Israël conteste la plainte du Nicaragua devant la Cour internationale de Justice
Managua accuse Berlin de génocide en raison de son soutien à Israël contre le Hamas. Pour les experts, c'est le fruit de l'échec des pressions politiques
Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.
Israël condamne la plainte pour génocide déposée contre l’Allemagne par le Nicaragua devant la Cour internationale de justice (CIJ) pour avoir soutenu Israël dans sa guerre contre le groupe terroriste du Hamas, à Gaza, sur fond d’inquiétudes sur la constitution d’un front juridique à l’encontre de Jérusalem.
Vendredi dernier, le Nicaragua a déposé une plainte contre l’Allemagne devant la CIJ pour une présumée violation par Berlin de la Convention sur le génocide de 1948, en raison de son soutien diplomatique à Israël, de ses ventes d’armes à Jérusalem et de sa décision de suspendre les fonds versés à l’agence d’aide palestinienne UNRWA suite à des rumeurs de complicité de terrorisme de certains membres du personnel.
Dimanche, le ministère israélien des Affaires étrangères a condamné la plainte déposée contre l’Allemagne par le Nicaragua auprès de la CIJ, qualifiée de « nouvel abus de la Cour internationale destiné à aider l’organisation terroriste du Hamas au moyen d’une distorsion complète de la réalité ».
Israël fait lui-même l’objet de mesures conservatoires de la CIJ, après que la Cour a jugé « plausibles » les allégations faites par l’Afrique du Sud selon lesquelles il aurait violé certaines des dispositions de la Convention sur le génocide. La Cour a notamment ordonné à Jérusalem de rendre compte des mesures prises pour limiter les dégâts humanitaires à Gaza et punir ceux qui pourraient se rendre coupables d’incitation au génocide. La Cour ne s’est pas prononcée sur le bien-fondé des accusations, se refusant à ordonner à Israël de mettre fin à ses opérations militaires.
La démarche très singulière, et peut-être même sans précédent, du Nicaragua – à savoir porter plainte pour génocide devant la CIJ contre un pays à propos des actions génocidaires présumées d’un pays tiers est le dernier avatar juridique en date, sur le plan international, d’une campagne destinée à mettre davantage la pression sur Israël et sa guerre contre le Hamas.
Classé dans la catégorie des « régimes autoritaires » par l’indice de démocratie 2023 du magazine The Economist et des pays « non libres » par le rapport 2023 de Freedom House, le Nicaragua entretient de bonnes relations avec des pays ouvertement anti-occidentaux, à commencer par la Russie et l’Iran.
Selon la plainte du Nicaragua, l’Allemagne a, en apportant son soutien à Israël, notamment son appui militaire, et en interrompant le versement des fonds à l’UNRWA, enfreint ses obligations de prévenir le génocide conformément aux dispositions de la Convention sur le génocide.
Le Nicaragua a demandé à la Cour de prendre des mesures conservatoires contre l’Allemagne, en lui ordonnant par exemple de cesser toute forme d’aide, d’assistance militaire ou de livraison d’équipements militaires à Israël, de s’assurer que les armes déjà livrées « ne soient pas utilisées pour commettre un génocide » et de revenir sur sa décision de ne plus financer l’UNRWA.
« L’Allemagne favorise la commission d’un génocide et, en tout état de cause, manque à son obligation d’empêcher la commission d’un génocide », peut-on lire dans le corpus de la plainte.
« L’Allemagne a apporté un soutien politique, financier et militaire à Israël en pleine conscience, au moment de la décision, que les équipements militaires seraient utilisés pour commettre de graves violations du droit international, au mépris de ses propres obligations », souligne la plainte, affirmant que l’équipement militaire fourni par l’Allemagne « a permis à Israël de perpétrer des actes génocidaires et autres atrocités ».
L’Allemagne a exporté pour 327 millions d’euros d’armes et matériels de guerre vers Israël en 2023, pour l’essentiel après le 7 octobre.
Le Dr Yonatan Freeman, expert en relations internationales à l’Université hébraïque de Jérusalem, qualifie cette plainte de « coup d’éclat » et de « nouvel exemple de la militarisation de la CIJ ». Il est peu probable, selon lui, qu’elle soit examinée par la Cour.
Il rappelle qu’Israël bénéficie du soutien de nombreux pays occidentaux dans cette guerre et que ces deniers ne lui ont pas demandé de mettre un terme à sa campagne militaire contre le Hamas, ajoutant que ces plaintes contre Jérusalem sont le signe de l’incapacité de ses ennemis à faire bouger la position de pays clés comme les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni ou d’autres envers la guerre à Gaza
L’opération militaire israélienne a commencé à la suite de l’envoi par le Hamas de milliers de terroristes dans le sud d’Israël pour un assaut dévastateur, le 7 octobre dernier, qui a tué près de 1 200 personnes, sans compter les viols et actes de torture, et fait 253 otages à Gaza. Israël s’est promis de renverser le régime du Hamas à Gaza et d’obtenir la libération de ses otages, dont près de la moitié sont toujours détenus dans la bande de Gaza.
« Les pays occidentaux n’ont pas changé de politique. L’Allemagne a fourni beaucoup d’équipements à Israël et continue de le faire. Il est peu probable que ce procès conduise à des sanctions ou à une mesure applicable », explique Freeman.
« Ce procès s’inscrit est le signe du désir de pays comme l’Iran, la Russie ou la Chine d’instaurer un nouvel ordre mondial, pour saper l’ordre international né dans l’après-Seconde Guerre mondiale et saper les institutions qui l’ont établi », poursuit-il.
Le président nicaraguayen Daniel Ortega s’est aligné sur ces États anti-occidentaux, comme en témoignent la visite officielle du président russe Vladimir Poutine à Managua, en 2014, peu de temps après l’occupation et l’annexion par la Russie de la Crimée, et celle, en juin dernier, du président iranien Ebrahim Raïssi.
Le Nicaragua a, à plusieurs reprises, voté conformément aux positions russes à l’ONU, en condamnant par exemple l’annexion du territoire ukrainien par la Russie à l’occasion du vote d’une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies en octobre 2022.
A titre temporaire, Ortega a ouvert le territoire de son pays à l’armée russe et déployé un système de surveillance avec l’aide des services de renseignement et de la police secrète russes, a récemment rapporté Foreign Policy.
Anne Herzberg, conseillère juridique de l’organisation pro-israélienne ONG Monitor, souligne que le lobbying et les campagnes des États et groupes pro-palestiniens destinés à faire pression sur Israël pour qu’il signe un cessez-le-feu unilatéral ont échoué, tout comme les deux plaintes de l’Afrique du Sud auprès de la CIJ destinées à forcer Israël à mettre fin à son opération militaire.
« Il convient d’examiner la situation à travers le prisme de la résistance à l’Occident. Il s’agit d’une nouvelle ligne géopolitique née de ce conflit et de la guerre en Ukraine, faite de pays aux vues anti-occidentales comme l’Afrique du Sud, le Venezuela, le Nicaragua, le Brésil, la Russie, la Chine, l’Iran, le Qatar ou la Turquie », explique-t-elle.
Elle ajoute que la plainte du Nicaragua devant la CIJ est « une tentative pour amener les pays occidentaux à réduire leur soutien à Israël et stopper les ventes d’armes qui lui sont destinées », alimentée par l’incapacité de stopper la campagne militaire d’Israël. Selon elle, cette nouvelle tactique consiste à intimider les alliés d’Israël.
Elle ajoute que l’accent mis sur l’UNRWA, dans la plainte du Nicaragua, a vocation à faire craindre des sanctions aux nombreux pays donateurs ayant suspendu le versement de leurs fonds sur la foi de rumeurs de complicités d’employés de l’UNRWA dans l’attaque du 7 octobre et de relations entre membres de l’UNRWA et groupes terroristes.
« Il s’agit là d’une instrumentalisation du droit », conclut Herzberg.
« En 2011, les Palestiniens affirmaient que leur programme était d’internationaliser le conflit en allant devant la CIJ et en faisant en sorte que d’autres pays fassent de même, portent plainte contre Israël devant le Comité de l’ONU pour l’élimination des discriminations raciales et devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU. La plainte d’aujourd’hui est une nouvelle tentative de faire avancer ce projet. Je pense qu’il y en aura d’autres. »