babyn Yar.
La deuxième fois, ce fut le 8 octobre 2023, lorsque sa maison d’Ashkelon a été la cible d’une roquette du Hamas.
Talalayevsky a miraculeusement survécu, mais a été blessée au visage par des éclats d’obus et souffre de brûlures causées par l’incendie qui s’est propagé après l’impact. Sa maison et tous ses biens ont été entièrement détruits.
« Je suis âgée et je n’ai plus rien : je dois recommencer à zéro », a déclaré Talalayevsky.
Agée de 85 ans, elle était trop jeune pour se souvenir de la nuit où elle a été arrachée aux griffes des nazis, mais elle explique que, petit à petit, sa mère lui a donné tous les détails de leur évasion. Lorsque les Juifs de Kiev ont été rassemblés pour être transférés dans le ghetto, les gardes ukrainiens ont reçu l’ordre de récupérer tous les objets de valeur. Sa mère, une femme instruite qui parlait allemand, a reçu l’ordre de répertorier tous les objets spoliés.
Sa mère s’est liée d’amitié avec un garde qu’elle avait vu empocher secrètement des bijoux pour lui. Plus tard, ce gardien l’a avertie que les Allemands viendraient le matin pour tuer tout le monde dans le ghetto et cette nuit-là, il l’a aidée à monter à bord d’un train de marchandises.
« Je ne me souviens que de la faim, permanente, et du froid de ces années-là. Mon enfance m’a été enlevée, mais au moins je suis restée en vie », confie Talalayevsky.
Quatre-vingts-deux ans plus tard, elle s’est réfugiée dans sa baignoire en entendant la sirène d’alerte. Cela lui a paru l’endroit le plus sûr de son appartement, qui est ancien et dépourvu de pièce sécurisée. Une violente explosion a détruit sa maison et Talalayevsky a perdu connaissance.
Ce sont ses voisins qui l’ont extraite des décombres.
Trois mois plus tard, Talalayevsky attend toujours que son appartement soit reconstruit. Pour l’heure, elle est logée par le gouvernement dans un appartement plus récent de la ville.
Elle attribue à l’International Fellowship of Christians and Jews le mérite d’avoir été la première organisation à lui venir en aide après l’attaque, en lui offrant un soutien matériel et émotionnel. « En tant que femme de foi, c’est très émouvant d’entendre qu’il y a beaucoup de chrétiens aux États-Unis qui se soucient de moi. »
Golebowicz, lui aussi, vit dans un logement temporaire – une maison de retraite près de la ville côtière de Netanya, avec d’autres évacués de Nirim. Il dit avoir la ferme intention de retourner vivre à Nirim dès que possible.
« Je retournerai chez moi, là où je vis depuis 70 ans et je vais aider à la reconstruction », ajoute-t-il. « Tous les kibboutzim détruits seront reconstruits et redeviendront un jour prospères, parce qu’en Israël, nous sommes déterminés et forts, mentalement. »
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