France : face aux propos antisémites, une formation au « karaté verbal »
Le militant Jonas Pardo propose des formations qui comprennent une grande part théorique pour décortiquer l'histoire du négationnisme, du nazisme, mais aussi l'antisémitisme venu des mouvances anticapitalistes et complotistes

« Si on vous dit ‘il paraît que tu es sioniste’, vous faites quoi? », interroge à la volée Jonas Pardo, issu du militantisme d’extrême gauche, lors d’une formation qu’il anime pour lutter contre les propos antisémites, y compris dans les rangs de la gauche.
« Je réponds ‘qu’est-ce que tu entends par sioniste?' », répond un participant d’un atelier réunissant une vingtaine de personnes – militants associatifs, fonctionnaires, artistes, etc.
A travers la technique dite du « théâtre forum » sont testées les postures à adopter lorsqu’ils ou elles sont interpellés sur le conflit israélo-palestinien ou se retrouvent cibles ou témoins de propos antisémites, y compris sur les réseaux.
« On ne peut pas en une journée ressortir en étant une ceinture noire du karaté verbal et résoudre toutes les situations mais on peut faire en sorte, lorsqu’on est confronté à l’antisémitisme, de penser à plusieurs stratégies possibles », explique à l’AFP en marge de cette session Jonas Pardo, qui a grandi dans une famille juive de Marseille.
Venu de mouvements d’écologie radicale, ex-« zadiste » de Notre-Dame-des-Landes et par ailleurs militant syndical, ce trentenaire a peu à peu réalisé que ses compagnons de route manifestaient de l’indifférence voire « une certaine complaisance » envers les auteurs d’attentats jihadistes visant des juifs, en évoquant le sort des palestiniens, comme Mohammed Merah en 2012.
Avoir des « outils »
Il a commencé à discuter avec ces militants, puis les échanges se sont structurés. Il s’est peu à peu consacré à des formations auprès d’associations, syndicats ou collectivités, plutôt situées à gauche, fondant sa propre association, La Boussole Antiraciste.
Ses formations comprennent une grande part théorique pour décortiquer l’histoire du négationnisme, du nazisme, mais aussi l’antisémitisme venu des mouvances anticapitalistes et complotistes.
Parmi les participants de l’atelier du jour, organisé dans un centre culturel à Paris, certains sont juifs, d’autres pas. De milieux plutôt progressistes et laïcs, beaucoup militent pour la coexistence entre les religions et la cause palestinienne.
Depuis l’attaque sans précédent du 7 octobre 2023 perpétrée par le Hamas en Israël et la guerre contre le groupe terroriste islamiste palestinien qui s’en est suivie, l’antisémitisme est en hausse en France : 1 570 actes antisémites ont été recensés en France en 2024, presque autant qu’en 2023, contre 436 en 2022.
Dans son rapport annuel, en juin 2024, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) avait souligné l’existence « de l’antisémitisme à gauche, tout particulièrement à la gauche de la gauche », mais à un niveau « sans comparaison avec celui observé à l’extrême droite et chez les proches du Rassemblement national ».
« On s’est pris une déflagration d’antisémitisme, sans avoir les outils pour le désamorcer. Ça se répercute dans toutes les sphères, professionnelles, privées », raconte Eva Vocz, artiste performeuse.
« Toute cette haine »
Elle dit avoir été ostracisée en tant que juive dans l’association où elle travaillait. D’autres participants, y compris certains qui ne sont pas juifs, estiment aussi l’avoir été de part de proches ou de collègues, pour des positions jugées trop favorables à Israël.
Lucas Benamou, un autre participant, trouve important de « mieux comprendre des mots comme antisionisme, négationnisme (…) un peu flous pour tout le monde ».
Dans Petit manuel de lutte contre l’antisémitisme, coécrit avec Samuel Delor, Jonas Pardo, également co-fondateur du Golem, mouvement de jeunes juifs de gauche, qualifie par exemple « le sionisme » de « mot-valise du complotisme » pour attaquer les juifs.
Il sort après deux années d'écriture percutées par une actualité intense. Le Petit manuel de lutte contre l'antisémitisme de Samuel Delor et Jonas Pardo est publié aux Editions du Commun. Rendez-vous à la librairie Le Pied à terre @lepiedaterreLib vendredi 25 octobre 2025. pic.twitter.com/4FMeQaRhaZ
— Jonas Pardo (@jonaspardoform) October 11, 2024
Le sionisme est un mouvement politique apparu à la fin du XIXe siècle dans la diaspora européenne et visant à doter les Juifs d’une patrie sur les terres de l’ancien royaume d’Israël dans ce qui est alors la Palestine sous domination ottomane.
Le refus du droit à l’autodétermination des Juifs et le traitement inégalitaire de l’État d’Israël, à qui l’on demande d’adopter des comportements qui ne sont ni attendus ni exigés de tout autre État démocratique sont des positions antisémites selon la définition rédigée par l’Internation Holocaust Remembrance Alliance.
Lucas Benamou se sentait « un peu perdu depuis le 7 octobre ». La formation lui apporte « plus d’armes pour vivre dans le monde d’aujourd’hui », et « l’occasion de rencontrer des gens qui vivent la même chose ».
Avec parfois dans cet atelier, après les rires très « humour noir », quelques larmes : « Ça fait se confronter à toute cette haine », résume une participante aux yeux rougis après l’exposé sur le nazisme.