Inculpation et audition: ce à quoi Netanyahu peut s’attendre avant les élections
Pour le Premier ministre, le scrutin est trop proche pour qu'il soit mis en accusation. Pour les experts cela pourrait aller beaucoup plus vite et commencer dès que possible
Face aux premières allégations de corruption, le Premier ministre Benjamin Netanyahu avait l’habitude d’insister avec dédain, voire avec suffisance, sur le fait qu’“il n’y aura rien parce qu’il n’y a rien”.
Dernièrement, son ton a radicalement changé. Mais les arguments qu’il a avancés ces dernières semaines ne sont pas nécessairement plus pertinents que son précédent mantra de l’innocence totale, ont déclaré des experts juridiques cette semaine.
Après avoir appris que le procureur général Avichai Mandelblit annoncerait en février son intention d’inculper le Premier ministre, dans l’attente d’une audience, Netanyahu a commencé à prétendre qu’il serait injuste de faire cette annonce avant que les Israéliens ne votent à l’élection générale du 9 avril.
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En effet, cela reviendrait à « voler les élections », a-t-il averti à plusieurs reprises. Dans une vidéo publiée sur ses comptes de réseaux sociaux le week-end dernier, il se comparait à un homme dont le bras avait été coupé parce qu’il avait été reconnu coupable de vol en première instance, puis acquitté en appel. « Quelqu’un peut-il lui rendre sa main ? Quelqu’un peut-il vous rendre les élections ? » demanda Netanyahu, s’adressant aux électeurs israéliens.
Maintenant qu’il semble de plus en plus probable que les trois enquêtes criminelles contre lui ne seront pas sans suite, l’argument principal du Premier ministre est que Mandelblit ne doit pas lancer une enquête préliminaire parce qu’un tel processus ne peut être mis en œuvre avant que les Israéliens ne se rendent aux urnes.
« Ils essaient de forcer le procureur général à intervenir effrontément dans les élections en m’ordonnant de me présenter à une audience, même s’ils savent qu’il ne sera pas possible de conclure le processus d’audience avant le jour du scrutin », a-t-il dit dans une autre vidéo, alléguant des pressions exercées par des « manifestants de gauche et les médias » contre le procureur général.
« Il serait déraisonnable d’entamer un processus d’audition avant des élections qui ne pourra être conclu avant les élections », a-t-il poursuivi, déplorant que « la gauche » veuille « essayer de révoquer un Premier ministre par une cour martiale et vous voler le scrutin, à vous les citoyens d’Israël ».
Combien de temps cela prend-il ?
Dans le passé, dans des affaires similaires, les audiences préalables à la mise en accusation ont en effet duré plusieurs mois. Une fois que le procureur a annoncé son intention d’inculper, il convient généralement avec l’équipe de la défense d’un délai qui permet à cette dernière de se préparer correctement pour l’audience. Certains prédisent que Netanyahu pourrait essayer de faire traîner ce processus pendant un an ou plus.
Plusieurs experts juridiques ont déclaré au Times of Israel qu’il est théoriquement possible, quoique peu probable, de conclure le processus en quelques semaines. Mais même si le processus d’audience devait dépasser les trois mois restants jusqu’au jour du scrutin, ont-ils soutenu, il serait important d’entamer le processus le plus tôt possible.
« Dès que le procureur général termine son travail, il est obligé de rendre publique sa décision », a déclaré Suzie Navot, professeure de droit constitutionnel au College of Management Academic Studies à Rishon Lezion. « Il ne peut pas le garder pour lui – pas pendant un mois, deux ou trois – surtout quand il s’agit d’une enquête qui dure depuis deux ans ».
Dans des affaires criminelles antérieures très médiatisées, les audiences préalables à la mise en accusation ont duré plusieurs mois, mais en théorie, le processus pourrait être terminé en quelques semaines, selon Amir Fuchs, un expert en droit pénal.
« C’est au procureur général de décider », a-t-il dit. « Cela dépend aussi de l’affaire elle-même. C’est une question de proportionnalité », a-t-il ajouté, estimant que dans les affaires Netanyahu, « quelques bonnes semaines » devraient suffire.
Le procureur général devrait-il attendre ?
« Je ne suis pas d’accord avec ceux qui disent que s’il est impossible de conclure l’audience avant les élections, il ne faut pas l’entamer. En fait, c’est le contraire qui est vrai », a déclaré M. Fuchs, qui dirige le Programme de défense des valeurs démocratiques de l’Institut israélien de la démocratie.
Il serait injuste pour les citoyens que Mandelblit garde sa décision secrète jusqu’après les élections, a-t-il soutenu.
Fuchs a admis qu’il serait acceptable que Mandelblit attende si, pour des raisons purement techniques, il n’était pas en mesure de conclure ses délibérations avant le jour du scrutin. Le procureur général ne devrait pas non plus publier sa décision trop près du 9 avril, a-t-il ajouté : Netanyahu – et les électeurs – devraient au moins avoir un mois pour réfléchir à leurs options.
Mais l’argument de Netanyahu selon lequel l’ouverture d’un processus d’audition qui ne peut être achevé avant les élections minerait la démocratie parce qu’il ne serait pas en mesure de présenter aux électeurs sa version des faits, ne tient pas la route, a affirmé Fuchs.
« Disons qu’il y a une audience, et à la fin, Mandelblit décide d’inculper Netanyahu. L’acte d’accusation n’est pas la fin de la partie. Ensuite, il y a le procès. Mais ce n’est pas non plus la fin de la partie, car une condamnation peut faire l’objet d’un appel », a fait valoir M. Fuchs.
« Le processus juridique ne s’arrête pas avec l’audience, et il est donc normal de commencer par là, même si elle ne peut être terminée avant les élections », a-t-il déclaré. « Nous, le public, devons connaître l’état d’avancement de l’enquête avant de voter ».
L’insistance de Netanyahu pour qu’on lui donne la possibilité de se défendre contre les accusations est quelque peu déraisonnable, ont ajouté plusieurs experts. Après tout, rien n’empêche le Premier ministre de présenter son point de vue à la population.
En effet, il l’a fait à plusieurs reprises, notamment dans une « annonce spectaculaire » diffusée en direct lundi soir par toutes les grandes chaînes de télévision et stations de radio du pays dans laquelle il a affirmé qu’on lui avait refusé la possibilité de se confronter à ses accusateurs et que cela montrait que ses enquêteurs le traitaient de façon inique et abusive.
C’est plutôt l’autre partie – l’accusation – qui n’a pas encore officiellement présenté ses arguments au public. Jusqu’à présent, les seuls documents officiels que le public a vus étaient les recommandations de la police concernant les actes d’accusation dans les affaires 1000, 2000 et 4000.
Le fondement juridique du droit d’un suspect à être entendu
Il convient de mentionner que Netanyahu ne sera pas, comme il s’en est plaint, « convoqué pour une audition ». Au contraire, une audience sur la question de savoir si un acte d’accusation devrait être déposé est un droit qui lui est accordé et auquel il est libre de renoncer.
Le droit d’être entendu est ancré dans le Code de procédure pénale israélien, qui stipule que « le suspect a le droit de demander par écrit à l’autorité de poursuite pénale… et de présenter une requête motivée pour ne pas être mis en examen ».
En vertu de la loi, cette demande peut être faite dans les 30 jours suivant la notification au suspect de l’intention de l’inculper.
« Selon le libellé de la loi, le droit de répondre aux accusations par écrit est incontestable ; la tenue d’une audience est laissée à la discrétion de l’accusation », a déclaré Michael Partem, avocat et vice-président du Mouvement pour un gouvernement de qualité.
Dans une directive de 1991, le bureau du procureur général a précisé que la poursuite détermine la « nature de l’audience ».
Le processus d’audition peut se dérouler oralement ou par écrit, dans la mesure où il donne au suspect « une occasion équitable de présenter sa position », conformément à la directive.
« Le but de l’audience est de permettre au suspect de présenter ses arguments et de convaincre que, à son avis, la preuve, ou l’intérêt public, ne justifie pas une mise en accusation contre lui », peut-on lire dans la directive. « Dans le cadre de ce processus, le suspect a la possibilité de signaler à l’accusation ses erreurs, qu’elles soient légales ou factuelles. »
La directive, qui a été révisée pour la dernière fois en 2008, ne précise pas de calendrier pour l’audience, mais précise qu’elle devrait se concentrer sur les principaux points soulevés par l’accusation dans son projet d’acte d’accusation et être « relativement courte (généralement une réunion) ».
L’audience aura probablement lieu au bureau de Mandelblit au ministère de la Justice dans la rue Salah a-Din à Jérusalem. Netanyahu lui-même n’y assisterait probablement pas.
Si le procureur général décide de convoquer M. Netanyahu à une audience avant ou après les élections, on peut s’attendre à ce que les avocats du Premier ministre tentent de prolonger le processus le plus longtemps possible, selon les experts juridiques, parce que dès que Mandelblit aura présenté un acte d’accusation, le Premier ministre pourrait perdre le soutien de ses partenaires de la coalition, dont il a besoin pour conserver le pouvoir.
Certains suspects criminels ont utilisé avec succès leurs audiences pour se sortir d’un acte d’accusation. En 2012, Avigdor Liberman a réussi à éviter l’obstruction à la justice et les accusations de blanchiment d’argent, après un processus d’audience qui a duré plus d’un an et qui comprenait plusieurs rencontres entre ses avocats et Yehuda Weinstein, alors procureur général.
Bien que la plupart des suspects ne parviennent pas à convaincre l’accusation d’abandonner complètement les poursuites, certains utilisent le processus d’audience pour conclure des négociations de peines. C’est ce qui s’est produit, par exemple, dans l’affaire de viol contre l’ancien président Moshe Katsav, même si, au cours du procès, il a renié l’accord et a finalement été reconnu coupable.
Si Netanyahu était tout à fait convaincu de pouvoir persuader le procureur général de le laisser tranquille pendant le processus d’audience, définitivement et rapidement, il pourrait exhorter Mandelblit à prendre sa décision le plus tôt possible, afin qu’il puisse se présenter le jour des élections totalement blanchi ; Il se peut aussi qu’il estime que le délai est déjà trop court pour qu’il puisse y parvenir.
De nombreux suspects, surtout dans les affaires peu médiatisées, renoncent en fait à leur droit à une audience, surtout ceux qui savent qu’ils finiront par être inculpés, car ils veulent garder la tête haute tant que le procès ne s’ouvre pas.
« Si j’ai quelques jokers dans ma manche, je vais préférer attendre le procès pour les étaler, afin de déstabiliser l’accusation », a déclaré Partem, qui est également un ancien procureur du ministère public des infrastructures nationales.
« Netanyahu essaie de gagner du temps, alors il demande que l’audience soit la plus éloignée possible dans le futur. Mais il se présentera à l’audience sans rien de [nouveau] », a-t-il prédit.
A ce stade, une seule chose semble certaine : si et quand le procureur général annoncera son intention d’inculper Netanyahu, en attendant une audience, il sera attaqué par les partisans du Premier ministre pour tentative de renverser la démocratie israélienne.
« Il n’y a pas de bon moment pour décider de traduire un Premier ministre en justice », a déclaré Navot, professeur de droit constitutionnel.
« Ce n’est jamais le bon moment pour ça, ni avant l’élection, ni pendant l’élection, ni après l’élection, ni au milieu de son mandat ».
Les accusations éventuelles
Netanyahu a fait l’objet d’une enquête dans trois affaires et la police a recommandé qu’il soit accusé de corruption dans les trois cas. Les recommandations de la police n’ont cependant aucune valeur juridique, et la décision finale est du ressort de Mandelblit.
Netanyahu a déclaré qu’il ne démissionnerait pas en cas d’audience, et Mandelblit a confirmé qu’il n’était pas légalement tenu de le faire. S’il cherchait à rester en fonction en cas mise en accusation, il ferait probablement face à des contestations judiciaires ; la loi n’est pas catégorique et certains experts juridiques disent que le Premier ministre pourrait rester en fonction pendant un procès, une condamnation et tant que les appels n’ont pas tous été épuisés.
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