Israël en guerre - Jour 433

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GB : Les « écouteurs secrets » juifs allemands durant la Seconde Guerre mondiale

Le dernier livre de l'historienne Helen Fry décrit l'opération d'écoutes du Royaume-Uni de prisonniers nazis, glanant d'utiles informations et les premiers témoignages sur la Shoah

Un écouteur secret intercepte les conversations de prisonniers de guerre allemands. (Avec l'aimable autorisation de Helen Fry)
Un écouteur secret intercepte les conversations de prisonniers de guerre allemands. (Avec l'aimable autorisation de Helen Fry)

LONDRES – Ce n’était certainement pas ce que les généraux nazis capturés attendaient – ou méritaient. Comme le décrit l’historienne Helen Fry dans son nouveau livre, The Walls Have Ears : The Greatest Intelligence Operation of World War II, Trent Park, l’imposante maison de campagne du nord de Londres où les prisonniers étaient enfermés, ressemblait plutôt à un club de gentleman.

Les généraux les plus hauts gradés avaient leurs propres chambres, avec des salons attenants. Il y avait une salle pour jouer au billard, au tennis de table et aux cartes. Et, après le thé de l’après-midi de la veille de Noël, un dîner de fête leur a été préparé.

Les hauts gradés militaires du IIIe Reich ont même été accueillis avec la déférence qui s’imposait – à leur arrivée, les prisonniers de guerre illustres ont été accueillis par Lord Aberfeldy, un aristocrate écossais de renom et cousin germain du roi.

Aberfeldy a dit aux généraux qu’il était chargé de leur bien-être et leur a prodigué toute son attention. Il se rendait tous les quinze jours dans la capitale pour leur acheter de la crème à raser, du chocolat et des cigarettes. Il s’est arrangé pour qu’un tailleur de Savile Row prenne leurs mensurations pour des nouveaux vêtements. Il leur montra même des photos de son château écossais et laissa transparaître sa propre admiration pour le Führer.

Les Allemands n’étaient pas non plus confinés dans ce luxueux camp de prisonniers de guerre. Des officiers supérieurs britanniques les emmenaient à l’occasion dîner chez Simpson’s in the Strand et au Ritz, et les invitaient à prendre le thé chez eux.

Comme le disait le lieutenant-colonel Kurt Kohncke, l’un des captifs apparemment chanceux : « Nos hôtes involontaires sont très gentils. »

Mais rien n’était, en fait, comme il y paraissait. « Lord Aberfeldy » était la création des services de renseignement britanniques ; aucun titre de ce genre n’existait, et le rôle a été joué à la perfection par un de ses officiers, Ian Munro.

Des généraux allemands se promènent dans le parc de Trent Park. (Avec l’aimable autorisation de Helen Fry)

Ainsi, écrit Fry, derrière la façade du club de gentleman à Trent Park, les Britanniques avaient construit une opération d’espionnage élaborée, très efficace et, du point de vue de l’effort de guerre, essentielle. À l’insu et sans que les commandants militaires nazis ne s’en doutent, Trent Park était équipé de micros.

« Les généraux ne se rendaient pas compte que tout ce qui pouvait être mis sur écoute l’était – des luminaires aux cheminées, en passant par les pots de fleurs, derrière les plinthes, sous les planchers des chambres et même dans les arbres du jardin », explique Fry. Même la table de billard contenait un dispositif d’écoute. La maison et le domaine qui l’entoure n’étaient, poursuit Fry, rien de moins qu’“un décor de théâtre”.

A l’insu des généraux, une armée d’“écouteurs secrets” – dont beaucoup étaient des réfugiés juifs connaissant la multitude de dialectes allemands parlés – écoutaient leurs conversations, qui étaient retransmises dans une salle du sous-sol, la salle « M » – pour miked, la salle des micros. Les conversations étaient ensuite retranscrites, traduites et minutieusement revérifiées avant d’être transmises aux enquêteurs sur place et transférées à Whitehall aux principaux organismes de renseignement et ministères du gouvernement.

Le livre de Fry s’inspire de milliers de dossiers, de transcriptions et de rapports des National Archives de Grande-Bretagne qui ont été publiés discrètement à la fin des années 1990.

La maison Trent Park. (Christine Matthews / Trent Park House / CC BY-SA 2.0)

Trent Park n’était d’ailleurs qu’une partie de l’opération. À Latimer House et Wilton Park, deux domaines dans la campagne du Buckinghamshire, au nord-ouest de Londres, des installations similaires ont été établies dans les premières années de la guerre. Alors que les « quartiers spéciaux » de Trent Park accueillaient, au moment de la victoire des Alliés, près de 100 officiers supérieurs allemands, au total, quelque 10 000 prisonniers de rang inférieur ont transité par ces trois sites de surveillance au cours de la guerre.

Ces écoutes secrètes allaient permettre d’obtenir une mine de renseignements : sur les plans de bataille des Allemands, sur les nouvelles technologies mises au point par les nazis sur les sous-marins allemands et les avions, et sur les progrès du programme d’armement secret d’Hitler qui a produit les missiles V1 et V2.

Elles mettront en évidence les divisions entre les officiers pro et anti-nazis et leurs réactions au « complot de juillet » visant à assassiner Hitler et à la défaite imminente de leur pays.

Et, ce qui est encore plus troublant, il y a eu des récits explicites de témoins oculaires des massacres de Juifs à l’Est – parfois même par les hommes qui les avaient commis.

Helen Fry, auteur de « The Walls Have Ears ». (Autorisation)

Contrairement aux généraux, bon nombre des prisonniers de guerre les plus jeunes ne passaient que quelques jours dans les installations pendant qu’on écoutait leurs conversations et qu’on recueillait des renseignements utiles. Comme ils s’y attendaient, ils ont été soumis à des interrogatoires. Cependant, dit Fry, il s’agissait parfois de « faux, destinés à faire croire aux prisonniers que les Britanniques ne savaient pas grand-chose ou qu’ils étaient stupides ».

Fritz Lustig, l’un des « écouteurs secrets » juifs, évoqua plus tard : « Leur réaction aux interrogatoires a souvent été particulièrement fructueuse. Ils disaient à leur compagnon de cellule ce qu’on leur avait demandé, ce qu’ils avaient réussi à cacher à l’interrogateur et ce que nous [les Britanniques] savions déjà ». Ce n’est que très rarement que les prisonniers soupçonnaient quelque chose de louche.

Le colonel Kendrick, le « Oskar Schindler de Vienne ».

Dans les premiers mois de la guerre, les prisonniers allemands – des marins repêchés des sous-marins coulés et les premiers pilotes de la Luftwaffe abattus sur l’Angleterre – étaient détenus à la Tour de Londres. Les cellules du château historique où se trouvaient les prisonniers de guerre avaient été mises sur écoute quelques mois auparavant en prévision du conflit. La Tour n’a connu qu’un usage limité – elle ne pouvait accueillir que 120 prisonniers – et au début de la nouvelle année, Trent Park était opérationnel.

Ancien domicile de Sir Philip Sassoon, un juif irakien fortuné, Trent Park était équipé d’appareils d’écoute qui utilisaient les dernières technologies utilisées par la Radio Corporation of America pour traverser l’Atlantique.

« The Walls Have Ears », par Helen Fry. (Autorisation)

Le colonel Thomas Kendrick supervisait l’ensemble de l’opération, qui portait le titre délibérément insipide de Combined Services Detailed Interrogation Center [centre d’interrogatoire détaillé des services combinés]. « Sa carrière mouvementée », dit Fry, « était entourée d’un secret total et n’aurait pas paru déplacé dans l’univers cru d’un roman de John le Carré ».

Dans l’entre-deux-guerres, Kendrick, un vétéran du renseignement, dirigeait les réseaux d’espionnage du Royaume-Uni en Europe centrale. Sa couverture du MI6 était une affectation à Vienne en tant qu’agent britannique des passeports. Dans cette fonction, il a joué un rôle crucial en aidant à sauver les Juifs et les opposants politiques nazis d’Autriche après l’Anschluss. Selon les archives du bureau des Affaires étrangères britannique [British Foreign Office], Kendrick et son personnel surchargé de travail ont sauvé environ 200 Juifs par jour en leur distribuant des visas.

Helen Fry qualifie Kendrick d’“Oskar Schindler de Vienne”, soulignant qu’il « a falsifié des documents pour permettre aux Juifs du pays d’émigrer », même s’ils n’étaient pas admissibles, et ont tamponné et approuvé leurs papiers, y compris les demandes qui n’étaient pas complètes. »

Kendrick finit même par conclure un marché avec Adolf Eichmann, qui avait été envoyé en Autriche pour débarrasser le Reich de ses nouveaux arrivants juifs. Aux termes de cet accord, 1 000 Juifs ont reçu des visas illégaux pour entrer en Palestine. Kendrick a par la suite été réprimandé par le Foreign Office pour ses agissements, qui avaient été menés à l’insu du gouvernement britannique.

Moins de six mois après l’entrée des troupes allemandes à Vienne, Kendrick a été arrêté par la Gestapo après avoir été trahi par un agent double. Interrogé pendant quatre jours, il a été expulsé d’Autriche pour espionnage.

Le colonel Thomas Kendrick. (Avec l’aimable autorisation de Helen Fry)

De retour à Londres, et avec un conflit que l’on croyait maintenant inévitable avec l’Allemagne, Kendrick fut chargé de mettre sur pied l’opération qui viserait à espionner les prisonniers de guerre qui tomberaient aux mains de la Grande-Bretagne.

Les méthodes de Kendrick ont rapidement porté leurs fruits. Au fur et à mesure que la guerre progressait et que le nombre d’aviateurs et de marins capturés par le Royaume-Uni augmentait, des renseignements cruciaux ont été collectés. Les écouteurs secrets ont appris qu’Hitler prévoyait d’envahir la Grande-Bretagne. Ils ont également recueilli des informations sur les activités de résistance en France occupée, aux Pays-Bas et en Norvège, les raids aériens sur le Royaume-Uni et l’impact des bombardements de la RAF sur l’Allemagne. Pendant la « bataille de l’Atlantique », les espions ont découvert des renseignements sur les mouvements et les tactiques des sous-marins, et même là où de nouveaux enclos de sous-marins hautement camouflés étaient en construction sur la côte française.

L’opération de Kendrick a également joué un rôle dans la fameuse « bataille des faisceaux », lorsque les bombardiers de la Luftwaffe ont utilisé des systèmes de radionavigation de plus en plus précis pour bombarder le Royaume-Uni la nuit et que la Grande-Bretagne s’est empressée de développer des contre-mesures. De même, les prisonniers ont également laissé échapper des renseignements vitaux sur les nouvelles torpilles à fusion magnétique qui pourraient être tirées par des sous-marins allemands. Encore une fois, cela a permis de prendre des mesures pour aider à atténuer la menace qui pesait sur les navires britanniques.

Image illustrative d’un sous-marin allemand de la Seconde Guerre mondiale. (CC BY Werner Willmann, Wikimedia commons)

Des rumeurs vagues parmi les prisonniers au sujet de l’“arme secrète” d’Hitler ont été captées alors que la guerre n’avait qu’à peine deux mois. Plus de trois ans plus tard, des discussions entre généraux ont aidé les Alliés à comprendre le véritable but du site secret de Peenemünde sur la côte nord de l’Allemagne sur la Baltique, où un programme de nouvelles fusées meurtrières était en cours. Les raids de bombardement qui ont suivi sur le site ont retardé de six mois les essais de lancement des fusées, explique Mme Fry. Ce qui est crucial, c’est que la première fusée V1 n’a atterri sur Londres que la semaine suivant le jour J [D-Day, le débarquement allié en Normandie]. L’opération de Kendrick allait continuer à fournir des informations tout au long de la guerre sur les sites de lancement mobiles V1 et V2 en France et aux Pays-Bas, qui ont également été bombardés.

Les espions juifs d’origine allemande s’attaquent aux nazis

Les renseignements recueillis à Trent Park ont été jugés si précieux que, lorsqu’on a discuté de l’agrandissement de Latimer House et Wilton en 1941, les chefs du renseignement ont jugé qu’il devait avoir lieu « le plus tôt possible, quel qu’en soit le coût ».

Mais en 1943, Kendrick devait rencontrer un problème qui ne pouvait être résolu par l’argent seul. Le nombre de prisonniers de guerre avait augmenté avec les victoires britanniques en Afrique du Nord – ce qui avait amené avec eux le premier nombre important de prisonniers de l’armée, ainsi que des généraux et des commandants – et la charge de travail avait augmenté. Il remonterait fortement après le jour J. Les espions ont également commencé à trouver la langue hautement technique et les dialectes allemands difficiles à comprendre. Jusqu’alors, les sites n’employaient que des écoutants d’origine britannique qui parlaient couramment l’allemand.

Fritz Lustig. (Avec l’aimable autorisation de Robin Lustig et Stephen Lustig)

Kendrick avait donc besoin de locuteurs de langue maternelle allemande. Il trouva sa réponse dans le Pioneer Corps de l’armée britannique, dans lequel servaient un grand nombre de réfugiés allemands, dont beaucoup étaient juifs.

Une centaine d’émigrés, dont beaucoup avaient été internés temporairement par le gouvernement britannique en tant qu’“étrangers ennemis” lorsque la guerre a éclaté, ont finalement été recrutés. Ils étaient ravis d’avoir l’occasion de participer à une partie très secrète de l’effort de guerre, ayant été auparavant relégués à des tâches non qualifiées dans le Pioneer Corps. (Au début de la guerre, c’était la seule unité militaire britannique dans laquelle les ressortissants des pays avec lesquels le Royaume-Uni était en guerre pouvaient servir.)

Comme l’écrit Fry, Fritz Lustig, qui avait fui l’Allemagne après la Nuit de Cristal, était bien représentatif des nouveaux « écouteurs secrets » de Kendrick. Il avait été détenu comme étranger ennemi sur l’île de Man pendant l’été 1940 avant d’être libéré et de rejoindre le Pioneer Corps. Après avoir passé une série d’entretiens en 1943 – et avoir été immédiatement promu de soldat à sergent – Lustig se retrouve à travailler pour Kendrick. « Votre travail ici est aussi important que de tirer avec une arme à feu », lui a dit son nouveau patron.

Lustig lui-même n’avait aucun scrupule à espionner les prisonniers allemands. « Ils n’étaient plus nos compatriotes », a-t-il dit plus tard. D’autres ont exprimé des sentiments similaires. « Je n’ai jamais eu l’impression de trahir l’Allemagne », a dit l’un d’eux. « L’Allemagne m’a trahi. »

Ernst Lederer. (Avec l’aimable autorisation d’Helen Lederer)

Le lien entre Kendrick et les « écouteurs secrets » était fort. Il avait en fait aidé la famille de l’un d’entre eux, George Pulay, à s’échapper de Vienne. Un autre membre de l’équipe juive de Kendrick, Ernst Lederer, est considéré par Fry comme ayant fait plus que simplement écouter. Originaire des Sudètes, il servait aussi de pigeon voyageur. Vêtu d’un uniforme d’officier allemand, Lederer était l’un des quelque 50 hommes – dont beaucoup étaient aussi des réfugiés – qui se faisaient passer pour des prisonniers et contribuaient à délier les langues des prisonniers.

Des réfugiées juives, comme Gerda Engel et Susan Cohn, étaient également employées par Kendrick pour aider à la traduction, au tri des renseignements et au travail de bureau. Parfois, l’amour naissait. Un mois après la fin de la guerre, Lustig et Cohn se sont mariés.

Kendrick et ses « écouteurs secrets » ont pu découvrir les conversations tendues et colériques entre les généraux pro-nazis et les anti-nazis, que les premiers considéraient comme des défaitistes. Ils ont entendu les réactions horribles à la vengeance sanglante d’Hitler contre ceux qui avaient comploté pour l’assassiner dans l’opération Valkyrie en juillet 1944. Et ils ont entendu comment les généraux n’ont montré aucune émotion en entendant la nouvelle du suicide du Führer, et, à l’horreur de leurs sous-officiers, ils ont bu du vin et trinqué le jour de la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie et la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe marquée par l’annonce de la capitulation de l’Allemagne.

Mais une partie de ce que les « écouteurs secrets » entendaient était tout à fait pénible, surtout pour les Juifs dont les familles étaient encore prisonnières en Europe. Certains, comme Peter Ganz, découvriraient en effet après la guerre que des membres de leur famille avaient péri dans la Shoah.

Un aperçu de la pleine horreur de la Shoah

Bien que certains renseignements aient été recueillis auparavant, la plupart des informations détaillées sur les crimes de guerre ont été recueillies à partir de 1943.

Des officiers SS dont Heinrich Himmler dans le camp de concentration de Mauthausen en 1941 (Crédit : CC-BY-SA-3.0-de, Archives fédérales allemandes)

Les conversations écoutées ont commencé à mesurer l’ampleur de l’horreur. Un prisonnier a parlé de 300 000 civils abattus, un autre a parlé des 80 000 Juifs assassinés à Lublin, et un troisième d’environ 5 000 tués en une journée dans un village ukrainien, tous fournissant des détails explicites des massacres commis par les Einsatz-Kommando. Des noms qui allaient devenir tristement célèbres – Auschwitz, Mauthausen et Bergen-Belsen – ont été mentionnés, de même que les camions à gaz mobiles, la liquidation du ghetto de Varsovie et le meurtre des « déficients mentaux ».

Ce qui était peut-être le plus choquant, c’était l’attitude des prisonniers à l’égard des crimes des nazis que l’écoute avait révélée.

Certains, il est vrai, semblaient reconnaître la nature de la terreur que leur pays avait infligée aux Juifs d’Europe. Un jeune marin a raconté le récit d’un massacre en Lituanie par un témoin oculaire : « Croyez-moi, si vous l’aviez vu, il vous aurait fait frémir ». Un pilote s’est souvenu de sa rencontre avec des amis sur les lieux d’une fusillade de masse près de Lviv. « Nous devrons payer pour ça », suggéra-t-il sinistrement.

Des prisonniers émaciés sont assis à l’extérieur de la baraque de l’hôpital dans le camp de concentration nazi de Mauthausen, en Allemagne, pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette photographie non datée, prise au péril de sa vie par le prisonnier suisse Kurt Zalud, a ensuite été utilisée comme preuve dans le procès pour crimes de guerre de Dachau. (AP-PHOTO/jad/str/Kurt Zalud)

Entre eux, certains généraux, eux aussi, semblaient faire preuve d’une compréhension similaire. « La chose la plus bestiale que j’aie jamais vue », a déclaré l’un d’eux après avoir été témoin des atrocités qui ont suivi les massacres en Russie. Alors que Kendrick obligeait les généraux à regarder des photos et des films des camps libérés de Bergen-Belsen, Buchenwald et Dachau, l’un dit à un autre : « Nous sommes déshonorés pour toujours et ce n’est pas 1 000 ans qui effaceront ce que nous avons fait. »

Mais les écoutes ont aussi suscité des sentiments beaucoup moins contrits. Certains généraux se demandaient si les photos étaient fausses. D’autres ont laissé entendre que les souffrances des Allemands aux mains des Russes étaient bien pires. Un général a même fait valoir à un autre que l’accent était trop mis sur les Juifs. « Beaucoup plus d’Allemands sont morts dans cette guerre que de Juifs sont morts dans des chambres à gaz », a-t-il dit. Un autre estimait que la responsabilité de ce qui leur était arrivé n’incombait qu’aux Juifs – « la peste de l’Est » – eux-mêmes. On spéculait aussi que les Britanniques et les Américains voulaient détruire les classes militaires et universitaires allemandes.

Bien sûr, il y eut aussi des tentatives pour minimiser la culpabilité des forces armées allemandes, avec un argument général selon lequel « seulement quelques monstres des SS » étaient en cause.

Mais comme les généraux le savaient, c’était tout simplement faux. « Les conversations spontanées des généraux ont révélé aux services de renseignement que les commandants militaires allemands étaient non seulement au courant des crimes de guerre commis, mais que certains en étaient complices », écrit Fry.

Dietrich von Choltitz, qui avait servi à l’Est avant de devenir plus tard le dernier commandant allemand de Paris occupé par les nazis, par exemple, suggéra à un collègue : « Le pire travail que j’aie jamais fait, mais que j’ai fait avec une grande constance, a été la liquidation des Juifs. J’ai exécuté cet ordre jusque dans les moindres détails ». Fait révélateur, von Choltitz répétait la phrase que beaucoup d’autres perroquets allaient aussi répéter : qu’ils obéissaient simplement aux ordres.

Kendrick était déterminé à ce que son opération puisse aider à traduire en justice les personnes coupables de crimes de guerre. Dès le début, il avait ordonné aux écouteurs secrets de conserver tous les enregistrements pertinents, en marquant les disques d’acétate d’un grand « A » rouge pour atrocité.

A titre d’illustration : Des criminels nazis sont présents au procès de Nuremberg où ils ont dû répondre de leurs crimes pendant la Seconde Guerre mondiale devant un tribunal formé par la Grande-Bretagne, les États-Unis, la Russie et la France, le 1er janvier 1946. (STRINGER/AFP)

Cependant, les transcriptions n’ont pas été utilisées à Nuremberg après que les chefs des services de renseignements britanniques eurent décidé qu’ils ne pouvaient pas dévoiler publiquement leurs méthodes d’écoute illicite. En effet, les dossiers de la « salle M » n’ont finalement été déclassifiés qu’à la fin des années 1990, après la fin de la guerre froide.

Le voile du secret qui enveloppait le travail de Kendrick et de ses écouteurs secrets juifs n’a donc pas été levé avant encore un demi-siècle. Au moment où il a été rendu public, bon nombre d’entre eux étaient déjà décédés. La plupart n’ont donc jamais été reconnus officiellement pour le rôle crucial qu’ils ont joué dans la défaite du nazisme.

Mais pour Fry, ces enregistrements déclassifiés sont beaucoup plus que des archives historiques.

« Les transcriptions des conversations sur écoute ont une signification et une pertinence profondes pour notre époque », a déclaré Mme Fry au Times of Israel. « Ce sont des preuves indépendantes et irréfutables qui doivent être citées dans la lutte contre la négation de la Shoah et l’antisémitisme. J’aimerais que ces preuves soient utilisées dans l’enseignement de la Shoah et qu’elles soient plus largement connues dans notre société. »

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