« Ici, il n’y a rien » : Aden, ville meurtrie par la guerre au Yémen
Dans ce pays pauvre, le conflit a fait près de 380 000 morts, selon l'ONU - des décès majoritairement causés par la faim, la maladie ou le manque d'eau potable

Maisons criblées de balles, bâtiments en ruines et innombrables photos de « martyrs » : sept ans après le début de la guerre au Yémen, la ville d’Aden porte les stigmates d’un conflit qui s’éternise et la lassitude d’une population disant manquer de tout.
« J’ai travaillé dans les secteurs de l’hôtellerie, des cosmétiques et de la comptabilité », raconte Abeer, une jeune femme attablée en bord de mer avec deux amies autour de narguilés. « Les salaires sont bas, la situation est difficile. Je dois me battre pour une vie décente », confie-t-elle à l’AFP.
Dans cette grande ville portuaire, « il n’y a pas internet ni de réseau téléphonique (…) Nous manquons d’eau, de gaz et d’essence », ajoute-t-elle.
Relativement épargnée par les violences ces dernières années, Aden est devenue le siège du gouvernement après que les autorités ont été chassées de Sanaa en 2014 par les rebelles Houthis qui se sont aussi emparés de larges pans du territoire, essentiellement dans le Nord.

Services publics défaillants
La prise de la capitale a déclenché un conflit avec les forces pro-gouvernementales, appuyées depuis 2015 par une coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite.
Cette année-là, les insurgés étaient même arrivés aux portes d’Aden mais ils ont été repoussés par les forces loyalistes.
La ville a également été la cible de plusieurs attentats revendiqués par le groupe jihadiste État islamique, dont l’un a tué l’ancien gouverneur en 2015.
À l’aéroport, les visiteurs sont accueillis à leur descente d’avion par un trou béant dans le terminal des arrivées provoqué par un tir de missile en 2020 qui a fait plus de 26 morts.
« Nous souffrons toujours des conséquences de la guerre », affirme à l’AFP l’actuel gouverneur Ahmed Lamlas, qui a lui-même échappé à un attentat à la voiture piégée. De nombreuses infrastructures détruites au début de la guerre sont toujours en ruines, explique-t-il.
À l’échelle du pays, le plus pauvre de la péninsule arabique, le conflit a fait près de 380 000 morts selon l’ONU, la grande majorité des décès étant due aux conséquences indirectes des combats comme la faim, les maladies et le manque d’eau potable.
Alors que plus des trois quarts de la population dépendent de l’aide humanitaire, les violences ont également poussé des millions de yéménites à fuir les zones de combats.
Selon M. Lamlas, plus de trois millions de personnes vivent désormais à Aden, trois fois plus qu’avant la guerre. L’afflux de personnes fuyant les combats pèse lourdement sur des services publics déjà défaillants, tandis que les prix flambent.
La détérioration des conditions de vie affecte « l’état psychologique des gens » reconnaît-il, mais « Aden tient bon ».
En attendant, la lassitude au sein de la population est perceptible.
Vendeur de poissons, Ammar Mohammed a du mal à trouver des clients. « Le poisson était un produit abordable avant. Aujourd’hui, seuls ceux qui ont beaucoup d’argent peuvent en acheter », affirme à l’AFP l’homme de 52 ans.
« Tout était moins cher avant la guerre », soupire ce père de trois enfants.

Rêve d’indépendance
De nombreux habitants d’Aden accusent le gouvernement d’être responsable de la détérioration de la situation et certains rêvent d’un retour à l’indépendance du Sud, dont la ville était jadis la capitale.
Le Yémen du Sud a été un État indépendant de 1967 à 1990, date de la réunification avec le Nord. Une tentative de sécession en 1994 a déclenché une brève guerre qui s’est achevée par la victoire des troupes du Nord.
Les drapeaux du Yémen du Sud flottent néanmoins dans les rues d’Aden, où les séparatistes du Conseil de transition du Sud (STC) ont regagné en influence à la faveur de la guerre. Les séparatistes sont mobilisés au sein de la coalition anti-Houthis mais connaissent des tensions avec leurs frères d’armes du gouvernement.
Les forces gouvernementales ont même affronté plusieurs fois les combattants séparatistes, notamment entre 2018 et 2019, avant que les deux parties ne concluent un accord de partage du pouvoir négocié par l’Arabie saoudite.
Abeer, elle, ne sait plus à qui s’en remettre : « Faire sécession ou non, rien ne me va. » À Sanaa, « il y a plus de sécurité et de l’électricité. Ici il n’y a rien. »