Haredim et opposition font passer un projet de loi visant à interdire l’utilisation du Skunk
Cette "eau de putois" est nocive lorsqu'elle est utilisée pour disperser les manifestants ; des caméras pourraient être posées sur les canons à eau pour empêcher les abus

Les députés de l’opposition se sont unis lundi aux politiciens haredim – un effort conjoint rare – pour faire avancer un projet de loi qui interdirait à la police d’utiliser le « Skunk », un liquide nauséabond, à l’encontre des manifestants.
Pulvérisée par un camion équipée d’un canon à eau à haute-pression, cette « eau de putois » de triste réputation est souvent utilisée pour disperser les protestataires ultra-orthodoxes qui s’opposent à la conscription et les Palestiniens en Cisjordanie. Elle a toutefois également fait son apparition lors des rassemblements antigouvernementaux, ces dernières années.
« Il y a un soutien apporté sur ce sujet par l’opposition et aussi par la coalition — cela n’a rien à voir avec un camp politique ou un autre » a dit le député Eliyahu Baruchi (Yahadout HaTorah), l’auteur du projet de loi, lors d’une réunion de la commission de la Sécurité nationale de la Knesset. « Le [Skunk] est un instrument dangereux et il est inconcevable que la police continue de l’utiliser aujourd’hui ».
La composition de cette substance reste mystérieuse et les autorités compétentes ont refusé de révéler ses composants exacts. Certaines personnes victimes de cette « eau de putois » ont signalé des irritations cutanées, des difficultés respiratoires et des maux de tête.
Le skunk est produit par un seul fournisseur, a précisé Baruchi, faisant référence à la société privée israélienne Odortec qui a inventé ce liquide. « Une seule entité sait comment le fabriquer… et il n’y a aucun contrôle gouvernemental sur ses effets sur la santé », a-t-il déploré.
Le texte, qui a été approuvé en première lecture à la Knesset à l’issue de la réunion, limiterait l’utilisation de jets à haute-pression. Les policiers ne pourraient avoir recours qu’à de l’eau pour disperser les éventuelles manifestations, interdisant ainsi tout usage du liquide.
Il interdirait également aux policiers d’asperger les manifestants d’eau colorée, ce qui permet aux forces de l’ordre de marquer les individus dans le but de pouvoir les identifier et les arrêter plus tard.
« Il existe d’autres méthodes de dispersion auxquelles nous pouvons recourir mais le canon à eau est devenu une sorte de symbole », a noté la députée Naama Lazimi, élue sous l’étiquette du parti Avoda. « Je salue ce projet de loi qui a été élaboré […] par la coalition et par l’opposition – parce qu’il faut véritablement dire et répéter qu’il est dépourvu de tout positionnement idéologique. »
Même en écartant « l’eau de putois », les jets des canons à eau peuvent encore souvent entraîner des chutes au sol, voire projeter les manifestants en l’air, ce qui est susceptible de causer des blessures.
Pour cette raison, la police n’est pas autorisée à utiliser les jets à bout portant – une règle qui est souvent ignorée. De nombreux manifestants se sont retrouvés à l’hôpital pour des blessures aux yeux et au crâne qui avaient été entraînées les canons à eau.

Ainsi, la législation garantirait également la présence d’une caméra sur tous les véhicules équipés d’un canon à eau dans le but de pouvoir mieux suivre le mode d’utilisation de cette arme de contrôle des foules par les policiers. Les images pourraient ensuite être utilisées par les manifestants en cas de soupçon de comportement abusif de la part des forces de l’ordre, selon les notes explicatives du projet de loi.
Alors qu’il ouvrait la session, le président de la commission, le député Zvika Fogel (Otzma Yehudit), a déclaré que le projet de loi dans sa forme actuelle bénéficiait du « soutien total » du ministère de la Sécurité nationale – un ministère placé sous la direction du chef de son parti, Itamar Ben Gvir.
Malgré la ligne radicale adoptée par Ben Gvir à l’égard des manifestants antigouvernementaux, ce dernier s’était opposé à l’usage du Skunk dans le passé. Lorsqu’il était encore avocat, le politicien d’extrême-droite avait appelé la Cour suprême à interdire l’utilisation par la police de ce liquide à l’encontre des protestataires ultra-orthodoxes, et il avait estimé que cet usage était « discriminatoire ».
Ce recours avait alors été rejetée par les juges, qui s’étaient appuyés sur l’utilisation de cet instrument à l’encontre de manifestants non-haredim. Toutefois, le verdict avait critiqué les forces de l’ordre, disant qu’elles portaient « des atteintes non-justifiées » aux manifestants. Il avait aussi souligné que le Skunk ne devait entrer en jeu qu’en dernier recours.
Avant la tenue de la réunion, Baruchi avait demandé au Centre de recherche et d’information de la Knesset un rapport consacré à l’utilisation des canons à eau et à l’usage de « l’eau de putois ».
Les chercheurs ont noté dans leur rapport que lorsqu’ils ont interrogé les organismes gouvernementaux sur les composants du Skunk, ils n’ont reçu aucune réponse de la part des ministères de la Sécurité nationale, de la Défense, de la Santé et de la Protection de l’environnement.
L’étude a par ailleurs fait remarquer que les matières premières utilisées pour produire « l’eau de putois » comprenaient de la levure et du bicarbonate de soude mais que le liquide obtenu était le « sous-produit d’un processus de fermentation, ce qui signifie qu’il contient également des substances dont la composition exacte et les effets ne sont pas entièrement connus ».
Face au silence des ministères, le panel chargé de rédiger le rapport a fait appel au professeur Shlomo Magdassi, chimiste au sein de l’Université hébraïque, qui a finalement analysé la composition du Skunk à partir d’un échantillon prélevé sur les vêtements de manifestants qui en avaient été aspergés.
L’échantillon contenait des substances potentiellement toxiques, dangereuses pour l’environnement et inflammables, a conclu le professeur Magdassi, qui a recommandé à la police de suspendre l’utilisation du liquide.

Les représentants des forces de l’ordre se sont opposés à l’interdiction proposée du Skunk lors de la réunion de la commission, le conseiller juridique de la police, Micha Frankenburg, qualifiant le liquide de « méthode importante et essentielle » concernant la dispersion des manifestations.
« En utilisant ces méthodes, notre objectif est d’éviter des blessures plus graves susceptibles de survenir à l’occasion d’affrontements physiques entre les policiers et les émeutiers », a dit Frankenburg aux membres de la commission.
Selon lui, la police a déjà accepté d’installer des caméras sur les prochains modèles de canons à eau, que le projet de loi soit adopté ou non.