En Galilée, des habitants se demandent pourquoi le gouvernement ne les a pas évacués
Dans le nord, Abirim, sous la menace du Hezbollah, est l'une des nombreuses villes à évacuer, mais ses habitants se voient refuser les bénéfices qui leur permettraient de le faire
Debout aux côtés de chars Merkava, les soldats d’un peloton de blindés regardent le bus n°40 de Nahariya s’arrêter devant le portail clos d’Abirim, village de Galilée occidentale.
Deux soldats armés de fusils d’assaut M16 montent à bord pour inspecter les passagers – les deux uniques passagers.
L’un de ces passagers est un réserviste en route pour sa mission. L’autre n’est pas de la région. Il est brièvement retenu, le temps d’expliquer les raisons pour lesquelles il se trouve là et de donner les noms d’habitants susceptibles de corroborer son histoire.
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Cet examen minutieux illustre la façon dont Abirim, communauté champêtre de 350 habitants dont la principale activité est le tourisme, s’est transformée, presque du jour au lendemain, en un avant-poste militaire sous la menace constante des projectiles du Hezbollah et d’une possible infiltration terroriste depuis le Liban, distant de cinq kilomètres seulement.
Le mois dernier, le gouvernement a reconnu que les civils ne devaient pas rester à Abirim. Le village a été ajouté à la liste des lieux évacués, reprise par un décret du 18 octobre qui octroie normalement le bénéfice d’un relogement des habitants aux frais de l’État.
Étonnamment, Abirim est l’un des villages dont les habitants ne peuvent se prévaloir de cette aide, ce qui explique que nombre d’entre eux soient encore là ou partis s’installer ailleurs, mais à leurs frais.
Racheli Hefer, 48 ans, est l’une des 80 personnes encore à Abirim, avec sa fille, Shira, et la mère handicapée de Racheli, âgée de 75 ans. Elles pensent toutes qu’elles ne devraient plus être à Abirim, où les bruits de la guerre, surtout les tirs d’artillerie, se font entendre à longueur de temps. Mais elles estiment ne pas avoir le choix.
« Nous avons été abandonnés. Le gouvernement nous a dit que nous ne devrions pas vivre ici, et il nous a oubliés. C’est comme si plus personne ne s’en souciait », a expliqué Racheli Hefer à propos de sa situation depuis le 7 octobre.
Ce jour-là, l’attaque terroriste la plus meurtrière de toute l’histoire d’Israël a forcé le pays à déclarer la guerre au Hamas de Gaza, ce qui a déclenché des échanges de tirs meurtriers entre soldats israéliens et les terroristes du Hezbollah au Liban.
Interrogé par le Times of Israël, un porte-parole de l’Autorité nationale d’urgence du ministère de la Défense a expliqué que les villes figurant sur la liste d’évacuation établie par le gouvernement « n’ont pas toutes besoin d’être évacuées ».
Les décisions d’évacuation sont prises « sur la base de considérations opérationnelles et du budget de l’armée israélienne ». L’unité du porte-parole de Tsahal a renvoyé le Times of Israël au ministère de la Défense.
À Abirim, de nombreuses maisons – aujourd’hui désertes – ont des cabines en bois dans le jardin, qui, en d’autres temps, permettent d’accueillir des touristes le week-end.
La ville dispose même d’un café en libre-service sur le thème de la forêt, où des panneaux vous demandent de payer ce qui vous semble juste à l’aide d’une application. Ce café est aujourd’hui rempli de soldats.
Les soldats plaisantent et se détendent autour d’un café, mais le bruit sourd des munitions tirées sur le Liban est toujours là, parfois pendant des minutes entières, sans interruption. Plusieurs Israéliens ont été tués par des missiles antichars tirés par des terroristes du Hezbollah, et plusieurs roquettes ont atterri dans des villes et villages israéliens.
Lundi, le Hezbollah a lancé un nouveau missile – qu’il appelle Burkan -, dont la charge utile est de plusieurs centaines de kilogrammes d’explosifs et la portée d’un peu plus de 6 kilomètres.
Il a détruit Biranit, un poste-frontière israélien, sans heureusement faire de victime, mais d’importants dégâts qui ont instillé la peur dans le cœur de centaines d’Israéliens.
Alors que sa mère raconte tout cela au Times of Israël, Shira, 4 ans, se souvient du rêve qu’elle a fait la nuit précédente.
« J’ai rêvé qu’il y avait une sirène : maman et moi sommes allées dans la zone protégée, puis il y a eu une explosion. Il y avait de mauvaises personnes. C’est là que je me suis réveillée et j’ai vu que ce n’était pas réel », a dit Shira. Elle a ajouté : « Il y a beaucoup de soldats ici. Ils veillent à ce qu’il ne nous arrive rien. »
Hefer retient ses larmes en entendant sa fille se rappeler de son rêve.
« Je sais que chaque jour ici la marque émotionnellement », a dit Hefer, qui est enseignante. « Mais les alternatives que j’ai sont encore pires. »
La municipalité à laquelle appartient Abirim, Maaleh Yosef, avait mis à la disposition d’Hefer et des siens un hébergement gratuit, près de Haïfa, en raison du handicap de sa mère et du fait que Racheli est mère célibataire. Mais le budget de la municipalité, qui dépend des dons, s’est épuisé et les Hefer ont dû partir.
La municipalité a alors proposé de les héberger temporairement à Tel Aviv – où les sirènes d’alerte se font entendre à chaque fois que des terroristes de Gaza prennent la ville pour cible – mais elles ont préféré revenir à Abirim.
« Je préfère rester là plutôt que de vivre dans une valise, chaque semaine à un nouvel endroit », a expliqué Hefer, dont la fille a besoin d’une éducation spécialisée. « Les changements rendent Shira extrêmement nerveuse. Ici, il y a des missiles, mais au moins c’est chez nous. Cela permet à Shira de rester calme. »
Yaniv Segal, 47 ans, père de deux enfants, fait partie de ces habitants d’Abirim – la majorité – qui sont partis, avec ses deux enfants, son ex-femme et son actuelle compagne.
« Pour un enfant, c’est trop traumatisant de rester là pour le moment », a commenté Segal, de passage à Abirim pour chercher des vêtements et du matériel.
Cela devrait suffire à permettre aux habitants d’Abirim de bénéficier d’une évacuation prise en charge par l’État. Le fait que ce ne soit pas le cas leur donne « l’impression d’être abandonnés à eux-mêmes, poussés entre les mailles du filet ». Aussi difficile que soit la vie à Abirim en ce moment, « ce n’est rien comparé à ce qui se passera ici si la guerre éclate sur tous les fronts », a ajouté Segal.
Ex-officier parachutiste de l’armée israélienne, Segal pense que, si tel est le cas, une pluie incessante de projectiles s’abattra sur Abirim et les autres villes de Galilée, ce qui conduira l’armée à condamner la route qui dessert la communauté de façon à déjouer toute tentative d’incursion terrestre de la part des terroristes.
« Quand cela arrivera, tout le monde devra partir », a-t-il assuré.
Aujourd’hui guide touristique spécialisé dans l’écologie et l’observation des champignons, Segal n’est pas quelqu’un de particulièrement nerveux. Le fait que des rats aient rongé la tuyauterie de l’évier de la cuisine, en son absence, le laisse de marbre. Il vit dans une cabane en bois d’une pièce et demie en lisière de forêt et n’a pas d’abri.
Il a demandé à ses deux enfants, qui sont en primaire et dont il partage la garde avec son ex-femme, de chercher un grand mur orienté Est en cas d’attaque de roquette.
Tami Pfeffer, mère de cinq enfants qui vit à Abirim depuis 1989, n’a pas l’intention de partir.
« Je ne suis pas partie pendant la deuxième guerre du Liban, ce n’est pas maintenant que je vais partir », a-t-elle dit. « Je suis contre le fait de partir. Si nous quittons Abirim maintenant, nous finirons par aller jusqu’à Haïfa ou Tel Aviv. » Mais elle se dit « furieuse » « qu’on laisse des mères avec des enfants de quatre ans vivre ici comme si c’était un environnement approprié pour eux ».
Elle se montre très critique envers la non-évacuation d’Abirim et d’autres villes dans le même cas, en dépit de leur inscription dans le décret gouvernemental répertoriant les lieux évacués.
« En réalité, tout ceci n’est que de l’insouciance, de la négligence », selon elle. « La même insouciance et la même négligence qui ont permis aux terroristes du Hamas d’envahir Israël et de massacrer 1 200 personnes et d’en enlever 240 autres. Nous sommes donc toujours dans ce schéma. Nous n’avons toujours pas réussi à nous mettre d’accord. »
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