Insultes yiddish, discours à la synagogue: la surenchère des candidats à la mairie de NY contre l’antisémitisme
L'ancien gouverneur Andrew Cuomo s'en est pris à ses opposants dans un discours sur l'antisémitisme, ce qui lui a valu la vive opposition du contrôleur juif de la ville, Brad Lander
Luke Tress est le vidéojournaliste et spécialiste des technologies du Times of Israël

NEW YORK – Andrew Cuomo, le principal candidat à la mairie de New York, est monté sur l’estrade de la West Side Institutional Synagogue, mardi soir, pour faire campagne auprès des électeurs juifs.
Porteur d’un pins jaune, symbole du soutien aux otages israéliens de Gaza, Cuomo, l’ex-gouverneur de New York, a déclaré que la lutte contre l’antisémitisme était « la priorité des priorités » pour la ville tout en rappelant son soutien de longue date à Israël. Il s’est engagé à réprimer les actes antisémites et a déploré la « douleur et l’angoisse » causées par l’attaque du 7 octobre contre Israël.
« Personne ne devrait se sentir obligé de retirer sa kippa dans la rue. Personne ne devrait se sentir obligé de mettre son étoile de David à l’intérieur de sa chemise », a déclaré Cuomo, selon les termes de la transcription de son discours communiquée par son cabinet au Times of Israel. « Cette ville doit faire en sorte que vous vous sentiez en sécurité partout, à toute heure du jour ou de la nuit. »
Cuomo n’a pas épargné certains de ses adversaires dans la course aux municipales, ce qui a donné lieu à des échanges au vitriol qui n’ont manqué de braquer les projecteurs sur les questions juives.
Cuomo a déclaré que la présidente du conseil municipal, Adrienne Adams, était « la première présidente du conseil municipal à ne jamais s’être rendue en Israël ».
Il a accusé le contrôleur de la ville, Brad Lander, qui est juif, de ne pas suffisamment s’investir envers Israël. Enfin, il a attaqué le politicien d’extrême gauche Zohran Mamdani auquel il reproche de s’en prendre à « toute organisation qui aide Israël ».
« Ce sont des responsables, dans cette ville de New York, qui soutiennent les politiques anti-Israël les plus agressives qui soient », a déclaré Cuomo en se positionnant comme étant aux côtés de la communauté juive.
« L’ennemi s’organise, collecte des fonds et se mobilise, nous avons donc beaucoup de travail devant nous », a-t-il déclaré.
Ses propos n’ont pas manqué de donner lieu à des réactions pour le moins courroucées.
Dans un discours prononcé mercredi matin, Lander, le plus haut responsable juif des autorités municipales a utilisé l’insulte yiddish « A beyzer gzar zol er af dir kumen », ce qui se traduit littéralement par « Qu’un décret diabolique s’abatte sur lui » pour parler de Cuomo.
« Pour ceux qui ne parlent pas le yiddish, cela veut à peu près dire ‘Dégagez’ », s’est expliqué Lander. « Andrew Cuomo n’a pas à me dire comment être juif. »
Lander, qui est directeur financier de la ville, se définit lui-même comme un sioniste progressiste et un militant de longue date des milieux juifs de gauche. Certains de ses opposants lui reprochent sa proximité avec les critiques d’Israël de gauche, au motif que ces progressistes induisent un environnement hostile pour les Juifs. Cuomo est catholique.
« Non seulement Andrew Cuomo est connu pour se servir de l’antisémitisme pour soigner ses ambitions personnelles, mais de surcroît son bilan est très troublant et il devra s’en expliquer », a déclaré Lander en évoquant les poursuites intentées contre Cuomo par des congrégations juives pour les restrictions imposées en sa qualité de gouverneur au moment de la pandémie de COVID. Son interdiction des rassemblements religieux pendant la pandémie reste un sujet épineux au sein des communautés ultra-orthodoxes.
Lander a également reproché à Cuomo d’avoir mis en place une organisation pro-Israël qui n’a pas fait grand-chose depuis sa création et d’avoir mal parlé de Souccot en évoquant « ces gens et leurs putain de cabanes dans les arbres » – des propos que l’intéressé nie avoir jamais tenus.
« Nous avons une Soucca dans le jardin chaque année, Andrew, et j’ai bien l’intention d’en faire une à Gracie Mansion. Désolé si cela vous dérange », a déclaré Lander en parlant de la résidence officielle du maire.
Mamdani a déclaré à Pix 11 qu’il serait heureux de pouvoir prendre la parole dans la même synagogue, et a lui aussi reproché à Cuomo de se servir de l’antisémitisme comme d’une arme.
« L’attitude d’Andrew Cuomo révèle qu’une seule chose l’intéresse – lui – et qu’il est prêt à faire feu de tout bois pour parvenir à ses fins », a déclaré Mamdani.

Mamdani est membre de l’assemblée de l’État de New York, doublé d’un fervent critique d’Israël qui s’est attiré les foudres des organisations juives traditionnelles. Il est affilié aux Socialistes démocrates d’Amérique dont la branche new-yorkaise a soutenu un rassemblement, le 8 octobre 2023, qui s’est réjouie du pogrom perpétré par le Hamas en Israël. Les déclarations de Mamdani, le jour de cette manifestation, n’ont pas laissé de place au doute sur sa critique envers Israël, qu’il a rendu responsable de ce déchainement de violence.
Mamdani a déclaré que, s’il était élu maire, il ferait arrêter le Premier ministre Benjamin Netanyahu si d’aventure il venait à New York.
Cuomo a parlé avec mépris des Socialistes démocrates d’Amériquedans son discours de mardi en rappelant le rassemblement du 8 octobre et en traitant Mamdani de « dévot des Socialistes démocrates d’Amérique ».
« Il faut que les New-Yorkais prennent conscience de la menace très réelle qu’ils représentent », a déclaré Cuomo. « Les Socialistes démocrates d’Amérique répètent à l’envi qu’Israël est un État raciste qui pratique l’apartheid et se livre à un nettoyage ethnique. Le 7 octobre, ils se sont acclamés : ‘Vive la résistance’ ».
Il n’a pas dit que les autres candidats, qui ne font pas partie des Socialistes démocrates d’Amérique, en étaient proches, mais ses critiques à leur envers ont été faites entre deux condamnations de ce groupe.
Cuomo a par ailleurs mis dans le même sac – celui des politiques anti-Israël – l’absence de déplacement d’Adams en Israël et la politique israélienne de Lander. Adams s’est dit favorable au déplacement en Israël mais a refusé d’y participer en raison des activités budgétaires de la ville, et Lander a déclaré qu’il n’investissait pas les fonds de la ville dans une dette souveraine étrangère et qu’il était explicitement contre le mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS). La ville a investi plus de 400 millions de dollars dans des entreprises israéliennes.
Le projet de loi « Not on our Dime » de Mamdani, auquel Cuomo fait référence, ne concernerait pas les ONG qui viennent en aide à Israël mais celles qui ont des liens avec les implantations. Il fait toujoujours l’objet d’une opposition farouche de la part des organisations juives qui y voient une atteinte aux organisations qui ne sont pas favorables auxdites implantations, comme par exemple les organisations de services sociaux qui viennent en appui aux populations marginalisées, notamment en Cisjordanie.

Ces tirs de barrage entre candidats ont eu pour effet de braquer les projecteurs sur les questions juives avant la primaire démocrate de juin prochain, qui sera sans doute décisive pour le résultat, dans cette ville majoritairement bleue. Les Juifs représentent près de 12 % de la population de New York et la majorité d’entre eux sont démocrates, même si la question d’Israël, de l’antisémitisme et d’autres questions intérieures donnent lieu à l’expression de sensibilités différentes au sein des communautés juives.
Aucun candidat n’est clairement favori en ce qui concerne l’électorat juif.
Les questions juives devraient jouer un rôle important dans l’élection municipale, compte tenu du fait que les informations sur Israël et Gaza ont fait la une de la presse et des milieux militants ces douze derniers mois, et que les questions en jeu pour les Juifs sont très nombreuses, de la législation sur le port du masque lors des manifestations de rue et aux yeshivas.
Les New-Yorkais juifs sont par ailleurs, selon un ratio totalement disproportioné, victimes d’actes de haine et ils craignent pour leur sécurité.
Les candidats, Lander et Mamdani au premier chef, ont publié des projets de sécurité publique détaillés qui comprennent des mesures de lutte contre l’antisémitisme. Depuis l’an dernier, des militants juifs font en sorte d’inciter les électeurs à voter aux municipales.
« Nous savions que l’antisémitisme et les questions juives en général joueraient un rôle important dans cette élection, mais la façon dont le sujet est instrumentalisé, pour mieux diviser, dépasse l’entendement », a déclaré Phylisa Wisdom, cheffe du groupe de défense libéral New York Jewish Agenda, en ajoutant que l’antisémitisme posait de véritables questions et que la question donnait lieu à des divergences voire à des rapprochements entre antisémitisme et Israël.
« Mais les électeurs juifs, comme tous les autres électeurs de New York, pensent aussi à la sécurité sur le plan global : pour des métros à prendre sans crainte, des écoles dans lesquelles étudier sereinement, de l’air pur, etc. Il y a une réelle inquiétude que notre douleur, bien réelle, soit récupérée à des fins politiques et pour cliver davantage. »
Ces dernières semaines, tous les candidats, ténors et autres, plus discrets, ont fait en sorte de s’attirer les bonnes grâces de l’électorat juif au sein d’autres forums. Le groupe de gauche Jews for Economic and Racial Justice [NDLT : Juifs pour la justice économique et raciale] a ainsi apporté son soutien à Lander et Mamdani le mois dernier.
Cuomo, qui avait démissionné de son poste de gouverneur à la suite d’accusations de harcèlement sexuel en 2021, s’est exprimé à plusieurs reprises sur les questions juives. Le maire de New York, Eric Adams, qui partage une base centriste avec Cuomo et connait depuis longtemps les communautés juives, a participé à une distribution de nourriture en vue de Pessah le week-end dernier.
Scott Stringer, l’ancien contrôleur juif de New-York et actuel candidat, a rappelé ses origines juives lors d’une conférence de presse à l’hôtel de ville, le mois dernier, et reproché à Cuomo d’« instrumentaliser les craintes des Juifs pour marquer facilement des points sur le plan politique ».