Deux Franco-israéliens inculpés pour blanchiment d’argent
Adam Ivgi et Yonatan Yehuda Sisley-Chikli auraient payé un courtier pour faire entrer illégalement de l'argent en Israël
Simona Weinglass est journaliste d'investigation au Times of Israël
Dans une rare inculpation liée à des crimes de blanchiment d’argent, des procureurs israéliens ont inculpé deux Franco-israéliens, Adam Ivgi, âgé de 33 ans, et Yonatan Yehuda Sisley-Chikli, âgé de 34 ans, pour avoir enfreint des lois israéliennes contre le blanchiment d’argent après qu’un associé aurait fait entrer, sans les déclarer, des millions d’euros pour leur compte dans l’Etat juif.
L’inculpation, déposée à la fin septembre, met en lumière comment certains nouveaux immigrants et résidents de retour en Israël ont fait entrer illégalement de l’argent d’origine inconnue dans le pays, comment ils auraient utilisé leur richesse pour acheter de l’immobilier de luxe, et comment certains immigrants ont cherché à éviter de payer des impôts en vertu de la loi Milchan.
Selon le document de l’accusation, un associé d’Ivgi et de Sisley-Chikli, un troisième citoyen français nommé Ariel Journo, âgé de 33 ans, aurait servi de courtier pour les deux suspects. Le 16 décembre 2014, Journo aurait fait entrer illégalement 300 000 euros en Israël, et le 26 décembre 2014, il aurait fait entrer 1 220 000 euros supplémentaires dans le pays. Il aurait transporté l’argent sur lui et serait passé dans la file « rien à déclarer » à l’aéroport international Ben-Gurion, selon les procureurs.
Journo a ensuite donné à chacun des accusés 500 000 euros, qui correspondaient à leur part d’argent liquide qu’il avait transporté en Israël, selon une plainte du 24 septembre. En échange de ses services, Journo aurait reçu une commission de 3 %. Journo a été inculpé dans une plainte distincte, le 30 juin 2019.
Le document d’inculpation ne donnait pas de détails sur la source des 500 000 euros que chaque accusé aurait reçus.
D’anciens documents d’une précédente audience affirmaient que l’argent, au moins dans le cas d’Ivgi, avait été obtenu par le biais d’une fraude à la TVA en lien avec des actions d’une compagnie italienne d’énergie.
La fraude à la TVA, selon Europol, correspond au « vol de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à un gouvernement par des groupes criminels organisés ».
Ivgi a été arrêté le 31 mai 2016. Le mandat d’arrêt notait que « le suspect, en compagnie d’autres suspects, a mis en place un réseau sophistiqué et organisé pour transférer les bénéfices tirés de ce crime en Israël ». Sisley a été arrêté deux jours plus tard sur la même suspicion.
Gilad Barone, l’avocat d’Ivgi, a déclaré au Times of Israël qu’après une audience de pré-procès qui a eu lieu à huis clos et sans procès verbal d’audition rendu public, de nombreuses charges contre son client avaient été abandonnées.
« L’inculpation contre notre client a été déposée après une longue audience de pré-inculpation au cours de laquelle nous avons soulevé des objections sur le document d’inculpation original. L’énorme écart entre les suspicions au début de l’enquête et le document d’inculpation finalement déposé, qui correspond à un crime de régulation technique [de ne pas avoir déclaré des revenus] s’explique par les preuves, qui montrent que mon client n’a pas commis les crimes qu’on lui imputait au début du procès. »
Au moment de leur arrestation, les deux hommes ont vu la police saisir leurs biens à hauteur de millions de shekels, anticipant ainsi une future saisie s’ils devaient être condamnés. Ces biens incluaient notamment des appartements de luxe à Tel Aviv et Ashdod, des voitures de luxe, des liasses de billets et des compte en banque.
Les deux suspects ont fait appel de la saisie de leurs biens.
Peu après son arrestation, l’avocat d’Ivgi a déclaré que la valeur de la propriété saisie était supérieur au moment du crime suspecté et il a également affirmé qu’Ivgi était un « résident de retour » en Israël et qu’il ne devait ainsi pas payer de taxes ou déclarer ses revenus selon les termes de la loi Milchan.
Dans sa décision du 18 juillet 2016 rejetant l’appel d’Ivgi, le juge Aviv Sharon a déclaré : « Lors de son interrogatoire, le suspect a avoué avoir commis des crimes de fraude à l’étranger impliquant des fraudes dans l’acquisition d’actions avec la méthode du ‘carousel’. »
Le juge a ajouté : « Ivgi a reconnu lors de son interrogatoire qu’il avait participé à l’achat et la vente d’actions d’une entreprise en Italie sans déclarer ou payer de taxes sur les profits. Il a affirmé que chacune des personnes impliquées a fait un profit de 600 000 euros. »
Barone a ajouté au Times of Israël qu’il a réussi à convaincre les procureurs lors de l’audience de pré-inculpation qu’Ivgi n’était pas impliqué dans ces crimes. Barone a déclaré qu’Ivgi n’avait jamais reconnu un tel crime et que l’inculpation finalement déposée concernait seulement la question technique de ne pas avoir déclaré des revenus.
Le juge, qui avait rejeté l’appel d’Ivgi en 2016, a également affirmé que Journo aurait transféré 1,3 million d’euros en Israël par virements bancaires, mais le document d’inculpation du 24 septembre ne fait pas état de cette somme supplémentaire.
« [Ivgi] et une autre personne ont utilisé Journo pour faire entrer de l’argent en Israël, précisait le document. De cette manière, Journo a transféré 3 millions d’euros, 1,7 million par l’aéroport et 1,3 million via virements bancaires en utilisant des services de transfert d’argent, à partir de septembre 2014, a déclaré Journo dans ses aveux. »
Dans une autre audience du tribunal de 11 juillet 2017 liée à l’appel de Sisley, la procureur Dafna Abramovich a expliqué comment Sisley a été arrêté.
« En mai 2016, nous avons mené une enquête sur un dossier important qui impliquait un réseau sophistiqué de fraudeurs qui escroquaient des entreprises étrangères. Ils appelaient des entreprises commerciales à l’étranger, se présentaient comme les propriétaires de l’entreprise et demandaient aux employés de leur transférer de l’argent. Nous avons lancé des poursuites dans cette affaire. Au cours de l’enquête, nous sommes remontés jusqu’à un homme appelé Ariel Journo. Quand nous avons commencé à mener une enquête à son sujet, nous avons découvert que Journo avait transféré 3 millions d’euros en Israël vers [Ivgi] et [Sisley]. Il s’agissait d’argent frauduleux qui a été obtenu dans plusieurs pays européens. Il y a eu une fraude à la TVA en France, en Italie et dans d’autres pays », a-t-elle déclaré.
Sason Bar Oz, l’avocat de Sisley, n’a pas immédiatement répondu aux demandes du Times of Israël pour réagir sur le dossier.
L’ancienne avocate de Journo, Sarit Slominsky, a déclaré au Times of Israël qu’elle ne le représentait plus et qu’elle ne savait pas qui le défendait. Le Times of Israël n’a pas pu trouver des informations de contact. Le 7 juillet 2019, des procureurs ont affirmé qu’ils n’étaient pas en capacité de localiser l’accusé pour lui remettre des documents.
L’acte d’inculpation du 24 septembre contre Ivgi et Sisley-Chikli les accuse de ne pas avoir déclaré l’argent qu’ils ont reçu de Journo, mais ne les accuse pas de fraude à la TVA.
Les procureurs ont également demandé qu’en cas de condamnation, le gouvernement serait autorisé à saisir un appartement d’Ivgi à Ashdod ainsi que 1 305 249 euros et 6 500 shekels.
Le gouvernement a également demandé la saisie d’un appartement dans le centre de Tel Aviv et un appartement à Ashdod de Sisley-Chilik, ainsi que 5 050 euros et 100 000 shekels.
De l’immobilier et de l’art
Le gouvernement a d’abord saisi à Ivgi un appartement dans la tour de luxe White City du quartier Neve Tzedek de Tel Aviv, un appartement qu’il avait déclaré à plus de 10 millions de shekels (2,58 millions d’euros). Le gouvernement n’a pas demandé qu’il soit saisi dans le document d’inculpation de septembre. La majorité des appartements de la White Tower sont possédés par des citoyens français ou russes, mais certains appartements sont aussi possédés par des entreprises françaises.
Sisley possède une galerie d’art à Tel Aviv connue sous le nom de Gallery 21.