Deux descendants d’Alfred Dreyfus témoignent pour la première fois à la télévision française
Charles Dreyfus et son fils Michel disent se battre pour la « réhabilitation » de leur ancêtre qui, bien que sa culpabilité soit désormais totalement écartée, souffre d'une image tronquée de son rôle dans sa propre affaire

Deux descendants d’Alfred Dreyfus ont témoigné sur le plateau de « En société », vendredi 28 mars sur France 5, près de 130 ans après la condamnation à tort de ce capitaine français au cœur de dures tensions avec l’Allemagne.
Charles Dreyfus, petit-fils d’Alfred, et son fils Michel Dreyfus sont revenus sur cette affaire qui, sur fond d’antisémitisme, a secoué la France au tournant du 20e siècle, divisant le pays, sa classe politique et ses intellectuels.
Alfred Dreyfus (1859-1935), officier juif français, fut victime d’une erreur judiciaire à caractère antisémite. Condamné à la dégradation et à la déportation à vie pour « espionnage » au profit de l’Allemagne, il avait ensuite été gracié et rétabli dans son grade, après la découverte d’un faux qui avait joué un rôle capital dans son arrestation.
« Mon grand-père est décédé quand j’avais huit ans », a déclaré Charles Dreyfus. « C’était un grand-père affectueux et très différent de l’image publique qu’on avait de lui. On le considérait comme quelqu’un de sec, d’effacé. »
« Mon grand-père ne parlait jamais de l’affaire. Il ne parlait pas des souffrances qu’il avait subies pendant 1 500 jours à l’Île du Diable [où il a été exilé]. C’est d’ailleurs pour cela qu’on a jugé utile de publier l’ensemble de ses écrits pour compenser ce grand silence. »
Charles Dreyfus a d’ailleurs visité l’Île du Diable, situé en Guyane française, où son grand-père a été condamné au bagne pendant cinq ans, à l’occasion du centenaire de sa condamnation. « J’ai passé beaucoup de temps dans cette case [où Alfred Dreyfus a été interné] à regarder les murs, parce que pendant des mois, c’était son seul horizon. Il n’avait aucune ouverture sur quoi que ce soit. C’était très émouvant et impressionnant. »
Michel Dreyfus, le fils de Charles, était lui aussi présent sur le plateau pour représenter la génération d’après. Précisant qu’il compte parmi les nombreux arrière-petits-enfants d’Alfred Dreyfus, il explique que « nous sommes très nombreux […] on doit être à peu près cinq ou six générations vivantes actuellement ».

« Il y a des gens qui ont des opinions politiques, des rapports au judaïsme très différents, mais on est tous unis par ce souci de garder vivante l’histoire de l’affaire Dreyfus. Et je dirais même, de réhabiliter la personne », expliquant que Dreyfus « a, depuis le début et jusqu’à aujourd’hui, été fortement dénigré, dévalorisé ».
Si l’innocence de Dreyfus n’est désormais plus à démontrer, a estimé son arrière-petit-fils, sa personne souffre toujours d’une image erronée puisqu’il est souvent présenté comme « pas acteur de son histoire ».
« Mais quand on regarde un tout petit peu les choses […] on découvre que du début jusqu’à la fin de son affaire, c’est-à-dire de 1894 jusqu’à 1906, il a été acteur de son histoire », a-t-il affirmé. Cette image de Dreyfus est actuellement déconstruite dans une nouvelle exposition temporaire du Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (MAHJ) qui cherche à replacer Dreyfus au centre de son affaire en révélant des écrits inédits, découverts récemment, parmi une sélection de près de 250 documents d’archives.
« En 1894, on a retrouvé des échanges de lettres avec son avocat […] et dès son retour, il s’est mis au courant et je crois même qu’il a impressionné les personnes qui étaient présentes, parce qu’en quinze jours, il maîtrisait tout. »
L’intervention de Charles et Michel Dreyfus sur le plateau de France 5 est survenue au lendemain de l’agression du rabbin Arié Engelberg à Orléans, qui témoigne de la recrudescence de l’antisémitisme en France depuis l’attaque du 7 octobre 2023 par le Hamas.
« Personnellement, je n’approuve pas cette riposte du gouvernement [israélien] actuel. Ce qui ne m’empêche pas d’oublier pour autant cette ignoble attaque du Hamas », a déclaré Charles Dreyfus. Son fils s’est quant à lui dit « complètement stupéfait de voir resurgir un antisémitisme aussi violent, aussi décomplexé ».