Israël en guerre - Jour 431

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Et si Marine Le Pen gagnait… Quelles seraient les relations entre Israël et la France ?

Hausse des tensions diplomatiques, réduction des relations bilatérales, frictions autour du sort de la communauté juive, des diplomates expliquent, avec prudence, ce que pourraient devenir les relations franco-israéliennes

Journaliste Société-Reportage

La présidente et le Premier Ministre ? Nicolas Dupont-Aignan et Marine Le Pen, au siège du Front national, à Paris, le 29 avril 2017. (Crédit : Geoffroy van der Hasselt/AFP)
La présidente et le Premier Ministre ? Nicolas Dupont-Aignan et Marine Le Pen, au siège du Front national, à Paris, le 29 avril 2017. (Crédit : Geoffroy van der Hasselt/AFP)

Quand Nicolas Bay, n°3 du FN s’est rendu en Israël en janvier dernier, il a dû sa seule rencontre politique officielle à un responsable israélien qui a ensuite avoué ne pas savoir à qui il avait eu à faire. Consigne avait été passée par le gouvernement de n’accorder aucune entrevue à un membre du Front national. Aux yeux de nombreux israéliens, la remise en question de la responsabilité de la France dans la Shoah et la présence dans les rangs du parti de négationnistes et d’antisémites, classent le Front national dans la catégorie des partis politiques infréquentables. Mais une visite officielle de Nicolas Bay pourrait-elle être organisée si le FN gagnait le 7 mai prochain les élections présidentielles ?

Alors que le président Reuven Rivlin a appelé, de manière détournée mais sans ambiguïté, à faire barrage à Marine Le Pen, à quoi pourraient ressembler les relations franco-israéliennes ?

Contactés par le Times of Israël, les cabinets du président Reuven Rivlin, du Premier ministre Benjamin Netanyahu, et du ministre de la Défense, Avigdor Liberman n’ont pas souhaité répondre à nos questions quant aux relations qu’entretiendrait Israël avec une France présidée par Marine Le Pen.

« Il n’est pas possible de rompre les relations, estime le diplomate israélien Daniel Shek, ambassadeur en France de 2006 à 2010, qui précise « parler en son nom propre ». (Daniel Shek a par ailleurs pris publiquement position en faveur du candidat Emmanuel Macron)

Réduire la voilure des relations directes

« En toute spéculation, cela n’est pas possible. Il faudrait trouver une sorte de voie du milieu, qui soit une expression de la désapprobation du fait que la France soit gouvernée par une présidence d’extrême-droite, qui représente un parti qui a eu des propos tout à fait inacceptables sur le peuple juif et son histoire ».

Daniel Shek souligne que lors de l’entrée au gouvernement autrichien de Jorg Haïder (dirigeant du FPÖ, aux positions pro-nazies) nous avions rappelé notre ambassadeur, et les relations sont restées intactes ». Mais Israël n’a entretenu aucune « relations personnelles avec les ministres issus de son parti ».

Conférence de presse avec l'ambassadeur d'Israël à Paris, Daniel Shek, et Jean-Daniel Compain, directeur de Reed expositions et organisateur du salon, après l'alerte à la bombe du Salon du livre 2008, à Paris (Crédit : CC BY-SA 3.0)
Conférence de presse avec l’ambassadeur d’Israël à Paris, Daniel Shek, et Jean-Daniel Compain, directeur de Reed expositions et organisateur du salon, après l’alerte à la bombe du Salon du livre 2008, à Paris (Crédit : CC BY-SA 3.0)

Le principe serait de « garder des relations avec la France, mais pas de relations personnelles ni avec la présidente, ni ses collaborateurs ».

A ce titre, Nicolas Dupont-Aignan, nommé Premier ministre dans un futur hypothétique, pourrait sans doute être fréquentable aux yeux d’Israël.

Un propos appuyé par l’actuelle ambassadrice de France à Paris, Aliza Bin-Noun qui s’exprimait en amont du 1er tour lors d’un déplacement à Reims. Selon elle, seuls deux partis ne peuvent entretenir de relations avec Israël « l’extrême-gauche et l’extrême-droite (…). Concernant cette dernière et les éléments antisémites qui s’y trouvent, on ne peut avoir aucun lien » tranche Bin Noun.

Au-delà des relations personnelles entretenues entre les membres des deux gouvernements, une présidence de Marine Le Pen, (dans l’hypothèse où celle-ci serait également renforcée par une majorité législative) marquerait sans aucun doute une rupture diplomatique radicale avec les positions de gauche comme de droite qui prévalaient jusqu’alors.

La France dans l’axe Russie-Iran-Syrie ?

Le Quai d’Orsay assure habituellement une certaine continuité des relations internationales malgré les alternances gauche-droite. « Les tendances stratégiques, diplomatiques et économiques lourdes prévalent en général sur l’idéologie » explique le géopolitologue Fréderic Encel.

Frédéric Encel, si le Front National siégeait à l’Élysée…

« Cela dit, un président FN à l’Elysée, cela signifierait sans doute la sortie de l’OTAN, la glaciation avec nos amis et alliés anglo-saxons, et, oui, un rapprochement avec Moscou et Téhéran ». On se souvient que Marine Le Pen avait publiquement jugé « légale » l’annexion de la Crimée ukrainienne par la Russie.

Ce chamboulement pourrait donc, par ricochet, provoquer un réajustement des relations franco-israéliennes, via une baisse de l’influence américaine, et une hausse de l’influence de Moscou.

« En termes de politique étrangère, Marine Le Pen s’alignera sur Poutine, » appuie Arié Avidor, ancien consul général à Marseille, ex-ambassadeur au Sénégal puis au Nigéria. Elle adoptera ses positions pour ce qui concerne la solution en Syrie et en Iran, en opposition parfois directe aux intérêts du gouvernement israélien ».

-Marine Le Pen et Geert Wilders (Crédit : AFP)
-Marine Le Pen et Geert Wilders (Crédit : AFP)

A noter, et c’est un indice de la compatibilité du FN avec les intérêts de Téhéran, le prédicateur pro-iranien Yahia Gouasmi, du parti anti-sioniste, porte-voix des mollahs en France, appelle à faire barrage à Macron, en reprenant la célèbre critique de « l’UMPS » popularisée par le Front national.

Pourtant, selon Arié Avidor, à l’extrême-droite de Naftali Bennett, et même chez certains éléments du Likud, « on ne verrait sans doute aucun problème à un rapprochement avec Marine Le Pen. Certains hommes politiques israéliens prônent eux-mêmes un rapprochement avec la Russie, pour libérer Israël des pressions américaines ».

Les proches anti-israéliens de Marine Le Pen

Parmi les proches conseillers de la présidente du FN, on compte plusieurs « amis » de Bachar Al Assad. Derrière InfoSyrie, un site « de ré-information » et de propagande pro-Assad en français, on retrouve Frédéric Chatillon, qui fait également partie, via sa société Riwal, du dispositif de financement officieux du Front national.

Ce même Chatillon, est issu du GUD, groupuscule étudiant d’extrême-droite à tendance pro-palestinienne, comme de nombreux conseillers de Marine Le Pen. C’est au cri de « A Paris, comme à Gaza, Intifada ! » qu’il manifestait plus jeune, entouré de skin-head.

Affiche de campagne du parti antisioniste de Dieudonné et Alain Soral de 2009. (Crédit : capture d'écran YouTube)
Affiche de campagne du parti antisioniste de Dieudonné et Alain Soral de 2009. (Crédit : capture d’écran YouTube)

Marine Le Pen se montre beaucoup plus prudente que son père, sur le conflit israelo-palestinien. Mais elle provient de ce milieu, qui l’entoure et la conseille durant cette campagne présidentielle.

On se rappelle de son père, qui parlait en 2014 du « martyr de la population palestinienne » tout en regrettant que le Hamas « continue d’envoyer [ses roquettes] sur des terrains vagues ». Il se posait alors la question dans un lourd sous-entendu dirigé vers Israël : « mais qui envoie vraiment ces roquettes ? ». Ou quand le complotisme vient en aide à l’anti-sionisme…

Et pourtant, rappelle le politologue Jean-Yves Camus, le FN reste divisé sur la question israelo-palestinienne : Louis Aliot, vice-président du FN, est plutôt favorable à un rapprochement avec la communauté juive et Israël.

Contrairement au GUD, plutôt pro-palestinien, et au Bloc identitaire, autre mouvance extrême présente au sein du FN, qui rejette aussi bien juifs qu’arabes. Ou comme leur slogan le proclame : « ni Keffieh, ni kippa ». Quelle tendance prendrait le dessus dans le cas, par exemple, d’un vote pour la reconnaissance de la Palestine à l’ONU ? Prudent, le FN prône une politique d’équilibre: création de deux États libres et souverains dans le cadre des frontières de 1967, ainsi que le placement de Jérusalem sous contrôle international.

En 2014, le vote sur la reconnaissance de la Palestine au Parlement français avait divisé les (deux) députés Rassemblement Bleu Marine: Marion Maréchal-Le Pen était « pour » et Gilbert Collard « contre ».

En effet, prendre position sur le conflit israelo-palestinien, reviendrait in fine à prendre partie pour les Juifs ou pour les Arabes. Ce qui pose un problème « éthique » à un Front National qui préfère les renvoyer dos-à-dos. Ou les utiliser à des fins de stratégie électorale.

Un rapprochement avec les arabo-musulmans, prôné un temps par un Alain Soral, anti-sioniste et conseiller éphémère de Jean-Marie Le Pen permettrait d’attirer les votants anti-impérialistes, et une partie de la gauche.

Tandis qu’un dialogue officiel avec la communauté juive et Israël concrétiserait la dé-diabolisation du Front national. Difficile donc de prévoir ce que seraient les orientations d’une présidence FN pour le Moyen-Orient.

Pourtant la position de Louis Aliot a semblé gagner en poids ces dernières années, et l’on a vu, sporadiquement Marine Le Pen faire des appels du pied à la communauté juive (le FN, « meilleur bouclier » des Juifs), ou tenter d’envoyer des émissaires en Israël, sans succès. Le gouvernement israélien ayant fait passer la consigne : aucune rencontre officielle avec le Front national n’est tolérée.

La communauté juive française au cœur des relations internationales

Pour Arié Avidor, le sort de la communauté juive, en cas de victoire de Marine Le Pen, deviendrait central dans les relations franco-israéliennes.

« Le gouvernement israélien reste le garant des juifs de diaspora, explique le diplomate, qui s’inquiète que même des « les éléments modérés, comme Gilbert Collard (affilié FN, n’appartient pas au parti FN), ont affirmé qu’ils feront cesser l’abattage rituel. Cela aura des répercussions en Israël ».

« L’interdiction de la shehita (abattage rituel) est inconcevable pour un gouvernement israélien qui possède des éléments ultra-orthodoxes en son sein, » ajoute Avidor.

Mais selon Frédéric Encel, « la France est un Etat souverain et Israël ne disposerait pas de leviers importants pour tenter d’infléchir des initiatives de ce type, surtout que les restrictions en matière religieuse ou traditionnelle ne concernerait pas que le judaïsme ».

« Les relations diplomatiques se réchauffent ou se tendent davantage sur des questions géopolitiques ou commerciales » ajoute-il.

Arie Avidor (Crédit : Facebook)
Arie Avidor (Crédit : Facebook)

Avidor évoque aussi le refroidissement que pourrait causer la fin annoncée de la double nationalité, annoncée par Marine Le Pen pour les franco-israéliens qui pourrait déboucher sur une « obligation de visa » pour les citoyens israéliens voulant se rendre en France.

Ajoutées à cela, les déclarations contre le port de la kippa en public et une nouvelle hausse probable de l’alyah, les excès annoncés d’une présidence FN accumuleraient sans doute les motifs de tensions et de discorde entre les deux pays.

« Je ne vois que des nuages à l’horizon, » prévoit Arié Avidor pessimiste. Selon lui, la communauté juive, de nouveau écoutée par le gouvernement depuis les attentats de Toulouse et de l’Hyper Casher, sera la victime probable de l’anti-communautarisme frontiste.

Avec cette conséquence sur le plan diplomatique : selon Avidor l’avènement d’une présidente nationaliste et isolationniste coupera tous les canaux informels qui existaient entre la France et Israël. « Tous les leviers qui pouvaient exister seraient perdus, » redoute-il.

La communauté juive, dans une France gouvernée par Marine Le Pen, ne pourra plus jouer avec la même efficacité le rôle d’intermédiaire entre la France et Israël. Elle ne sera simplement plus entendue.

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