Face à l’antisémitisme, l’extreme-gauche dans le déni – Robert Hirsch
Cet historien, auteur de "La gauche et les Juifs" et ex-militant trotskyste, estime que "la gauche radicale fait le plus souvent preuve de déni par rapport à l'antisémitisme actuel"
La crise qui secoue Act Up-Paris illustre les déchirements à gauche autour des notions d’anti-sionisme et d’antisémitisme, accentués depuis l’assaut barbare mené par le groupe terroriste palestinien du Hamas en Israël le 7 octobre, selon l’historien Robert Hirsch.
Dans cet entretien avec l’AFP, l’auteur de La gauche et les Juifs (éditions Le Bord de l’eau), ancien militant trotskyste, estime que « la gauche radicale fait le plus souvent preuve de déni par rapport à l’antisémitisme actuel ».
Quel est le rapport entre la gauche et l’antisémitisme ?
Hirsch : Act Up, c’est une organisation un peu emblématique de la gauche radicale de ces dernières années avec des actions qui dénotent un certain radicalisme.
Depuis le 7 octobre, on voit bien qu’il y a un peu une difficulté de la gauche radicale, accentuée par rapport aux dernières années, à prendre en compte la question de l’antisémitisme.
Par exemple, la gauche radicale n’a pas participé à la marche contre l’antisémitisme du 12 novembre 2023 qui posait beaucoup de problèmes puisqu’il y avait la présence du Rassemblement national, de l’extrême-droite, qui elle-même est antisémite, mais la gauche radicale aurait pu proposer une autre initiative contre l’antisémitisme, elle ne l’a pas fait. Preuve de son manque de préoccupation à cet égard.
Moi, je ne considère pas que la gauche radicale soit antisémite, il y a des antisémites comme il y en a partout mais la gauche radicale fait le plus souvent preuve de déni par rapport à l’antisémitisme actuel.
La frontière entre antisémitisme et anti-sionisme est-elle poreuse ?
Hirsch : C’est une question délicate parce qu’une partie de la droite et de la droite sioniste utilisent cela en laissant entendre que toute critique d’Israël serait antisémite […] La critique d’Israël est tout à fait légitime.
On pouvait être anti-sioniste avant la création de l’État d’Israël, beaucoup de Juifs l’étaient et considéraient que ce n’était pas une bonne idée d’aller en Israël. Personnellement, je ne pense pas qu’aller en Israël ait été une bonne idée. Mais le XXe siècle n’a pas laissé beaucoup d’autres choix aux Juifs persécutés. Aujourd’hui, l’État d’Israël existe, avec une population juive qui est présente.
Si être anti-sioniste, c’est critiquer [le Premier ministre israélien Benjamin] Netanyahu, il n’y a pas de problème. Si être anti-sioniste c’est remettre en cause l’existence de l’État d’Israël, là ça confine à l’antisémitisme.
Qualifier quelqu’un de « sioniste », est-ce antisémite ?
Hirsch : L’expression sioniste a une histoire, elle a souvent été utilisée pour désigner les Juifs sans dire le mot « juif ».
Les premiers qui l’ont utilisée, c’est Staline et les dirigeants communistes des démocraties populaires après la Seconde Guerre mondiale, avec les grands procès dont celui de Prague [en 1952] où […] 11 des 14 accusés […] étaient juifs et on considérait qu’ils étaient ‘sionistes’ […] Ils n’étaient pas du tout sionistes, c’était pour ne pas dire ‘juifs’.
Cette tradition-là, malheureusement aujourd’hui, j’ai l’impression qu’elle existe dans une partie de la gauche, c’est-à-dire que sioniste devient une insulte, comme fasciste.
On l’a bien vu sur les images de la manifestation féministe du 8 mars, où un cortège de femmes juives protestant contre les viols [commis par le Hamas] a été très violemment agressé aux cris de ‘sionistes’, etc. »