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Analyse

Écartée des tractations d’unité, la droite religieuse ferait mieux de renoncer

Pourquoi le parti Yamina pourrait exercer une plus grande influence sur le prochain gouvernement en siégeant dans l'opposition qu'en intégrant le cabinet

Haviv Rettig Gur

Haviv Rettig Gur est l'analyste du Times of Israël

Les députés de Yamina saluent leurs partisans à Kfar Maccabiah après la diffusion des sondages de sortie des urnes, le 2 mars 2020 (Crédit : Flash90)
Les députés de Yamina saluent leurs partisans à Kfar Maccabiah après la diffusion des sondages de sortie des urnes, le 2 mars 2020 (Crédit : Flash90)

Le parti national religieux de droite Yamina observe avec une frustration et une peur croissantes les pourparlers d’unité en cours entre le Premier ministre Benjamin Netanyahu et Benny Gantz de Kakhol lavan.

Benjamin Netanyahu a obtenu l’accord de ce dernier pour une annexion limitée à la Cisjordanie, bien que l’étendue réelle ne soit pas encore claire. Sur la question de la réforme judiciaire, qui est au centre du programme de Yamina, le Premier ministre semble avoir cédé du terrain, Benny Gantz refusant d’autoriser des changements dans la structure du Comité des nominations judiciaires alors même que son parti prendrait le contrôle du ministère de la Justice.

Dans ses déclarations publiques de la semaine dernière, Yamina n’a pas caché sa frustration concernant l’abandon de la réforme judiciaire à Kakhol lavan, ni sur son scepticisme quant à savoir si Benjamin Netanyahu prévoit réellement de mettre en œuvre une quelconque annexion.

Le 2 avril, l’accord d’union Netanyahu-Gantz était au centre de l’attention, la députée de Yamina Ayelet Shaked a fustigé Netanyahu pour avoir « enfreint toutes les valeurs de droite… En dépit de la loyauté dont nous avons fait preuve pendant un an et demi, le Likud semble de nouveau se débarrasser de nous ».

Ayelet Shaked vote à Tel Aviv, le 2 mars 2020. (Crédit : Yamina)

Dans une autre déclaration ce jour-là, le parti a affirmé que le chef du Likud avait vendu à la fois la réforme judiciaire et l’annexion, la promesse d’annexion de l’accord de coalition en cours d’élaboration équivalant à « une vague déclaration sur la souveraineté qui ne dit rien, et pire, qui retarde l’annexion [d’environ trois mois] jusqu’à ce qu’elle soit trop proche des élections américaines ».

Le parti n’avait « aucune intention d’être un prétexte dans un gouvernement de gauche », a-t-il averti.

La petite politique

Yamina a affirmé que son opposition à l’accord émergent est une question de substance. C’est en partie vrai. Mais Yamina a également un problème moins noble et plus immédiat avec l’éventuelle union Netanyahu-Gantz : le premier a promis aux 19 députés du second (15 pour Kakhol lavan, 2 pour le Parti travailliste et 2 pour Derech Eretz) la moitié des ministères du prochain gouvernement, soit entre 15 et 17 postes ministériels. Presque tous les députés de l’alliance centriste de Gantz deviendront ministres.

Yamina, qui compte six sièges, aura la chance d’avoir deux ministères.

Le chef de Yamina Naftali Bennett lors de son discours de victoire devant ses partisans à Kfar Maccabiah, après la diffusion des sondages de sortie des urnes, le 2 mars 2020. (Crédit : Flash90)

Cela signifie plus que ça en a l’air. Sans plus de postes ministériels, le parti aura du mal à faire valoir, lors de sa prochaine campagne électorale, qu’il est une partie influente de la droite.

Et puis, il y a aussi la question des nombreuses factions disparates de Yamina. Il ne s’agit pas d’un parti, mais d’une union de plusieurs partis de droite – HaBayit HaYehudi, l’Union nationale, HaYamin HaHadash, et quelques autres partis qui y sont nichés. Pour rester unie, elle doit s’assurer que ses nombreuses composantes ont le sentiment d’avoir un siège à la table des négociations, c’est-à-dire à la table du cabinet. Avec seulement deux ministères, certaines de ces factions se retrouveront à l’écart.

Il n’est donc pas étonnant que Yamina s’emploie activement à perturber les pourparlers d’unité.

Dans une déclaration dimanche, alors que les pourparlers Gantz-Netanyahu semblaient bloqués, Yamina a tenté de semer la méfiance entre les deux parties.

« Gantz, il n’y a pas de honte à concéder », commençait la déclaration. « Vos exigences, dès le début, en tant que chef d’une faction de 17 sièges [négociant] avec un bloc de 59 sièges, étaient absurdes et illégitimes selon toute logique démocratique. »

Une affiche électorale du parti Kakhol lavan montre son candidat Benny Gantz et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu avec un slogan en hébreu disant « Netanyahu ne se soucie que de lui-même », à la veille des élections israéliennes, le 18 février 2020. (Crédit : Miriam Alster/Flash90)

Ces propos ignoraient le fait que Benny Gantz n’avait pas 17 sièges « dès le départ », mais les 33 de la grande alliance Kakhol lavan et le soutien d’une faible majorité de la Knesset dans son ensemble. Il a été réduit à 17 sièges uniquement parce qu’il a accepté de négocier avec Benjamin Netanyahu, sur la base des promesses de ce dernier d’une influence égale et de postes ministériels.

« Nous vous demandons de faire preuve de responsabilité, de rejoindre un gouvernement d’unité nationale dirigé par Benjamin Netanyahu, d’abandonner le portefeuille de la justice et la commission des nominations judiciaires, et de permettre l’application immédiate de la souveraineté à toutes les implantations, comme le souhaite une majorité absolue des membres de la future coalition. C’est l’essence même de la démocratie. »

Il ne s’agissait pas d’une déclaration visant à convaincre Benny Gantz de faire un compromis, mais plutôt à alimenter les soupçons, à rappeler à ce dernier que Benjamin Netanyahu pourrait revenir sur ses promesses et à suggérer que si l’ancien chef d’état-major cède un peu, le bloc de droite intact pourrait alors exiger qu’il abandonne tout.

C’était également un signe de désespoir, et tant Benjamin Netanyahu que Benny Gantz l’ont ignoré.

Le ministre de la Défense Naftali Bennett pendant un débat, à la Knesset, sur les escalades récentes de violence à Gaza, le 10 février 2020. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

L’alliance Yamina est toujours attachée à l’idée qu’elle doit rester membre de la coalition de Benjamin Netanyahu. Mais comme le montrent clairement ses perspectives de coalition en déclin et son anxiété croissante, il devient de moins en moins évident qu’elle aura une quelconque influence politique ou de politique dans un gouvernement d’union.

Elle a menacé à plusieurs reprises de rejoindre l’opposition, pensant que cela pourrait effrayer le Premier ministre et lui faire obtenir davantage de postes ministériels et d’influence. Mais que se passerait-il si Yamina décidait de mettre sa menace à exécution ?

Une opposition loyale

L’argument le plus surprenant pour aller vers l’opposition est peut-être venu pendant les négociations de lundi, lorsque les deux parties, reconnaissant la situation difficile de Netanyahu, avec une base de droite en colère contre ses compromis sur la réforme judiciaire, ont commencé à chercher une solution.

Benny Gantz a refusé de modifier substantiellement le fonctionnement de la commission des nominations judiciaires, qualifiant la question de « fondamentale ». Les enjeux sont en effet importants, tant pour les progressistes que pour les conservateurs. Les six prochaines nominations à la Cour suprême, composée de 15 membres, doivent toutes être soumises au vote au cours de la période de mandat du prochain gouvernement.

La présidente de la Cour suprême, Esther Hayut (au centre), arrive pour une audience préliminaire sur la question de savoir si un député faisant l’objet d’une inculpation pénale peut être appelé à former une coalition, le 31 décembre 2019. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Des rumeurs contradictoires ont émané de personnes proches des équipes de négociation sur une solution possible. Une version du compromis qui se dessine offre un aperçu fascinant du rôle possible de Yamina dans l’opposition.

Voici ce qu’il en est.

En vertu d’une loi de 2002, le comité qui nomme les juges israéliens est composé de neuf membres : trois juges de la Cour suprême, deux représentants de la Knesset (traditionnellement un de la coalition et un de l’opposition), deux ministres et deux représentants du barreau israélien.

Il est essentiel de disposer de sept voix pour confirmer un juge. Autrement dit, la délégation de la Cour suprême, composée de trois membres, dispose d’un droit de veto sur les nominations à la Cour, et ce veto est tangible : les trois juges sont toujours restés unis dans leurs voix.

Mais la coalition majoritaire à la Knesset détient également un droit de veto, avec deux ministres et au moins un député.

Ayelet Shaked, ministre de la Justice, au centre, entourée de Miriam Naor, présidente de la Cour suprême et de Moshe Kahlon, ministre des Finances, pendant la réunion de la Commission de nomination judiciaire au ministère, à Jérusalem, le 22 février 2017. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

La droite a de bonnes raisons d’être frustée du fait que Netanyahu ait cédé le ministère de la Justice à Avi Nissenkorn de Kakhol lavan. Le ministre de la Justice préside la commission. Même si le deuxième membre du cabinet et le député de la coalition viennent tous du Likud, comme ce sera probablement le cas, le deuxième député sera de l’opposition, peut-être de Yesh Atid. En d’autres termes, la droite, même si elle va dominer le gouvernement et peut obtenir l’annexion, va perdre son droit de véto – en pratique, pour ne pas dire totalement – sur le choix de six des quinze juges de la Cour suprême.

Et Yamina entre en jeu.

Une solution maintenant envisagée voudrait que le parti, frustré et mis à l’écart, aille dans l’opposition – et son ancienne ministre de la Justice Shaked serait choisie comme représentante de l’opposition à la commission.

Tout d’un coup, comme par miracle, tout s’arrange pour l’ensemble des partis.

Gantz a protégé la Commission de réformes conservatrices et Netanyahu peut se targuer d’avoir empêché les libéraux d’avoir une carte blanche pour nommer un tiers de la Cour suprême. La droit idéologique obtient son véto, tout comme les juges.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, au centre, avec le ministre de la Défense Naftali Bennett de Yamina, le ministre de l’Intérieur Aryeh Deri du Shas, le ministre de la Santé Yaakov Litzman et le député Moshe Gafni de Yahadout HaTorah lors d’une réunion des chefs des partis du bloc de droite à la Knesset, le 4 mars 2020. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

C’est le type de solution que Gantz préfère, dans la lignée de sa gestion des négociations ces derniers mois : forcer les partis belligérants vers un compromis paisible en donnant à chacun un droit de véto sur le programme politique de l’autre.

En outre, cela donnera la possibilité au parti d’opposition Yamina de se positionner lors des prochaines élections comme le parti qui a sacrifié ses postes et les honneurs pour défendre des priorités politiques et idéologiques encore plus vitales pour la droite.

Bien sûr, le compromis décrit ci-dessus n’est pas définitif. L’accord de coalition n’est pas terminé, et Yamina n’a pas encore décidé d’entrer dans l’opposition. Cela constituerait un geste fort pour le parti, brisant ainsi le bloc de droite loyal à Netanyahu. Reste à savoir si Yamina pourra capitaliser dans les urnes sur ce coup de poker ou si, au contraire, le parti serait sanctionné pour avoir abandonné le camp de Netanyahu. Nul doute que le parti a – déjà – commandé des sondages sur ce sujet.

Mais le fait même que cette idée ait pu découler des négociations actuelles illustre la position paradoxale dans laquelle se trouve Yamina. S’il reste avec Netanyahu, le parti sera relégué à un rôle mineur avec une voix qui ne comptera plus, mais, depuis l’opposition, il pourrait potentiellement être une source influente pour les politiques et les idées de la droite.

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