Il a quitté le Brésil pour intégrer Tsahal ; la COVID lui a pris ses parents
Attiré par l'État juif après un voyage Taglit-Birthright, Thiago Benzecry dit qu'il restera fidèle à son désir d'immigration malgré ses pertes immenses
JTA — Lorsque Thiago Benzecry a quitté sa maison dans la région amazonienne du Brésil pour rejoindre la marine israélienne, il savait qu’il mettait une distance importante entre lui et sa famille, à plus d’un titre.
Il ne savait pas que ce serait la dernière fois qu’il verrait ses parents en personne.
Benzecry a atterri à l’aéroport Ben Gurion d’Israël en juillet 2019 avec l’intention d’apprendre l’hébreu, puis de se porter volontaire dans l’armée israélienne. Ce fut un chemin qu’il aurait difficilement pu imaginer après une enfance passée à Manaus, ou son père était un pasteur d’église pentecôtiste renommé et sa mère travaillait dans l’évènementiel et soutenait le travail de son mari.
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« Je n’ai jamais eu peur de l’avenir de mes enfants. Au lieu de leur donner une voiture à 18 ans, j’ai toujours donné des sacs à dos », a écrit son père, Stanley Braga, sur les réseaux sociaux pour marquer le tout premier jour de son fils dans l’armée israélienne.
Quelques mois plus tard, Braga mourait, tout comme la mère de Benzecry, Vladya Rachel Benzecry, tous deux victimes de la pandémie de COVID-19, durant laquelle Manaus s’est illustrée dans le monde entier comme un épicentre du virus de la forêt amazonienne. Braga avait 49 ans lorsqu’il est mort, sa femme 48 ans seulement. Ils étaient mariés depuis 30 ans.
En Israël, Thiago Benzecry a fait son deuil sans aucune famille à proximité pour le soutenir. Peu après le décès de ses parents, il s’est fait vacciner contre la COVID-19 dans le cadre de la campagne d’inoculation lancée par Israël.
« Moi, le seul de ma famille à ne pas avoir contracté le virus, je suis le premier à recevoir le vaccin. Et s’ils avaient eu la même chance et les mêmes conditions à Manaus ? J’ai ressenti un mélange de soulagement et de douleur », a confié Benzecry à la Jewish Telegraphic Agency.
L’histoire de Benzecry a conquis le cœur de ses partisans, tant en Israël qu’au Brésil. En avril, il a fait la couverture d’un grand journal israélien. Un témoignage vidéo publié le lendemain sur la page Facebook de Tsahal a recueilli près de 100 000 vues, mentions ‘j’aime’ et messages de soutien.
« Mon objectif principal est d’honorer mes parents », a déclaré Benzecry à l’agence JTA depuis sa chambre située dans un centre d’intégration des immigrants à Raanana, la banlieue cossue de Tel Aviv connue comme la « capitale brésilienne » d’Israël.
Très prisée par les nouveaux immigrants anglophones et francophones, Raanana abrite quelque 300 familles brésiliennes et a récemment été jumelée à Rio de Janeiro.
Le jeune Benzecry, âgé de 23 ans, n’est pas si différent de ses nouveaux voisins, dont les familles ont trouvé refuge au Brésil pendant quelques générations seulement avant de gagner la Terre Sainte.
L’arrière-arrière-grand-père de Benzecry, Jacob, est arrivé au Brésil de Tétouan, au Maroc, dans les années 1800, dans le cadre d’une vague d’immigration juive nord-africaine. Il y est devenu le patriarche d’une dynastie séfarade en Amazonie.
« Les Benzecry font partie des familles juives les plus traditionnelles de toute la région amazonienne, jouent un rôle central dans l’économie locale, notamment dans le commerce, l’industrie, l’ingénierie, la médecine et l’éducation », a déclaré David Vidal Israël, président du Comité israélite amazonien, ou CIAM, l’équivalent d’une fédération juive locale.
« Au bout d’un siècle, un millier de familles s’étaient installées en Amazonie, attirées par l’essor du caoutchouc et par la quête d’une terre débarrassée des persécutions », a ajouté Anne Benchimol, directrice du CIAM, qui est également une descendante de Jacob Benzecry. « Ils ont rapidement créé leurs propres petites communautés afin de sécuriser leur culture et leur tradition. »
Le grand-père maternel de Thiago Benzecry a épousé une non-juive, tout comme sa mère, qui a toutefois conservé des liens avec la communauté juive tout en se consacrant au soutien du mouvement chrétien évangéliste auquel appartenait son mari.
« Ils étaient tous deux très chers à tout le monde ici. J’ai rencontré Vladya pour la première fois lorsque j’étais professeur dans notre école juive élémentaire et madri’h [moniteur] au mouvement de jeunesse juif. Elle pratiquait également la danse folklorique israélienne. Plus tard, elle a commencé à organiser de nombreux événements juifs », se souvient Vidal Israël.
Enfant, Benzecry a déclaré qu’il se considérait comme chrétien.
« J’ai vécu une double identité religieuse et c’est de là que vient mon éducation », a-t-il déclaré.
À l’adolescence, il s’est senti attiré par son patrimoine juif, et en particulier par Israël. Il a d’abord fréquenté une école appartenant à la tante de sa mère, très appréciée des familles juives de Manaus. Puis, à 16 ans, il a participé à un voyage de 10 jours en Israël organisé par Taglit-Birthright, l’association à but non lucratif qui organise des voyages gratuits en Israël pour les jeunes adultes juifs. Et quand il a eu 18 ans, il s’est porté volontaire comme agent de sécurité au Beit Yaacov Rabi Meyr, la seule synagogue de Manaus.
Il y a trois ans, à 20 ans, Benzecry a décidé de venir passer six mois en Israël dans le cadre d’un programme Masa, qui permet aux participants de choisir parmi diverses opportunités d’études, de bénévolat et de travail dans le pays. Il a travaillé en tant qu’étudiant stagiaire dans un incubateur de start-up high-tech à Tel Aviv.
« J’ai alors pu découvrir ce qu’était vraiment Israël, ses nuances sociales et culturelles, la façon dont les Israéliens communiquent, et avoir une idée claire de ce que je voulais », a déclaré Benzecry à JTA. « Quand je me suis finalement décidé à faire l’alyah, ce n’était plus une aventure intimidante, ce qui a retiré un poids de mes épaules. »
Afin de faire son alyah ou d’immigrer en Israël, Thiago Benzecry a soumis un certificat attestant que son grand-père maternel, Rubens, était juif. Né d’une mère non juive, la conversion de Vladya n’a apparemment pas été acceptée par l’Agence juive, qui supervise les demandes d’immigration. Mais Benzecry a pu bénéficier de la clause de la Loi du retour qui donne à chaque petit-enfant d’un grand-parent juif le droit à la citoyenneté israélienne.
« En grandissant et en devenant plus mature, j’ai assumé mon patrimoine et mon identité juive. Aujourd’hui, je suis juif », a déclaré Benzecry.
« Je suis prêt à me convertir, en tant que membre de l’armée, parce qu’à l’heure actuelle ma teoudat zehut dit que je suis sans religion », a-t-il ajouté, se référant à sa carte d’identité israélienne.
Lorsque Benzecry est arrivé pour la première fois en Israël en tant qu’immigrant, il a emménagé au kibboutz Maagan Michael, où il a étudié l’hébreu dans un oulpan, un cours d’hébreu subventionné par le gouvernement pour les nouveaux immigrants. Parce qu’il avait déjà 22 ans, il n’était pas obligé de s’enrôler dans l’armée, mais il a quand même choisi de le faire. Il a rejoint Garin Tzabar, le programme qui soutient les futurs soldats seuls qui n’ont pas de famille en Israël.
« Le plus difficile pour un soldat seul est sans aucun doute d’être loin de sa famille et de ses amis du pays d’origine. Il est très difficile de rentrer à la maison pour le week-end et de n’avoir personne à qui parler ou à prendre dans ses bras », a déclaré le commandant de la marine Rafael Rotman, qui a immigré du Brésil en 1997 à l’âge de 17 ans.
Cette situation n’a fait que s’aggraver l’année dernière, depuis que la pandémie a commencé et continue de compliquer les projets de voyages à l’international. Israël n’a pas autorisé les personnes qui ne sont pas citoyens à entrer dans le pays, sauf dans des cas très particuliers, depuis le début de la crise en mars 2020.
Alors que Manaus devenait un épicentre de la COVID-19, Benzecry savait, en spectateur lointain, que son père travaillait pour soutenir les nombreuses familles pauvres de la ville. Braga a annoncé qu’il ferait livrer 10 000 paniers alimentaires aux familles en crise sous les auspices de son église. Il a également utilisé son émission de radio pour exprimer son soutien à la décision du président brésilien Jair Bolsanaro de maintenir l’économie ouverte malgré l’aggravation de la pandémie.
Lorsqu’il a été testé positif à la COVID-19 en septembre dernier, Braga a écrit à son fils depuis son lit d’hôpital pour lui dire de ne pas s’inquiéter. Benzecry n’était pas du tout prêt à recevoir, quelques instants plus tard, un appel téléphonique lui annonçant la mort de son père.
Alors que les funérailles du père se terminaient, la mère de Benzecry et son frère de 31 ans se sont effondrés et ont rapidement été diagnostiqués positifs au coronavirus. Son frère s’est rétabli, mais leur mère est décédée fin octobre, après six semaines en soins intensifs.
Benzecry a terminé sa formation en mécanique de Tugboats, et a pu se rendre au Brésil en décembre pour rendre visite à ses deux frères et sa sœur de 16 ans. Le mois suivant, une deuxième vague brutale de COVID-19 a saturé le système de soins médicaux de Manaus, et des photos de fosses communes dans la ville ont à nouveau inondé les unes des journaux du monde entier.
Maintenant, alors que Benzecry commence à réfléchir à ce qu’il fera une fois son service militaire terminé, il envisage son avenir en Israël, et non en Amérique du Sud.
« Je suis fier d’être brésilien et c’est ce que je dis à tout le monde, partout. Le Brésil fait partie de mon histoire, c’est un lieu de communion. C’est ma famille, ma culture, un endroit où je peux toujours retourner, mais ce n’est plus mon objectif. C’est juste un souvenir du passé. Le monde est trop grand », a-t-il déclaré.
« Mes parents ont été les plus grands partisans de mes choix. L’héritage éducatif et culturel que j’ai reçu d’eux est la raison pour laquelle je suis ici aujourd’hui. J’ai l’impression de vivre aussi leur rêve. »
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