Il y a 80 ans, le 7 octobre, des déportés juifs du Sonderkommando se sont révoltés à Auschwitz
Bien avant les atrocités du Hamas, des prisonniers se sont soulevés contre leurs bourreaux nazis ; la révolte, soutenue par des femmes, a échoué mais était sans précédent
AUSCHWITZ-BIRKENAU, Pologne – Alors que les Juifs du monde entier commémorent le pogrom du 7 octobre perpétré par le groupe terroriste palestinien du Hamas, ce jour sombre marque également le 80ᵉ anniversaire de la célèbre révolte du Sonderkommando d’Auschwitz-Birkenau.
Au terme de plusieurs mois de préparation, les prisonniers du Sonderkommando du crématorium – une unité de déportés chargés de disposer des corps de leurs coreligionnaires assassinés dans les chambres à gaz – ont pris les armes contre les SS. Le soulèvement, qui a éclaté le 7 octobre 1944, n’a atteint aucun de ses objectifs et s’est soldé par l’exécution de centaines de membres du Sonderkommando.
Lors d’une interview réalisée dans l’ancienne usine de munitions de l’Union, située à proximité d’Auschwitz, l’historien Igor Bartosik a expliqué que c’était dans ce bâtiment, fortement vandalisé, que les détenus s’étaient procurés des explosifs et d’autres matériaux pour la révolte.
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« À mon avis, l’idée de la révolte est née des femmes prisonnières, qui se trouvaient ici », a déclaré Igor Bartosik.
Expert reconnu sur les détenus du Sonderkommando, Bartosik a publié plusieurs ouvrages sur le sujet pour le Musée national d’Auschwitz-Birkenau. Il a également effectué de nombreuses visites dans les ruines du camp en compagnie d’anciens membres du Sonderkommando au cours des dernières décennies.
À l’intérieur de l’ancienne usine nazie, les prisonnières avaient accès à de la dynamite et à d’autres fournitures indispensables à la planification de la révolte du Sonderkommando. Pendant plusieurs mois, un groupe de femmes a fait entrer clandestinement des fournitures à Birkenau. Les produits introduits en cachette étaient livrés aux prisonniers du Sonderkommando qui dormaient sur place, dans les chambres à gaz.
« C’est ici que les femmes se procuraient tout ce dont les hommes du Sonderkommando avaient besoin pour faire exploser les fours crématoires », explique Bartosik.
Le chercheur polonais sort de son sac une photo de l’usine Union prise pendant les années de guerre. Le bâtiment, aujourd’hui couvert de graffitis et dissimulé par des arbres, se trouve à quelques centaines de mètres du musée d’Auschwitz.
Bartosik souligne l’importance de briser les mythes qui entourent les prisonniers du Sonderkommando. L’un de ces mythes veut que ces hommes aient accompli leurs tâches épouvantables comme s’ils étaient des robots automatisés.
« Ils ne fonctionnaient pas comme des robots. Ils ont écrit sur des femmes au corps magnifique et sur des enfants avec beaucoup d’émotion. Ce n’étaient pas des robots. Je protégerai le souvenir de ces hommes jusqu’à mon dernier jour », a affirmé Bartosik.
Pendant la période où les massacres à Birkenau atteignaient leur paroxysme, des détenus du Sonderkommando ont caché leurs journaux intimes et leurs croquis non loin des chambres à gaz. Retrouvé après la guerre, l’un de ces textes contient une liste des trains dans lesquels les déportés ont été transportés, précisant le nombre de personnes assassinées pour chaque « transport » et l’endroit où elles ont été tuées, parmi les quatre principaux lieux d’exécution.
« Ces gens sont de véritables héros. Ils retournaient à leurs baraquements et tenaient leur journal. Ils savaient que les gens voudraient comprendre après la guerre pourquoi ils ont fait partie du Sonderkommando », a expliqué Bartosik.
Un million de Juifs ont été assassinés dans les chambres à gaz d’Auschwitz-Birkenau, auxquels s’ajoutent 100 000 non-Juifs originaires pour la plupart de Pologne, des pays soviétiques ou d’origine rom.
500 prisonniers ont été exécutés à bout portant
À Birkenau, Bartosik a exploré les ruines des anciennes baraques où étaient détenus initialement les prisonniers du Sonderkommando. Tôt le matin, avant l’arrivée des visiteurs à l’arrière du camp, on peut apercevoir des cerfs parmi la forêt de cheminées en briques et les fondations en béton qui sont en train de se désagréger.
Lors des premières phases de la Shoah, Birkenau comptait deux chambres à gaz « temporaires ». Les prisonniers du Sonderkommando ne dormaient pas encore sur le site, mais dans un complexe de baraquements parmi d’autres détenus.
Lorsque les Allemands ont achevé la construction des quatre chambres à gaz permanentes avec crématoires intégrés, les membres du Sonderkommando ont été transférés dans ces installations. En général, les détenus dormaient dans des greniers dotés de fenêtres par lesquelles les prisonniers de chaque lieu d’exécution communiquaient entre eux.
L’objectif de la révolte était de détruire un ou plusieurs de ces sites d’exécution et de permettre une évasion massive des prisonniers. Malheureusement, le plan a été exécuté trop tôt, quand un prisonnier a spontanément attaqué un garde SS.
« Suite à cela, les événements ont suivi leur propre cours », note Bartosik.
Des dizaines de détenus ont réussi à s’échapper du camp, mais ils ont été rapidement rattrapés et abattus par des patrouilles mobiles de SS. Le sort de quatre évadés reste inconnu, mais leur évasion a été signalée aux forces locales par un message envoyé par les SS.
« Je ne me souviens pas de la date exacte, mais je me souviens bien que c’était un samedi que nous avons attaqué les gardes SS », a rapporté Shlomo Dragon, un ancien détenu du Sonderkommando.
« Douze SS ont été blessés. Les troupes SS se sont aussitôt dirigées vers notre crématorium, plusieurs compagnies ont encerclé toute la zone, et près de 500 prisonniers ont été abattus, tandis que les autres, ceux qui s’étaient cachés, ont réussi à survivre », a ajouté Dragon.
En représailles à ce soulèvement, les Allemands ont exécuté presque tous les prisonniers restants du Sonderkommando, au cours duquel quatre SS ont été tués. Trois des femmes qui avaient introduit clandestinement à Birkenau du matériel pour la révolte ont été identifiées par les SS et exécutées le 6 janvier 1945.
Les preuves de cette tragédie
Une autre hypothèse inexacte concernant les prisonniers du Sonderkommando veut que le kommando – qui comptait plusieurs centaines d’hommes – ait été régulièrement éliminé collectivement par les SS.
Selon Bartisok, une telle exécution collective des prisonniers du Sonderkommando n’a eu lieu qu’une seule fois, en décembre 1942. Plusieurs survivants de la guerre figuraient parmi les hommes choisis pour remplacer cette main-d’œuvre exécutée, explique Bartosik. Ces hommes auraient su si d’autres massacres de Sonderkommando avaient eu lieu en 1943 ou 1944, avant le soulèvement.
Au cours de ses dizaines d’années de recherche, Bartosik s’est lié d’amitié avec plusieurs anciens détenus du Sonderkommando, dont Henryk Mandelbaum, aujourd’hui décédé. Ces relations ont permis à Bartosik de comprendre certains aspects méconnus de l’expérience vécue par les membres du Sonderkommando.
Ainsi, les SS allemands affectés au Sonderkommando étaient sensibles aux pots-de-vin. La tâche horrible des prisonniers consistait à trier les vêtements et les effets personnels apportés dans les salles où les déportés étaient forcés de se déshabiller [avant d’être gazés]. Ajoutés aux objets de valeur prélevés sur les cadavres, ces détenus du Sonderkommando devenaient une source de revenus trop importante pour les SS, qui tardaient alors à les éliminer.
« Ils ont certainement joué sur leur cupidité », déclare Bartosik.
Un autre acte de résistance, fatidique mais largement oublié, a eu lieu quelques semaines avant la révolte du Sonderkommando. Comme les journaux enterrés, cet acte avait pour but de rassembler des preuves incontestables de la Shoah à Birkenau.
En introduisant clandestinement un appareil photo dans l’une des chambres à gaz, un prisonnier du Sonderkommando a photographié les opérations meurtrières dans le bosquet de bouleaux à l’arrière du camp. Ses clichés, recadrés à la hâte, montrent des femmes entassées dans une chambre à gaz et des prisonniers du Sonderkommando brûlant des cadavres à l’air libre. Le film est sorti clandestinement du camp dans un tube de dentifrice et a été développé en Grande-Bretagne.
Selon Bartosik, l’échec de la révolte témoigne de l’héroïsme des prisonniers du Sonderkommando et de leur volonté de faire éclater la vérité sur Auschwitz-Birkenau.
« Les gens avaient compris la situation. Ils voulaient préserver les preuves de cette tragédie pour l’avenir », explique Bartosik.
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