En Moldavie, une communauté juive lutte contre le froid, avec la guerre à ses portes
Sous l’effet de la flambée des prix du carburant et l’inflation, la situation est très difficile à Chisinau, qui accueille de nombreux réfugiés
CHISINAU, Moldavie — Même avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la situation économique de la Moldavie, pays enclavé, n’était pas florissante.
Aujourd’hui, avec l’inflation et la flambée des prix des carburants, la communauté juive moldave et les réfugiés ukrainiens de passage font face à un hiver particulièrement dur.
« Des gens vont mourir de froid cet hiver. La question est de savoir combien », affirme au Times of Israël, au coin d’une rue froide de la capitale moldave, le rabbin Zusha Abelsky, directeur du Habad en Moldavie, qui apporte de l’aide à une partie de la communauté.
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Bien qu’elle ne soit pas partie à la guerre – Chisinau est officiellement neutre – l’ancienne république soviétique qui borde l’Ukraine à l’ouest est grandement affectée par les événements.
Ces dernières semaines, l’électricité a été coupée à deux reprises au moins en raison de frappes russes sur des installations électriques ukrainiennes connectées au réseau moldave.
« Lorsque l’électricité est instable en Ukraine, le système électrique de la Moldavie s’arrête automatiquement pour se protéger », expliquait par téléphone au Times of Israel l’ambassadeur moldave en Israël, Alexandr Roitman, il y a de cela quelques jours.
Roitman rappelait que, bien que le pays soit officiellement neutre, il n’était pas pour autant aveugle ou insensible à ce qui se passe à côté.
« La Moldavie est un pays neutre certes, mais quand nous voyons le droit international violé ou Odessa bombardée, quand nous voyons la Russie agresser l’Ukraine, nous ne nous cachons pas pour dire que cette guerre doit cesser », disait-il.
Les combats en Ukraine ont eu pour corollaire une forte hausse des prix des carburants en Moldavie, de l’ordre de plus de 500 % par rapport à 2021 dans certains cas, alors que les salaires n’ont pas augmenté.
M. Roitman a déclaré que le gouvernement faisait le nécessaire pour résoudre ces problèmes de carburant et d’électricité, tout en reconnaissant que cela prendrait du temps.
En plus de cette hausse des prix des carburants, qui empêche certains personnes de chauffer leur maison pendant cet hiver glacial, la Moldavie est durement touchée par la crise financière mondiale.
« La situation économique est critique en Moldavie. Les Allemands se plaignent de taux d’inflation de 10 %, mais en Moldavie, c’est plus de
34 % », explique en russe Alla Bolboceanu, représentante du Jewish Joint Distribution Committee (JDC) en Moldavie, dont les propos sont traduits par une autre membre de l’organisation.
Assise dans son bureau du centre communautaire juif de Chisinau, qui abritait précédemment la synagogue historique des bûcherons, Bolboceanu estime que la communauté était encore sous le choc de la pandémie de coronavirus lorsque la guerre a éclaté.
La majeure partie du budget du Jewish Joint Distribution Committee moldave, à plus de 80 %, provient du gouvernement allemand, dans le cadre des réparations pour les survivants de la Shoah, le reste de l’International Fellowship of Christians and Jews [NDLT : Association internationale de chrétiens et de juifs] (IFCJ), ainsi que des fédérations juives américaines.
Les prix élevés des carburants signifient que même lorsqu’il y a un générateur, il n’est pas toujours possible de le faire fonctionner, explique Yael Eckstein, présidente et directrice générale de l’IFCJ.
« Ce sont les problèmes auxquels je suis confrontée quotidiennement. Faire fonctionner un générateur coûte aujourd’hui 50 dollars de l’heure », précise Eckstein. Elle ajoute que l’IFCJ aide à financer le salaire des travailleurs sociaux du JDC qui gagnent 300 dollars par mois. (Le salaire minimum en Moldavie est d’environ 200 dollars par mois.)
« Cela m’empêche de dormir la nuit. »
Un refuge pour les Ukrainiens
En plus de ces combats que doivent livrer les citoyens moldaves, le pays a servi de principal point de passage pour les réfugiés en raison de sa position à la frontière avec l’Ukraine, face à Odessa, Mykolaïv et Kherson.
Selon Roitman, près de 750 000 réfugiés sont passés par la Moldavie depuis que la Russie a envahi l’Ukraine, le 24 février dernier. La plupart ont poursuivi leur route vers d’autres pays d’Europe – des milliers ont rallié Israël – mais 80 000 d’entre eux environ y sont restés, principalement des femmes, des enfants et des personnes âgées.
« Dès le premier jour de la guerre, la Moldavie a ouvert ses frontières aux réfugiés et nous ne les avons jamais refermées », affirme Roitman.
On estime à environ 65 000 le nombre de Juifs parmi les centaines de milliers de réfugiés, selon le Center for Jewish Impact, qui fournit une aide humanitaire à la Moldavie depuis le début de la guerre, avec l’ONG israélienne SASA Setton.
La Moldavie, qui comptait autrefois une importante communauté juive de quelque 100 000 personnes, n’en compte plus que quelques milliers, dont beaucoup de personnes âgées et infirmes.
Abelsky du Habad rappelle que, lors des premières semaines de la guerre, un grand nombre de réfugiés ukrainiens est arrivé et cette petite communauté, d’ordinaire plutôt endormie, a dû passer à l’action.
En collaboration avec l’IFCJ, le JDC et d’autres groupes juifs en Moldavie, le Habad a mis en place des camps pour les réfugiés ainsi qu’un hôpital de fortune. La cuisine casher de la synagogue fonctionnant presque jour et nuit pour fournir des repas aux réfugiés de passage à Chisinau – la plupart d’entre eux étant juifs, mais pas tous.
« Quand je demande à quelqu’un de mettre des tefillin, je lui demande s’il est juif d’abord. Vous ne posez pas la question quand vous distribuez de la soupe », explique-t-il, estimant qu’environ 20 % des personnes aidées n’étaient pas juives.
Abelsky, qui est né en Israël et se partage aujourd’hui entre les États-Unis et la Moldavie, est arrivé à Chisinau il y a plus de 30 ans, au moment de la chute du rideau de fer. Son père a été le tout premier émissaire Habad.
« Nous sommes ici depuis 30 ans. Nous étions prêts à faire face », explique Abelsky.
Bien que la grande majorité des réfugiés juifs qui sont entrés en Moldavie aient poursuivi leur route vers l’Europe ou Israël, plusieurs centaines ont choisi de rester et d’attendre la fin des combats.
Le Joint Distribution Committee, très actif en ex-Union soviétique, y compris en Ukraine et en Moldavie, indique avoir fourni beaucoup d’aide aux réfugiés ukrainiens. Face au tarissement du nombre des arrivées, il s’est dédié à l’équipement de plusieurs « centres de crise » avec générateurs, nourriture, moyens de chauffage et accès à Internet pour les personnes dans le besoin en Moldavie.
Bolboceanu estime que ces « centres de crise » pourraient être une bouée de sauvetage essentielle cet hiver.
« Nous devons les avoir… au cas où », ajoute-t-elle.
L’objectif principal du Joint Distribution Committee demeure la fourniture d’une aide à ses « bénéficiaires naturels », à savoir les personnes âgées – souvent des survivants de la Shoah – et personnes handicapées, sur la base de critères stricts.
Selon Bolboceanu, l’organisation compte normalement 2 500 bénéficiaires, qui reçoivent des visites quotidiennes de la part des travailleurs du JDC ainsi que des colis d’aide alimentaire.
« L’aide que nous leur apportons est déterminante pour eux », précise-t-elle.
Sur les centaines de réfugiés juifs ukrainiens installés en Moldavie, au moins temporairement, une grosse vingtaine – « un nombre gérable » – est devenue bénéficiaire des largesses du JDC, avec une aide directe régulière de l’organisation, précise Bolboceanu.
Les Karamelevas
L’une de ces familles ukrainiennes nouvellement bénéficiaires est la famille Karameleva : Rufina et Alexander, leur fille Olga et la fille d’Olga, Sophia.
Avant l’invasion russe, Rufina vivait à Mykolaïv, ville portuaire ukrainienne, depuis ses deux ans, depuis le retour de sa famille d’Ouzbékistan, au moment de la Seconde Guerre mondiale.
Son mari, Alexander, élevé à Tchernivtsi, dans l’ouest de l’Ukraine, était venu s’installer à Mykolaïv après ses études de médecine pour travailler à l’hôpital.
Dire que les Karameleva aiment Mykolaïv est un euphémisme. Olga et Rufina parlent de la ville en termes romantiques. Ils rêvent de ses roseraies et du zoo où ils emmenaient Sophia avant le début de la guerre.
Mykolaïv, qui a un port actif, est l’une des villes les plus durement touchées depuis le début de la guerre, mais les Karameleva ont essayé de tenir bon le plus longtemps possible sous les bombardements et le mugissement ininterrompu des sirènes.
Au bout de quelques semaines, Olga, mère célibataire, décide de partir avec Sophia. Toutes deux vont trouver refuge en Moldavie, dans un premier temps dans le centre communautaire juif de Chisinau, puis dans un camp de réfugiés situé dans les environs de Chisinau.
Au début de la guerre, elle souhaitait émigrer au Royaume-Uni, mais ses parents n’auraient pas pu les accompagner, aussi a-t-elle préféré ne pas trop s’éloigner.
Dans un premier temps, ses parents choisissent de rester à Mykolaïv, où Alexander est médecin. Mais en avril, leur appartement est touché par des éclats d’obus, qui endommagent le toit et soufflent leurs fenêtres. À ce moment-là, ils décident à leur tour de partir.
Olga revient à Mykolaïv aider ses parents à s’échapper. Ils laissent presque tout derrière eux, à l’exception notable de leurs deux chats.
D’avril à juin, ils se trouvent dans le camp de réfugiés aux abords de Chisinau, avant de s’installer à l’hôtel Jumbo, presque intégralement loué par l’IFCJ à des personnes déplacées par la guerre.
En août, le JDC les aide à trouver un logement à long terme, un petit appartement situé dans un vieil immeuble de style soviétique à Chisinau. L’appartement se remplit rapidement d’effets personnels, notamment de choses entre temps rapportées d’Ukraine et de nouveautés – la veille de l’arrivée de ce journaliste, la famille a reçu une livraison de couvertures épaisses de la part du JDC pour l’hiver – mais Olga le considère toujours comme une solution temporaire.
« Nous ne voulons pas nous installer ici. Nous espérons toujours que cela ira mieux, là-bas, et que nous pourrons rentrer chez nous. Mais mes parents, qui sont âgés, ne peuvent pas rester dans une maison sans électricité, ni eau, ni chauffage », précise Olga.
La situation à Mykolaïv s’est un peu améliorée depuis que l’armée ukrainienne a repris Kherson, mais l’électricité n’a pas été rétablie de manière pérenne, pas plus que l’eau courante. Leur immeuble est toujours debout, mais il a été gravement endommagé et toutes leurs fenêtres sont brisées. Les voisins restés sur place surveillent leur logement.
Massothérapeute de formation, Olga trouve de temps à autres du travail à Chisinau et fait du bénévolat auprès du JDC.
Ses parents s’occupent de Sophia, qui est trop jeune pour l’école, et lui enseignent l’alphabet et les mathématiques de base.
Même s’ils sont en Moldavie depuis neuf mois maintenant, une brève conversation avec eux suffit à comprendre que Mykolaïv reste au centre de la vie des Karameleva. Ils suivent constamment les informations sur leur ville, parlent avec leurs amis et s’informent à propos des combats.
Lorsqu’on leur demande s’ils envisageraient de s’installer ailleurs – en Moldavie, en Israël ou ailleurs en Europe ou en Amérique du Nord – ne serait-ce que pour cesser d’attendre, Olga fait la grimace, comme si on lui avait demandé si elle avait déjà songé à se jeter dans le vide.
Sa réponse, laconique, est compréhensible, même par un journaliste dénué de toute connaissance de la langue ukrainienne : « Pas encore ». (Non.)
Les frais de transport et d’hébergement du journaliste ont été réglés par l’International Fellowship of Christians and Jews.
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