Frappe iranienne contre l’EI : le message, c’est le missile
La frappe de l'Iran en Syrie est considérée comme un avertissement contre Israël, ainsi qu'une tentative de Téhéran de justifier son programme de missiles balistiques de légitime défense
Judah Ari Gross est le correspondant du Times of Israël pour les sujets religieux et les affaires de la Diaspora.
On ne sait pas à quel point la rafale de missiles balistiques tirés par l’Iran sur un petit coin de l’est de la Syrie dimanche soir a provoqué un enfer. Des sources de l’establishment sécuritaire israélien, qui sont restés anonymes, se sont moquées lundi de la frappe, qui selon eux, a été un flop. Ils affirment aussi que tous les missiles ont manqué leur objectif. Mais l’utilisation même des roquettes a réussi à faire écho en Israël et au-delà, ce qui était probablement tout simplement ce que voulait Téhéran.
La frappe n’était pas différente de la frappe de 59 missiles Tomahawk que le président américain Donald Trump a tirés sur une base aérienne syrienne plus tôt cette année – qui était autant un message pour les amis et les ennemis et qui étaient également une frappe tactique.
Les 59 missiles de Trump ont servi à transmettre un message : l’Amérique joue un rôle plus actif dans la région, ce qui était destiné à rassurer des alliés comme Israël et l’Arabie saoudite, et à faire peur aux ennemis comme l’Iran.
Avec dis fois moins de missiles, Téhéran a envoyé son propre message au monde. Aux ennemis, c’était un avertissement. Pour les alliés européens potentiels, c’était une démonstration de la nécessité de son programme de missiles balistiques, qui est dénoncé par la communauté internationale.
Les missiles balistiques de moyenne portée que l’Iran a annoncé avoir tiré sur les positions de l’État islamique dans la région de Deir el-Zour, dans l’est de la Syrie, étaient apparemment lancés en représailles aux attaques terroristes menées par le groupe le 7 juin au parlement de Téhéran et au mausolée de l’ayatollah Khomeini.
Les Gardiens de la révolution, une force paramilitaire extrémiste, a déclaré suite aux tirs de missiles que « de nombreux terroristes » ont été tués dans l’attaque. Mais les Gardiens ont été sans équivoque également lorsqu’ils ont annoncé que le message s’étendait au-delà de l’Etat islamique.
« Les Saoudiens et les Américains en particulier sont des destinataires de ce message », a déclaré le général des Gardiens de la révolution Ramazan Sharif à la télévision d’Etat.
Selon Amir Toumaj, chercheur de la Fondation pour la Défense des Démocraties né à Téhéran, Israël était un « destinataire secondaire » de ce message.
L’Arabie saoudite, les États-Unis et Israël sont régulièrement rassemblés dans un même sac par le régime iranien et accusés de « conspirer contre lui », a-t-il expliqué au Times of Israël dans un courriel.
L’Iran a accusé l’Etat islamique d’être responsable des attaques directes contre le royaume. De plus, le ministre des Affaires étrangères iranien, Javad Zarif, a déclaré que la récente menace du ministre saoudien de la Défense de mener la « bataille » contre l’Iran était la preuve qu’il y avait une connivence entre le groupe terroriste [et l’Arabie saoudite], selon Toumaj.
Suite à la double attaque de Téhéran le 7 juin, le chef suprême, Ali Khamenei, « a fait écho à la propagande selon laquelle les États-Unis ont créé l’ISIS », a déclaré Toumaj, en utilisant un autre acronyme de l’EI.
Pour ceux qui envisageraient d’attaquer l’Iran, les six missiles balistiques avaient l’intention de transmettre ce message : c’est ce que vous aurez si vous vous en prenez à nous.
Renforçant ce sentiment, les Gardiens de la révolution ont publié lundi une vidéo en farsi montrant différents systèmes d’armes et ses capacités de défense.
« L’Iran fait partie des grandes puissances du monde dans le domaine des missiles », a déclaré le chef de l’armée iranienne, le général Mohammad Hossein Bagheri, lors d’une réunion à Téhéran lundi, selon Fars News.
Le commandant militaire a ajouté que les ennemis de l’Iran – il n’a pas précisé à qu’il se référait – « n’ont pas la capacité d’entrer en conflit contre nous pour l’instant et bien sûr, nous n’avons pas l’intention de nous impliquer dans des affrontements contre eux, mais nous sommes en rivalité permanente avec eux dans différents domaines, y compris le secteur des missiles ».
Au lendemain du bombardement iranien, des experts et des politiciens israéliens se sont précipités pour interpréter la frappe comme un avertissement lancé à Israël contre une action militaire.
Cela semble être la façon dont le Premier ministre Benjamin Netanyahu a vu la frappe. S’exprimant lors de sa réunion du groupe parlementaire du Likud lundi, Netanyahu n’a pas spécifiquement mentionné la frappe, mais a mis en garde l’Iran : « ne menacez pas Israël. »
Lundi soir, des sources de défense israéliennes anonyme ont affirmé que seul l’un des missiles avait atteint effectivement son objectif. Ehud Yaari, analyste militaire de la Deuxième chaîne, a déclaré que les sources de la sécurité israélienne s’étaient moquées de la frappe et qu’elles avaient affirmé qu’elle avait été un flop : « c’est tout ce qu’ils ont à montrer des 30 ans de développement de missiles », a-t-il dit. « Même le Hezbollah pourrait faire mieux. »
Le ministre de la Défense, Avigdor Liberman, a également commenté la frappe lundi, et a également rejeté son importance. « Israël n’est pas inquiet – Israël est prêt pour chaque évolution. Et nous sommes prêts, nous n’avons aucune préoccupation ou souci », a déclaré Liberman. De toute évidence, si Israël était censé être dissuadé par la frappe des missiles, il s’est efforcé de montrer que ce n’était pas le cas.
Cependant, l’ancien commandant des Renseignements militaires de l’armée israélienne et actuel directeur de l’Institut de recherche en sécurité nationale (INSS) basé à Tel Aviv, Amos Yadlin, a contesté ce point de vue, en affirmant dans un tweet lundi que « toutes les actions iraniennes ne sont pas un message pour Israël. »
Yadlin a interprété la frappe tout simplement pour ce qu’elle était : des représailles contre un attentat de l’Etat islamique qui a tué 12 personnes.
Nous avons besoin de nos missiles, vous voyez ?
Mais selon Emily Landau, chercheuse à l’INSS, Téhéran a réellement lancé deux messages avec sa frappe de missiles : dire au monde que « nous avons le pouvoir de réagir » et un autre appel plus subtil.
Pour ceux qui ne sont pas directement menacés par la frappe, Landau a déclaré que la frappe des missiles sur l’Etat islamique devait souligner avec insistance ce que Téhéran soutient depuis des années : l’Iran a besoin de son programme sanctionné de missiles balistiques pour son autodéfense.
Le programme de développement iranien de missiles balistiques s’est attiré les foudres et les critiques des États-Unis, d’Israël et des états du Golfe, qui affirment que ces roquettes sont construites pour finalement porter des ogives nucléaires, avec lesquelles la République islamique pourrait menacer le monde.
Cependant, Téhéran présente son projet de missile balistique comme étant de nature défensive, a expliqué Landau, notant que le pays présente une argumentation similaire pour ses aspirations nucléaires.
La frappe de missile de dimanche renforce ce récit, a-t-elle analysé.
Après tout, l’Iran a simplement répondu à une attaque terroriste brutale d’un groupe considéré comme étant l’ennemi du monde. Qui peut contester cela ?
« La capacité de lancement des missiles iraniens protège ses citoyens en légitime défense et fait progresser la lutte mondiale commune pour éradiquer l’EI et la terreur extrémiste », a déclaré le ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif, sur Twitter lundi.
Selon Landau, ce type de « construction narrative » est caractéristique du style de politique étrangère de Téhéran.
« Cela ressemble vraiment à l’Iran d’attacher ce type de message rhétorique » à une frappe de missiles, a-t-elle expliqué. « Les récits sont très importants pour le régime en Iran. »
Contrairement au message : « ne nous provoquez pas », qui était destiné à des agresseurs potentiels, cet aspect de la « narration défensive » du tir était plus destiné aux pays qui ne se prononcent pas concernant l’Iran, notamment les nations européennes, a précisé Landau.
Toumaj était d’accord avec l’analyse de Landau, selon laquelle les frappes de dimanche sur l’Etat islamique avaient pour but de rendre légitime le programme balistique iranien, mais a ajouté qu’il y avait aussi un but pratique à ces frappes : mener des tests.
Selon Fars News, le média iranien, les Gardiens de la révolution ont utilisé des missiles Qiam 1 et Zulfiqar pendant l’attaque, bien que cette information n’ait pas pas être vérifiée de manière indépendante. Les Iraniens ont également affirmé initialement que seul le modèle Zulfiqar avait été utilisé.
Le missile Qiam est un peu plus vieux, et a fait l’objet de tests en 2010. Il ressemble à l’ancien missile balistique Shahab-3, mais n’a pas d’aileron stabilisateur, ce qui le rend plus difficile à intercepter.
Le Zulfiqar est un missile balistique à combustible solide qui aurait une portée de 700 à 750 kilomètres et qui a la réputation d’avoir une précision de 5 à 10 mètres, selon la Fondation pour la Défense des Démocraties. C’est une variante de la série de missile Fateh-110 – l’une des variétés de missiles que la batterie d’intercepteur Fronde de David d’Israël est censée combattre.
Le Zulfiqar n’a fait ses débuts qu’en septembre. Ainsi, l’attaque contre l’Etat islamique a été l’occasion pour l’Iran de tester le système, a expliqué Toumaj, notant que le régime a réduit ses tests de missiles balistiques depuis que Trump a pris ses fonctions.
L’utilisation de nouvelles variétés de missiles ne ferait que renforcer le récit de l’Iran, car non seulement il a besoin de missiles balistiques pour se défendre, mais il a également besoin d’en développer de nouveaux.
Selon Landau, inciter les pays étrangers à croire ce postulat serait d’une grande valeur pour l’Iran. Cela empêcherait toutes les sanctions internationales à court terme et ouvrirait la voie à une acceptation plus large du programme nucléaire de la République islamique dans le futur.