Évacué sous les roquettes, un célèbre bar de Kiryat Shmona transite à Tel Aviv
Fondateurs et mécènes du Patifon, lieu unique pour les étudiants, se retrouvent pour des événements pour préserver l'esprit communautaire jusqu'au moment du retour à la maison

Trois ans après avoir révolutionné la vie étudiante nocturne à Kiryat Shmona, dans le nord d’Israël, le bar étudiant Patifon est aujourd’hui vide à cause de la guerre.
Comme la plupart des habitants de cette ville de quelque 24 000 habitants, les propriétaires du bar et sa clientèle issue des 4 500 étudiants du Tel Hai Academic College ont été évacués de Kiryat Shmona en octobre en raison des tirs quotidiens qui se poursuivent avec le groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah.
Cette semaine, cependant, le Patifon a fait un retour très attendu – bien qu’en exil à Tel Aviv. Là, le cercle Patifon s’est réuni pour la première d’une série d’événements visant à servir d’axe à une communauté traumatisée mais dévouée de jeunes adultes devenus des évacués, que beaucoup considèrent comme la meilleure perspective de renouveau de la ville appauvrie.
« OK, je sais que ce n’est pas le Patifon, mais, en même temps, c’est presque ça », a déclaré Ania Girun, journaliste et animatrice d’une émission de radio locale, lors d’une récente lecture de poèmes qu’elle a animée pour les fondateurs du Patifon, Ben Golan et son épouse Ronie Golombik.

Une centaine de personnes évacuées se sont retrouvées, mardi, dans une auberge du sud de Tel Aviv, autour d’un événement organisé par le couple avec l’Université Tel Haï, l’organisation à but non lucratif Kedma et d’autres partenaires. Les dizaines de jeunes présents à l’auberge Roger House connaissaient presque tous le Patifon, ouvert en 2021 sous forme d’initiative populaire pour les jeunes passionnés de musique. Il y a deux ans, la municipalité a pris Patifon sous son aile pour en faire un centre d’activités et un centre communautaire.
Installé dans le complexe artistique Khan House de Kiryat Shmona, structure du XVIIIe siècle dotée d’une impressionnante architecture ottomane restaurée et modernisée ces dernières années, le Patifon accueille des concerts et des installations artistiques. Mais sa fonction principale est d’être l’unique point de ralliement pour les centaines d’étudiants, la plupart originaires de l’extérieur de Kiryat Shmona, qui fréquentent Tel Haï.
L’Université Tel Haï fonctionne actuellement à distance. Le Hezbollah a tiré des centaines de roquettes sur Kiryat Shmona pour montrer sa solidarité avec le groupe terroriste palestinien du Hamas qui a déclenché une guerre avec Israël lorsque quelque 3 000 ont assassiné près de 1 200 personnes en Israël et ont emporté 254 otages dans la bande de Gaza le 7 octobre dernier. Mercredi, l’une des roquettes du groupe terroriste chiite libanais a tué un homme, un ouvrier d’une usine âgé de 38 ans, à Kiryat Shmona, ce qui porte à une vingtaine le nombre de victimes israéliennes de ces hostilités, localement.
Israël a tué plus de 200 personnes, pour l’essentiel des terroristes, dans des frappes de représailles au Liban. Les belligérants bombardent principalement des cibles situées dans le nord de Haïfa et au sud de Beyrouth. Plus de 20 000 personnes originaires du nord d’Israël restent évacuées, contrairement à la grande majorité des près de 60 000 personnes évacuées du sud, qui ont pu rentrer chez elles.

L’auberge en question, à Tel Aviv, un espace rectangulaire plutôt spacieux avec des meubles shabby-chic, orné de couleurs froides et situé non loin d’une artère bruyante et d’un bar, ne pourrait pas être plus différent du local de Kiryat Shmona, avec ses motifs circulaires (Patifon signifie tourne-disque en hébreu), son mobilier confortable et sa décoration colorée.
« C’est la même chose, tout en étant différent », a analysé une habituée de Patifon, Ori Gini, en parlant de la soirée poésie à l’auberge Roger House. « Qu’importe ? C’est ce que nous avons et c’est mieux que rien. C’est déjà incroyable », a-t-elle confié.
L’amour de Gini pour le Patifon tient pour partie au fait que le lieu est né dans une ville plutôt vieillissante dans laquelle les jeunes adultes dépendent depuis des décennies des kibboutzim et moshavim voisins, ou de villes plus grandes pour la culture et la vie nocturne.
Le fait que la municipalité de Kiryat Shmona ait décidé de financer le Patifon l’année dernière montre qu’elle y voit le moyen d’attirer les jeunes diplômés et étudiants, a souligné Ben, le fondateur du Patifon.
Une alternative à Tel Aviv
« J’ai grandi à Kiryat Shmona et j’ai vu tous mes camarades de classe partir pour Tel Aviv, voire à l’étranger. L’un après l’autre. J’ai voulu faire en sorte que les jeunes restent ici », a confié Ben, qui est également producteur de musique. Le Patifon a attiré plusieurs artistes à Kiryat Shmona, a rappelé Ben, et a accueilli pour des concerts à guichets fermés des artistes émergents comme Eitan Peled, Mika Moshe, Yam Gronich ou Lenny Kaplan.
« Tout avait commencé à décoller six mois avant la guerre, qui a mis un terme à tout ça », s’est rappelée Ronie, l’épouse de Ben.
Ben, 30 ans, et Ronie, 26 ans, attendent leur premier enfant. Ils ont été évacués à Tel Aviv, comme une grande partie du corps étudiant de Tel Haï.
« C’est très ironique : avec le Patifon, nous montrions que les artistes et les jeunes n’avaient pas besoin de partir pour Tel Aviv », a expliqué Ronie au Times of Israel. « Et pourtant, nous sommes là, en train de reconstruire cette communauté – à Tel Aviv. C’est dommage. » Ronie veut malgré tout rester positive. « Quand nous reviendrons, il y aura un grand besoin d’activités communautaires comme les nôtres et elles atteindront de nouveaux sommets », a-t-elle affirmé d’un ton qui sonnait comme un mantra souvent répété.

Une communauté au sein d’une communauté
La Roger House accueille 15 étudiants de Tel Haï originaires du village étudiant de Kedma, à Metula, organisation sioniste à but non lucratif. Metula, une ville de quelque 1 500 habitants de Haute Galilée, a également été évacuée.
« Nous sommes un groupe très soudé au sein de la communauté étudiante de Tel Haï », a confié Shahar Meidan, 28 ans, diplômée de Tel Haï à la tête du village étudiant de Kedma, à Metula.
Il y règne un sens plus fort de la communauté, mais ses membres « vivent également dans des conditions plus difficiles : dans un foyer sans intimité alors que les examens de fin de semestre approchent », a expliqué Meidan.

« C’était formidable de retrouver la communauté », a-t-elle ajouté au sujet de la soirée poésie.
Même si cela fait près de six mois, la quasi-totalité des poèmes et textes ont porté sur le 7 octobre ou ses conséquences directes.
« C’est parce que nous sommes encore dedans. Le 6 octobre a été le dernier jour de normalité pour nous », a déclaré Gini.
Comme beaucoup d’autres étudiants, elle aspire à un sentiment de communauté et de solidarité.

« J’ai tout laissé à Kiryat Shmona, toutes mes affaires. Elles sont là-bas depuis près de six mois. Quelque chose m’empêche de retourner les prendre, même si j’en ai besoin. Tant qu’elles restent là-bas, cela signifie que j’ai une maison. Même si je ne peux pas y être », a confié Gini.
Après avoir quitté Kiryat Shmona, elle est retournée vivre chez ses parents à Gan Shmuel, non loin de Tel Aviv, et a trouvé un travail d’enseignante. Elle poursuit ses études à l’Université Tel Haï en ligne, mais « c’est très difficile », a-t-elle reconnu. Elle fait des efforts pour réussir son année universitaire et se faire à la perte d’une partie de son indépendance, et elle trouve qu’il est « plus que jamais important de renouer avec mon peuple, ma communauté. C’est pour ça que je suis venue ici : cela me donne des forces ».

Michael Kovalevsky, 24 ans, est un évacué de Kiryat Shmona qui n’étudie pas à Tel Haï mais qui est venu à l’événement parce qu’il connaît le Patifon. Comme Ben, Kovalevsky veut aussi retourner à Kiryat Shmona, où il fera du bénévolat pour les jeunes issus de familles en difficultés.
« Je vis à un endroit où je n’ai pas ma place », a-t-il expliqué à propos de Tel Aviv. « Mais je ne peux pour l’instant pas vivre chez moi. C’est une vie solitaire. Le fait d’être entouré de gens que je connais m’aide.”
Girun, la journaliste de Kiryat Shmona qui a animé la lecture de poèmes, a écrit sur Facebook au début du mois qu’elle avait souhaité « être un peu plus anonyme » avant le 7 octobre. Elle vit à Tivon, près de Haïfa, en tant qu’évacuée, et presque personne ne la connaît là-bas, a-t-elle souligné.
« Je n’aime plus l’anonymat », a-t-elle expliqué. « La prochaine fois, je demanderais des crêpes, la paix dans le monde, un vélo ou simplement être parmi les miens, avec – ou sans – quelques amuse-gueules sur la table. »
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