Ebrahim Raïssi ouvert à la diplomatie mais sans « pression » ni « sanctions »
L'investiture intervient au moment où les négociations de Vienne semblaient bloquées et dans un contexte de tensions après une attaque meurtrière contre un pétrolier iranien
Le nouveau président iranien Ebrahim Raïssi a prêté serment jeudi devant le Parlement, affirmant être ouvert à « tout plan diplomatique » pour une levée des sanctions minant l’économie du pays, tout en prévenant que l’Iran ne cèdera pas devant la « pression et les sanctions ».
Vainqueur de la présidentielle de juin marquée par une abstention record, ce religieux, ancien chef de l’Autorité judiciaire, et ultraconservateur de 60 ans succède au modéré Hassan Rohani, qui avait conclu en 2015 un accord sur le nucléaire iranien avec les grandes puissances, après des années de tensions.
Jeudi, lors de sa cérémonie d’investiture au Parlement diffusée en direct par la télévision d’Etat, le président a mis l’accent sur l’une des priorités de son mandat: la levée des sanctions imposées à Téhéran en 2018 par l’ex-président américain Donald Trump.
M. Trump avait sorti unilatéralement les Etats-Unis de l’accord international sur le nucléaire conclu trois ans auparavant. En riposte au retrait américain, Téhéran s’était progressivement désengagé du pacte.
« Les sanctions contre la nation iranienne doivent être levées. Nous soutiendrons tout plan diplomatique qui atteindra cet objectif », a déclaré M. Raïssi, assurant que le programme nucléaire de l’Iran est « pacifique ».
Il a néanmoins affirmé: « la politique de pression et de sanctions ne parviendra pas à décourager l’Iran de défendre ses droits ».
Mardi, M. Raïssi avait prévenu que son gouvernement chercherait à lever les sanctions « oppressives », mais « ne lierait pas le niveau de vie de la nation à la volonté des étrangers. »
Peu après l’investiture de M. Raïssi, les Etats-Unis ont appelé à une reprise « rapide » des négociations lancées à Vienne en avril pour réintégrer les Etats-Unis de Joe Biden dans l’accord sur le nucléaire et faire revenir l’Iran à ses engagements en échange d’une levée des sanctions américaines.
« Nous exhortons l’Iran à revenir à la table des négociations rapidement », a déclaré le porte-parole de la diplomatie américaine Ned Price, ajoutant qu’il s’agissait-là d’une « priorité urgente » de Washington. « Nous espérons que l’Iran saisisse maintenant l’opportunité de trouver des solutions diplomatiques. Ce processus ne peut durer indéfiniment », a-t-il réaffirmé, refusant toutefois de donner un ultimatum.
La prise de fonction de M. Raïssi intervient au moment où les négociations de Vienne semblaient bloquées ces dernières semaines, mais aussi dans un contexte de tensions après une récente attaque meurtrière contre un pétrolier au large d’Oman.
Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et Israël accusent l’Iran de l’avoir menée et lui ont adressé des avertissements. Téhéran en nie la responsabilité.
« Consensus national »
Environ 80 hauts responsables étrangers étaient présents lors de la prestation de serment, notamment les présidents d’Irak et d’Afghanistan, les chefs du Parlement de la Russie, de la Syrie et de l’Afrique du Sud, d’après la télévision d’Etat.
Des représentants de l’Union européenne, dont Enrique Mora, qui chapeaute pour Bruxelles les discussions sur le nucléaire iranien à Vienne, ont également fait le déplacement.
Ismaïl Haniyeh, le chef du Hamas palestinien, et Naim Qassem, numéro deux du Hezbolla libanais, un allié de Téhéran, étaient également présent.
The head of #Hamas' Political Bureau Ismail Haniyeh and #Hezbollah's Deputy Secretary General Naim Qassem are seated right in front of the Deputy Secretary General of the EU's External Action Service at Raisi's inauguration in #Iran. Can't make it up. 1/2 pic.twitter.com/Fd01GcDC62
— Jason Brodsky (@JasonMBrodsky) August 5, 2021
Ils étaient assis à côté de Mora, dont la participation a été condamnée par Israël comme une manifestation de « mauvais jugement ».
« La flatterie et la soumission à des régimes totalitaires violents ne font qu’inviter davantage de violence et d’agression », a déclaré le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué.
Téhéran « se tiendra aux côtés des opprimés », a promis M. Raïssi, qu’ils se trouvent « au cœur de l’Europe, en Amérique ou en Afrique, au Yémen, Syrie ou Palestine ». « Nous sommes les véritables défenseurs des droits humains », a-t-il affirmé.
L’une des priorités de son gouvernement sera d’améliorer les relations de l’Iran avec ses voisins, a-t-il dit. « Je tends la main de l’amitié et de la fraternité à tous les pays de la région, en particulier à nos voisins ».
L’Iran n’utilisera ses « capacités » d’action dans la région que « contre les menaces de pouvoirs tyranniques », a-t-il ajouté, sans préciser son propos.
Face au Parlement, le président a prêté serment en affirmant se « consacrer au service du peuple, à l’honneur du pays, à la propagation de la religion et de la moralité, et au soutien de la vérité et de la justice. »
Mardi, il avait reconnu « des lacunes et des problèmes à l’intérieur du pays » pesant sur l’économie, également fragilisée par « l’inimitié des ennemis ».
La pandémie de Covid-19 aggrave la crise économique suscitée par les sanctions américaines: l’Iran est le pays le plus touché par le virus au Proche et Moyen-Orient.
Jeudi, le pays de 83 millions d’habitants a enregistré 434 décès liés au coronavirus et plus de 38.000 nouveaux cas, après avoir franchi la veille le seuil symbolique de quatre millions de contaminations –dont 92.000 décès.
Au cours de son mandat, M. Raïssi sera « confronté à de multiples épreuves » notamment « une inflation sans précédent », « les prix vertigineux du logement », la « récession » et la « corruption », a égrené mercredi l’éditorialiste du journal ultraconservateur Kayhan.
Le chef de l’Etat va présenter la semaine prochaine ses candidats aux postes ministériels, selon la télévision. Ce nouveau gouvernement sera sous le signe d’un « consensus national », a promis M. Raïssi.