Deux synagogues inaugurées en une journée en Hongrie – inédit depuis la Shoah
Evénement sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, des centaines de personnes ont fêté la consécration de deux lieux de culte - et de deux nouveaux rouleaux de Torah
Yaakov Schwartz est le rédacteur adjoint de la section Le monde juif du Times of Israël
Cet article a été rédigé le 23 septembre 2019
SZENTENDRE, Hongrie — Des résidents locaux restent bouche bée, depuis leurs portes et leurs fenêtres, en voyant des centaines de Juifs en train de descendre les routes étroites et pavées de Szentendre, dansant derrière deux canopées de couleur pourpre, dans la journée de dimanche.
Un système de sono roulant à bord d’un chariot artisanal laisse échapper une série de « hourra ! » à travers toute cette ville endormie des rives du Danube, située à environ 20 kilomètres au nord de la capitale de Budapest.
La scène arrache un sourire chez de nombreux habitants qui dodelinent de la tête au rythme de la musique. D’autres restent perplexes – ce qui est assez compréhensible compte-tenu de l’étrangeté du spectacle dans cette municipalité qui ne compte que 300 à 400 Juifs sur une population de
25 000 personnes.
La célébration rend hommage à l’ouverture d’une nouvelle synagogue et d’un centre communautaire à Szentendre à l’initiative de l’EMIH, un groupe juif orthodoxe hongrois affilié à la communauté hassidique ‘Habad-Loubavitch, ainsi qu’à la consécration de deux nouveaux rouleaux de Torah pour la congrégation. Le complexe, qui devrait être terminé bientôt, comprendra un sanctuaire de prière, une salle de classe et des jeux pour les enfants, un café casher ainsi qu’une petite galerie d’art accueillant des oeuvres de Judaïca et juives.
Le battage, dans les rues, ne représente que la moitié des festivités de la journée mises en place par l’EMIH : Tout de suite après la consécration, l’assistance monte à bord d’autobus qui vont l’emmener à l’inauguration d’une autre synagogue, avec son propre rouleau de Torah tout neuf, dans le 13ème district de Budapest.
Cette synagogue de Budapest est accueillie dans ce qui devrait devenir le plus grand centre communautaire juif de Hongrie – une structure large de 2 500 mètres carrés qui comprendra un théâtre, un vaste terrain de jeux, deux restaurants casher et un centre d’études informel. Son nouveau rabbin, Shmuel Glitzenstein, est arrivé d’Israël en compagnie de son épouse il y a dix ans. Ils vivent dorénavant dans le 13ème district avec leurs sept enfants.

« Je ne pense pas qu’il y ait eu dans l’histoire – et certainement pas depuis la Shoah – un jour où deux synagogues ont ouvert leurs portes au cours de la même journée et où deux rouleaux de Torah ont été terminés au cours des mêmes vingt-quatre heures et je pense donc que cela représente vraiment cette résurrection de la vie juive pour laquelle nous avons lutté si fortement », dit le rabbin Slolo Koves, responsable à l’EMIH, au Times of Israel.
La ville touristique au passé sombre
Avec son ambiance méditerranéenne, sa belle architecture et de nombreuses petites galeries et ateliers d’art, Szentendre est une destination de week-end attirante pour les Hongrois comme pour les touristes étrangers. Mais, comme de nombreuses villes similaires dans toute l’Europe, son histoire comporte également des pages plus sombres.
Szentendre était le foyer d’une communauté juive prospère pendant le siècle qui avait précédé la Shoah, explique Koves. Mais la communauté a été détruite pendant la guerre et les Juifs ont péri.

560 000 Juifs sur une communauté de 800 000 personnes ont été exterminés pendant le génocide nazi et, avec la gouvernance communiste qui a suivi la fin de la guerre et qui a perduré jusqu’en 1989, c’est l’une des communautés juives les plus robustes d’Europe qui est entrée en sommeil.
Avec Mazsihisz, une organisation cadre alignée sur les néologues conservateurs, et une petite communauté réformée, l’EMIH veut aider la vaste majorité des Juifs hongrois à se réaffirmer sans honte dans la société du pays.
Etablie au tout début de la gouvernance socialiste en Hongrie, Mazsihisz est aux prises avec l’EMIH, chacun des deux groupes clamant représenter la vie juive hongroise. Le groupe néologue est depuis longtemps considéré comme la plus large communauté religieuse même si un porte-parole a refusé d’avancer des chiffres, disant seulement au Times of Israel qu’à peu près 10 % des Juifs hongrois appartiennent officiellement à une dénomination religieuse.
Selon le Congrès juif mondial, il y a entre 75 000 et 100 000 Juifs qui vivent actuellement en Hongrie, tandis qu’une publication de l’éminent démographe juif Sergio Della Pergola estime qu’il y a plutôt un « noyau » de 47 400 Juifs. De nombreux rabbins hongrois considèrent qu’il y a un peu plus de 100 000 Juifs parmi leurs fidèles.
Même s’ils ont été privés depuis longtemps d’une synagogue, les 400 Juifs de Szentendre ont montré un sens de l’initiative rare pour aider à la renaissance de la communauté.
« La résilience de la communauté juive locale est réellement unique », souligne le rabbin Mendy Myers qui, avec son épouse Tzivia, dirigera la communauté naissante.

« Au cours des dix dernières années approximativement, ce groupe a fondé sa propre association juive et il s’est réuni toutes les deux ou trois semaines à l’occasion d’événements culturels juifs, même s’il n’y avait ni rabbin, ni infrastructure ici. J’ai déjà le sentiment que c’est une communauté très chaleureuse, très accueillante, qui se préoccupe réellement de l’avenir du judaïsme, et je suis très honoré d’être son rabbin », commente-t-il.
Le père de Myers, Rabbi Baruch Myers, est grand-rabbin de Slovaquie et il est à la tête de la communauté de Bratislava.
Honorer le passé tout en préparant l’avenir
Les célébrations de la journée commencent avec une cérémonie austère à Budapest, organisée sur les rives du Danube, devant un mémorial de la Shoah rendant hommage aux milliers de Juifs fusillés au même endroit par les croix fléchées en 1944 et 1945. Tout en rendant un hommage solennel aux nombreux Juifs martyrisés sur les lieux, l’événement se focalise sur la reconstruction de la communauté en cours après toutes ces années.

« C’est la fermeture d’un cercle de 200 ans », déclare Simcha Weiss, un rabbin né au Royaume-Uni, qui siège au Conseil du grand-rabbinat israélien et qui est venu assister l’événement pour y prendre la parole.
« En l’an 70 de l’ère commune, les Juifs étaient venus ici depuis Rome », explique Weiss au Times of Israel. « De retour en Israël, ils [les Romains] avaient pensé qu’ils avaient détruit le judaïsme, mais ils n’y étaient pas parvenus. Il y a soixante-dix ans, ils [les nazis] ont encore pensé qu’ils avaient détruit le judaïsme et les malheureux qui se tenaient ici, au bord du Danube, avaient pensé qu’ils étaient la fin. Mais leur esprit a survécu et chaque lettre de ces rouleaux de Torah représente l’une de leurs âmes – 600 000 âmes. Leurs âmes ont finalement trouvé un lieu de repos pour l’éternité ».

Koves note que pour les Juifs hongrois, le Danube incarne un « symbole très contradictoire parce que ce n’est pas seulement un symbole de vie comme l’eau peut l’être, mais c’est également un symbole de mort ».
« Quand ma grand-mère et moi passions devant le fleuve, elle me disait : ‘Le Danube, pour moi, n’est pas bleu : il est rouge’. Et nous sommes là aujourd’hui, sur la rive du Danube, à l’endroit même où des Juifs avaient été fusillés et jetés au fleuve et nous commémorons l’achèvement de deux rouleaux de Torah qui représentent l’éternité de la vie juive », s’exclame-t-il.

Koves note également que cette année marque le trentième anniversaire de la présence ‘Habad-Loubavitch en Hongrie, qui a commencé avec le rabbin Baruch Oberlander et son épouse Batsheva qui avaient lancé leur travail de sensibilisation auprès des Juifs depuis leur petit appartement du 5ème district de la ville, en 1989. Le mouvement s’enorgueillit dorénavant de 17 rabbins dont un grand nombre sont natifs de Hongrie, comme Koves, et il a ouvert trois synagogues cette année.
« Il y a un proverbe hassidique qui dit que si vous allumez une lampe, les gens vont se rassembler autour », clame Koves. « C’est vraiment excitant et cela nous apporte l’espoir d’un avenir meilleur ».
« Un invité d’Amérique m’a demandé cette semaine : ‘Y a-t-il trop de synagogues à Budapest ?’, » continue Koves. « Je lui ai dit qu’en Hongrie il y avait 100 000 Juifs – nous sommes encore très loin d’avoir trop de synagogues ».

Koves ajoute que « on ne peut pas dire qu’il n’y a pas de demande parce qu’il y a 100 000 Juifs. De nombreuses personnes ne peuvent même pas parvenir à mettre en mots leur demande mais ils ont le sentiment d’avoir besoin de quelque chose – il faut simplement leur montrer, leur donner le choix ».
Selon Koves, il y a 10 ou 15 ans, la seule synagogue ‘Habad existante à Budapest attirait environ 50 personnes le vendredi soir et peut-être 10 à 12 fidèles le samedi matin. Aujourd’hui, explique-t-il, il y a six synagogues dirigées par le mouvement ‘Habad ainsi que deux autres communautés menées par des rabbins ‘Habad et 600 personnes viennent le week-end – sinon plus.
« Il y a de nombreuses couches dans une communauté mais une communauté chaleureuse et resserrée ne compte habituellement pas plus de 100 à 150 personnes en son cœur – parce que s’il y en a plus, il n’y a plus ce sentiment d’être en famille », note Koves, expliquant la manière dont chaque synagogue parvient à attirer de nouveaux-arrivants.

La mailing-list de l’organisation comprend environ 10 000 personnes, poursuit Koves, ajoutant que 5 000 à 10 000 ont au moins une activité aux côtés de l’EMIH au cours de l’année, même si cela signifie n’assister qu’à un seul événement ou venir à la synagogue pour les grandes fêtes juives. C’est un chiffre supérieur à celui qu’enregistrait le mouvement ‘Habad il y a 20 ou 30 ans, explique-t-il, « mais cela laisse encore beaucoup d’espace à la croissance ».
Koves cite la recherche menée par le scientifique social hongrois Andras Kovacs, qui avait étudié l’identité des Juifs hongrois il y a 20 ans dans la plus grande enquête en son genre. L’année dernière, Kovacs a publié une étude réactualisée portant sur 1900 Juifs hongrois.
« Il y a 20 ans, s’agissant de la pratique juive, 70% de la communauté active avait des parents qui appartenaient également à la synagogue », explique Koves. « Aujourd’hui, ce chiffre s’est inversé. 70% des gens qui se rendent à la synagogue ont des parents qui n’ont jamais appartenu à une congrégation ».
« Ce qui signifie qu’au cours des 20 dernières années, la communauté a fait son retour, les gens reviennent à leurs racines », conclut Koves. « Et c’est une immense réussite ».