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Floride : Une loi contre la théorie critique inquiète des universitaires juifs

Les opposants disent que le projet de loi pourrait rendre impossible les cours en études juives - et mettrait hors-la-loi également de nombreux autres domaines académiques

La bibliothèque de Smathers à l'université de Floride, à Gainesville, en Floride, le 8 mai 2021. (Crédit : Steven Martin via Creative Commons/via JTA)
La bibliothèque de Smathers à l'université de Floride, à Gainesville, en Floride, le 8 mai 2021. (Crédit : Steven Martin via Creative Commons/via JTA)

JTA — L’université de Floride compte plus d’étudiants juifs que n’importe quelle autre université publique aux États-Unis. Au début du mois, l’un d’entre eux a contacté un professeur, craignant qu’il ne soit plus possible d’étudier des sujets juifs à l’université.

Citant une illustration qui avait fait le tour des réseaux sociaux, l’étudiant a demandé s’il était vrai qu’un nouveau projet de loi en cours d’examen par la législature de l’État supprimerait tous les « cours d’études juives, comme matières principales et secondaires » dans l’État. L’image a été partagée par plusieurs personnes très suivies en ligne, dont l’humoriste D.L. Hughley, qui compte plus de 750 000 abonnés sur Twitter.

« J’adore ma matière principale et je ne peux pas imaginer passer à autre chose », a écrit l’étudiant, selon Norman Goda, directeur du Centre d’études juives de l’université.

Goda n’a pas été en mesure de rassurer l’étudiant. Comme d’autres universitaires juifs de Floride qui ont parlé à la Jewish Telegraphic Agency, il ne sait pas si le projet de loi H.B. 999 affecterait les études juives sur les campus universitaires de l’État. Bien que l’auteur du projet de loi – un représentant républicain de l’État – affirme que ce ne sera pas le cas, la formulation du projet de loi s’avère beaucoup moins claire.

En effet, la formulation actuelle du projet de loi interdirait aux établissements publics d’enseignement supérieur de l’État d’enseigner ou de proposer une matière principale ou secondaire basée sur la « méthodologie associée à la théorie critique ». Selon des universitaires et d’autres critiques du projet de loi, cette interdiction rendrait impossible l’enseignement de cours d’études juives et mettrait hors la loi de nombreux autres domaines de l’enseignement supérieur.

Ce que le projet de loi entend exactement par « théorie critique » n’est pas clair. Pour les universitaires, ce terme fait référence à un outil d’analyse de la société et de la culture, créé dans les années 1930 par des universitaires juifs allemands, qui encourage les gens à voir le monde à travers les structures de pouvoir et à examiner les raisons pour lesquelles elles ne sont pas à la hauteur. Pour les conservateurs politiques, il s’agit en quelque sorte de la « théorie critique de la race », un mot d’ordre pour ceux qui veulent empêcher l’enseignement du racisme dans les salles de classe. Une version antérieure du projet de loi H.B. 999 ne mentionnait que la théorie critique de la race, et non la théorie générale.

« Ces gens ne savent pas de quoi ils parlent », a déclaré un enseignant juif d’une université de Floride, qui a requis l’anonymat par crainte de représailles de la part du gouvernement de l’État, à propos des législateurs à l’origine de la loi H.B. 999. « Vous placez des gens qui ne savent pas ce qu’est la théorie critique, mais qui ont entendu les mots – et vous les placez maintenant à la tête des universités ».

« Vous mettez des gens qui ne savent pas ce qu’est la théorie critique, mais qui ont entendu les mots – et maintenant vous les mettez à la tête des universités. »

Une université qui éliminerait complètement ces idées de ses salles de classe, a déclaré le membre anonyme du corps enseignant, « serait inexistante ».

Le projet de loi en question est le dernier exemple en date des efforts déployés par les États sous l’égide des conservateurs pour étouffer les modes de pensée de guerre culturelle tels que la théorie critique de la race et les études de genre, souvent désignés par euphémisme par les législateurs comme des « concepts qui sèment la discorde » au sein de l’éducation. De telles tentatives ont parfois eu pour effet d’entraver l’enseignement de l’histoire juive et de la Shoah.

Les tentatives de légiférer sur la salle de classe sont particulièrement puissantes en Floride, où le gouverneur républicain Ron DeSantis, candidat probable à l’élection présidentielle, a fréquemment fait part de son désir d’interdire l’enseignement des concepts « woke » dans l’État. (M. DeSantis a déclaré qu’il attendrait de voir la forme finale du projet de loi H.B. 999 avant de décider de le signer ou non, mais lors d’une discussion avec des administrateurs d’université la semaine dernière, il a continué à s’insurger contre ce qu’il a appelé le « programme idéologique » des programmes de diversité, d’équité et d’inclusion sur les campus).

L’état a récemment jeté le programme d’un nouveau cours d’études afro-américaines en accéléré dans les lycées, obligeant le Conseil d’université à retravailler sur la question. La Floride accueille aussi plusieurs groupes actifs de « droits des parents » conservateurs qui ont exercé des pressions pour faire disparaître des établissements publics d’enseignement des livres et des clubs qu’ils jugent « douteux ».

Le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, s’exprimant lors d’une réunion annuelle des dirigeants de la Coalition juive républicaine, à Las Vegas, le 19 novembre 2022. (Crédit : AP Photo/John Locher)

Tandis que la plus grande partie des législations, dans ce domaine, ont visé les enseignements délivrés dans les écoles pendant tout le cursus de scolarité – de la maternelle au secondaire – ce projet de loi et d’autres initiatives, en Floride, sont allés plus loin en cherchant à réguler le monde de l’enseignement supérieur financé par l’état. Avec en conséquence, selon les critiques, des menaces dangereuses et nouvelles qui planent sur la liberté académique et un projet de loi rédigé à l’aide de formulations larges et vagues, qui sont susceptibles de laisser dans l’incertitude la recherche et l’enseignement concernant un certain nombre de disciplines.

« Ce projet de loi paralyserait la liberté de longue date qu’ont les universités pour créer et enseigner un programme sur la base du développement des matières universitaires », commente Cary Nelson, professeur émérite à l’université de l’Illinois et ancien président de l’Association américaine des professeurs d’université, qui a donné de nombreux cours sur des sujets d’étude juifs, auprès de la JTA.

Lors d’une récente audience de sous-commission sur la législation, le représentant républicain de l’état Alex Andrade, co-auteur du projet de loi, a déclaré : « Je crois que les universités de l’état devraient se concentrer sur la nécessité d’apprendre aux étudiants comment penser, pas ce qu’ils doivent penser. » Il a ajouté que l’interdiction, dans son texte, des idéologies « radicales » faisait référence « à un système créé pour orienter et pour promouvoir certaines formes d’activisme visant à atteindre un point de vue spécifique ».

Des efforts ayant pour objectif de limiter les contenus enseignés aux enfants et aux étudiants dans les facultés sont livrés dans plusieurs états américains. Mais la Floride compte une population particulièrement importante d’étudiants juifs. University of Florida est première au classement réalisé par Hillel international des universités publiques ayant la plus importante proportion d’étudiants juifs, et University of Central Florida est troisième. La Florida State University, la Florida International University, la Florida Atlantic University et la University of South Florida sont aussi classées dans le Top 60.

L’ancien président de l’Association américaine des professeurs d’université Cary Nelson en 2010. (Crédit : CC BY SA Flickr/Don LaVange)

La loi H.B. 999 aurait aussi, de manières différentes, un impact dans ces établissements. Le projet de loi, qui a récemment été confié à une Commission, restructurerait le processus d’examen des professeurs titulaires : au lieu de contrôler la productivité, en matière de recherche, d’un membre de la faculté – comme c’est actuellement le cas en Floride – les professeurs pourraient être réexaminés « à n’importe quel moment pour un motif valable », et notamment « pour la violation de n’importe quelle loi ou règle applicable. »

Le résultat, a indiqué un universitaire de l’état, serait « l’ouverture de la chasse contre les professeurs », qui pourraient être renvoyés de leur travail si le conseil d’administration de leur université – dans le public, ce dernier est placé sous l’autorité du gouverneur – est en désaccord avec leur programme.

Andrade, de son côté, a rejeté l’idée que le projet de loi vienne nuire aux études juives en Floride.

« Les personnes extérieures ont tort. Les études ethniques ne sont pas affectées par le projet de loi, que ce soit dans son intention ou dans sa formulation », a écrit Andrade dans un courriel adressé à JTA, accusant les critiques de « mentir et d’affirmer que les dirigeants de la Floride ont tenté d’interdire l’enseignement de l’Histoire afro-américaine dans les écoles ».

Le seul législateur juif républicain de l’état, le représentant Randy Fine, n’a pas répondu à une demande soumise par JTA qui l’interrogeait sur son éventuel soutien au projet de loi. Fine a fait la promotion, dans le passé, de législations similaires portant sur la guerre des cultures, avec notamment un texte de loi dont il avait été le co-auteur au mois de février et qui interdisait à toutes les écoles, de la maternelle au lycée, de se référer aux élèves ou aux personnels par des pronoms ne correspondant pas à leur sexe.

« Les personnes extérieures ont tort. Les études ethniques ne sont pas affectées par le projet de loi. »

Avec une chambre et un sénat placés sous la domination des républicains, il est probable qu’une forme ou une autre de la loi H.B. 999 arrive jusqu’au bureau de DeSantis. (Un projet de loi parallèle, au sénat de l’état, ne contient aucune formulation sur la théorie critique). Mais l’opposition est forte au sein de la communauté académique. Des groupes, notamment l’American Historical Association, l’American Association of University Professors et le syndicat regroupant tous les personnels des facultés de l’état ont condamné le projet de loi avec véhémence et demandé aux députés de s’y opposer.

Le communiqué émis sur le projet de loi par l’American Historical Association, ce mois-ci, a qualifié la législation « d’attaque flagrante et frontale contre les principes de la liberté universitaire et de la gouvernance partagée, qui sont au centre de l’enseignement supérieur aux États-Unis ». Plus de 70 organisations académiques, historiques et activistes ont co-signé ce communiqué.

Le comité exécutif de l’Association for Jewish Studies a signé un communiqué différent qui a été écrit par l’American Council of Learned Societies et qui estime que le projet de loi vise « à saper la liberté académique en Floride ».

« S’il est adopté, il mettra un terme à la liberté académique dans les universités et dans les établissements d’enseignement supérieur dans l’état avec des conséquences dures pour l’enseignement, la recherche et l’équilibre financier des institutions », a dit le communiqué. « La liberté académique signifie la liberté de pensée – pas la production d’histoires ordonnées par le gouvernement, des histoires qui ont été taillées sur mesure pour correspondre à l’ordre du jour d’un parti dans la guerre culturelle actuelle ».

Alors qu’il était demandé de commenter le projet de loi, Warren Hoffman, directeur exécutif de l’Association for Jewish Studies, a renvoyé au communiqué.

L’université de Floride. (Crédit : Wikimedia Commons, CC BY-SA 3.0, FightingRaven531)

Rachel Harris, directrice et présidente du programmes d’études juives au sein de la Florida Atlantic University, a commencé son premier semestre à l’université après avoir quitté l’université de l’Illinois. « Je suis en train de me demander si cela n’a pas été une erreur terrible, » dit-elle en plaisantant. (Harris passe actuellement un trimestre en Israël pour faire des recherches dans le cadre d’une bourse Fullbright).

Harris affirme néanmoins être « confiante » dans le fait que les législateurs « continueront à soutenir les engagements pris en matière d’éducation dans l’état », faisant remarquer qu’en Floride, l’enseignement de la Shoah est obligatoire dans les écoles publiques. Son université Boca Raton est en train d’élargir son centre d’études juives et de la Shoah, une extension financée par des donateurs privés. Le projet de loi H.B. 999, dans sa forme actuelle, interdirait aux universités d’enseigner des concepts relevant de la théorie critique même dans le cadre de programmes financés à titre privé.

S’il déclare que « quelques étudiants » du centre d’études juives, selon lui, « sont inquiets, » Goda ajoute ne pas penser que la législation changera quelque chose pour les jeunes Juifs inscrits sur le campus.

« Les étudiants juifs, de nos jours, choisissent leurs universités en déterminant dans quelles universités leurs pairs se sentent le plus à l’aise », dit-il. « Et j’ai envie de dire que University of Florida est un campus très accueillant pour les étudiants juifs dans l’ensemble. Il y a de fortes institutions juives sur le campus ».

Il estime néanmoins que les effets réels du projet de loi se feront ressentir dans la capacité de l’état à recruter des professeurs et des personnels alors que les députés mettent en danger la liberté académique, la titularisation et des repères déterminants dans les sciences humaines. « La vraie question à mes yeux, c’est de savoir comment et de quelle manière ça va être mis en œuvre », explique-t-il.

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