En Belgique, la difficulté d’enseigner la Shoah depuis le pogrom du 7 octobre
Les enseignants ont du mal à enseigner le génocide de 6 millions de Juifs, se sentent impuissants face aux réactions négatives ; certains élèves évitent de se présenter aux visites de musées juifs et de synagogues

Bruxelles, hiver 2025. Arthur Langerman, qui a échappé à une rafle des Juifs de Belgique en 1944 et a perdu une partie de sa famille dans les camps nazis, témoigne de son histoire devant 160 lycéens quand il est interrompu par deux adolescentes musulmanes.
Elles veulent évoquer Gaza. « C’est un génocide et ça se passe depuis 75 ans », lance l’une d’elles, entraînant un échange de plusieurs minutes sur le conflit israélo-palestinien.
La scène illustre la difficulté d’enseigner la Shoah avec « des élèves qui s’identifient à la violence que vivent les Gazaouis » avec la riposte d’Israël déclenchée par l’attaque sanglante du Hamas en Israël et qui « sont dans l’amalgame », explique à l’AFP leur professeur d’histoire.
Olivier Blairon enseigne dans un gros établissement de Koekelberg, une commune de la capitale belge où vit une forte communauté d’origine marocaine.
Ce jour-là, ses élèves représentent une forte proportion des lycéens participant à la projection-débat avec Arthur Langerman organisée au Centre communautaire laïc juif (CCLJ) de Bruxelles.
A propos de sa classe, Olivier Blairon ajoute : « Il m’est arrivé d’entendre des propos antisémites, certains élèves sont dans la confusion ou la provocation », « je prends alors le temps de démonter les préjugés ».

« Le 7 octobre a révélé la difficulté à parler aujourd’hui de la Shoah, c’est plus compliqué dans le contexte actuel », renchérit Nicolas Zomersztajn, codirecteur du CCLJ, qui déplore que la communauté juive soit sans cesse sommée de se positionner sur la guerre à Gaza.
Au Musée juif de Bruxelles, frappé par un attentat meurtrier en 2014, une poignée de sorties scolaires ont été annulées dans l’immédiat après-7 octobre. Parfois des élèves se déclarent malades le jour de la visite ou évitent le détour prévu à l’agenda par la synagogue toute proche, rapporte Frieda Van Camp, coordinatrice du service éducatif.
« Message de haine »
Depuis l’attaque sans précédent du mouvement terroriste islamiste palestinien Hamas sur le sol israélien et la guerre qui s’en est ensuivie dans le territoire palestinien, rarement l’antisémitisme dans le monde a connu une telle résurgence.

Unia, organisme de lutte contre les discriminations en Belgique, a recensé dans ce pays 91 signalements de propos ou délits considérés comme antisémites sur la période du 7 octobre au 7 décembre 2023, contre 57 sur toute l’année 2022. Il s’agissait majoritairement de « messages de haine » exprimés en ligne à l’égard de la communauté juive – environ 30 000 personnes en Belgique.
Un sondage effectué en mai 2024 auprès de 1.000 Belges de 18 ans et plus a montré que 14 % avaient de l’ « antipathie » pour les Juifs et que les préjugés antisémites étaient « surreprésentés à l’extrême gauche, à l’extrême droite, chez les musulmans et en région bruxelloise ».
Quand il s’agit de parler des Juifs et de la Shoah, « on sent un raidissement » dans les établissements scolaires bruxellois, témoigne Ina Van Looy, qui pilote au CCLJ un programme d’éducation à la citoyenneté baptisé « La haine je dis Non ! ».
« Pour certains profs c’est devenu compliqué d’emmener leurs élèves dans un lieu juif », a-t-elle constaté. « Des enseignants sont totalement débordés par la façon dont les élèves s’informent et ce qu’ils restituent du conflit », poursuit-elle, « beaucoup se sentent très démunis ».
Lors de la visite d’Arthur Langerman qui a donné lieu à cet échange tendu sur Gaza, c’est elle qui est intervenue pour calmer les esprits. Ina Van Looy, qui animait le débat, a promis de revenir dans le lycée de Koekelberg pour prendre le temps de parler de la notion de génocide. « Ces jeunes sont blessés, en colère, il faut les écouter. »
« Ne pas se taire »
En Belgique l’extermination de six millions de Juifs par le régime nazi est abordée au plus tard en dernière année de lycée, parfois avant. Mais dès le primaire, les écoles organisent des visites de lieux de mémoire, comme le Fort de Breendonk près d’Anvers ou la caserne Dossin à Malines, où les Juifs de Belgique étaient regroupés avant leur déportation.
A Bruxelles, beaucoup d’enfants participent à l’inauguration de « Pavés de mémoire » sur les trottoirs de la ville en souvenir des Juifs assassinés dans les camps nazis.
Entre 1942 et 1944, près de 25.000 Juifs de Belgique ont été déportés vers le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau et moins de 2.000 d’entre eux ont survécu.

Mais cet hiver, deux directrices d’écoles primaires d’Anderlecht, autre commune de la capitale belge comptant de nombreux habitants de culture musulmane, n’ont pas souhaité que leurs élèves participent à l’inauguration de nouveaux pavés.
Leur prétexte était qu' »on ne pouvait pas imposer cela aux élèves et aux parents » en plein conflit à Gaza, a dit Bella Swiatlowski de l’Association pour la mémoire de la Shoah. Sollicitées par l’AFP, les deux directrices ont refusé de s’exprimer.
Finalement, le différend s’est réglé par l’entremise du bourgmestre d’Anderlecht et ces deux écoles étaient représentées lors de la cérémonie d’inauguration en janvier.
Lors d’une autre inauguration de « pavés » à Bruxelles, le 27 janvier, 80 ans après la libération du camp d’Auschwitz, des dizaines d’élèves, de primaire et de secondaire, ont déposé une rose blanche sur le trottoir lors d’une cérémonie émouvante, empreinte de recueillement.
Faouzia Hariche, adjointe au maire de Bruxelles chargée de l’instruction publique, a alors salué le « courage » de certains enseignants craignant d’évoquer le génocide des Juifs par les nazis devant leur classe mais qui décident de surmonter cela et de ne « pas se taire ». « Une toute petite minorité d’enseignants craint d’aborder ce sujet et il faut les outiller pour cela ».
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