La cour rabbinique de Petach Tikva rejette la conversion d’une Juive américaine
Nicole, qui a été convertie par le rabbin de Ivanka Trump, Haskel Lookstein, raconte son histoire au Times of Israel avant son appel mercredi, à Jérusalem ; le grand rabbin ashkenaze David Lau l'approuve

L’histoire d’amour de Nicole et Zohar ressemble à toutes les autres : une Juive américaine rencontre un Israélien et ils tombent amoureux. Mais, comme pour d’innombrables autres immigrants américains vers Israël, leur chemin à travers la bureaucratie religieuse pour aller jusqu’à la joyeuse houppah est devenu impossible.
“C’est un cauchemar”, a déclaré Nicole au Times of Israel cette semaine.
Après leurs fiançailles, Nicole a rejoint son futur mari en Israël, mais ils ont découvert que sa conversion effectuée en mai 2015 par l’estimé rabbin orthodoxe américain Haskel Lookstein n’était pas acceptée par le rabbinat de Petah Tikva.
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La nouvelle est parue dans les colonnes du New York Times, après que le rejet de la conversion de Nicole et la mise en doute implicite des références orthodoxes de Lookstein ont rencontré une colère teintée d’incrédulité au sein de la diaspora.
Le fait que le rabbin Lookstein ait converti la fille du candidat à la présidence américaine, Ivanka Trump, et officié lors de son mariage en 2009 avec le magnat des médias Jared Kushner, a également joué sur la forte couverture médiatique.
A travers le rejet de Nicole, le rabbinat israélien questionne essentiellement le judaïsme d’Ivanka et des petits-enfants de Trump.

Nicole doit faire appel de son cas mercredi matin, à la Cour Suprême religieuse basée à Jérusalem. Le couple est représenté par l’association caritative ITIM, qui aide les nouveaux immigrants à naviguer dans le labyrinthe de la bureaucratie religieuse israélienne.
La jeune femme, qui est arrivée en Israël il y a quelques mois et qui ne parle pas encore hébreu, explique qu’ils se sentiraient perdus sans les conseils d’ITIM.
« Je veux juste me marier et commencer ma vie »
« Je veux juste me marier et commencer ma vie. Ils [le rabbinat de Petah Tikva] mettent toute ma vie en suspens », plaide Nicole, 31 ans, dans sa première interview depuis le début de la tempête médiatique. En tant que femme religieuse, elle est fermement décidée à obtenir un mariage orthodoxe. Aujourd’hui, elle espère simplement qu’il pourra se dérouler dans l’Etat juif, qu’elle appelle désormais son foyer.
« Mon fiancé est religieux, je suis religieuse, je veux que mes enfants soient considérés comme Juifs… C’est tout l’intérêt de la conversion », explique Nicole. « Je suis Juive, ce n’est pas juste que je puisse être considérée autrement. C’est très frustrant, j’ai envie de pleurer. Tout ce que je veux, c’est avoir une famille juive ».
Prenant l’histoire de Nicole comme un nouvel exemple de la façon dont le rabbinat crée une division entre Israël et la diaspora, un groupe de militants prévoit une manifestation mercredi matin avant l’audience, pour souligner son importance universelle.
« L’extrême rigueur des tribunaux rabbiniques blesse l’identité juive dans l’Etat d’Israël. Plutôt que d’inclure et d’écouter, les institutions religieuses construisent des murs de plus en plus hauts qui éloignent les gens de leur judaïsme », écrivent les organisateurs dans leur appel à manifester.
Qualifiant de « valeur stratégique énorme » la connexion entre Israël et la diaspora, les organisateurs ont ajouté, « nous ne pouvons pas permettre aux tribunaux rabbiniques de l’endommager et nous devons renforcer et préserver [cette connexion] ».
Alors qu’ils se préparent pour l’audience de mercredi, quel est le pire scénario possible pour Nicole et Zohar ? Que la conversion effectuée par Lookstein soit rejetée et que le rabbinat juge qu’elle doive se convertir à nouveau en Israël.
Ce n’est pas une option, assène le directeur d’ITIM, le rabbin Seth Farber.
« S’ils insistent pour une seconde conversion, je conseillerai à Nicole d’en appeler à la Cour suprême [non religieuse], dès jeudi. Tout verdict autre que la reconnaissance totale de sa conversion nous amènera devant la Cour suprême ».
Le rabbin ashkénaze David Lau a déclaré que le grand rabbinat d’Israël reconnaît les conversions effectuées par le rabbin Haskel Lookstein de New York – une position différente de celle du tribunal rabbinique de Petah Tikva, rapporte le site juif orthodoxe Kikar Hashabbat.
Nicole, deux fois juive
Ce qui est ironique dans le cas de Nicole, c’est qu’elle s’est toujours sentie juive, pendant son enfance aux Etats-Unis, a-t-elle déclaré au Times of Israel. Elle avait « un nom de famille juif » et des amis juifs, et sa famille célébrait les fêtes en allant à la synagogue.
« Nous faisons le genre de choses qu’une famille juive américaine typique ferait », a grommelé Nicole au téléphone.
Et, bien que le père de Nicole soit juif mais que sa mère, décédée, ne l’était pas, la jeune femme a toujours été pleinement acceptée comme juive aux Etats-Unis, où l’on trouve une majorité de communautés non-orthodoxes.

En 1983, le mouvement réformiste, « sensible aux dimensions humanistes » de l’augmentation des mariages mixtes, a passé une résolution sur l’ascendance patrilinéaire, dans laquelle « la conférence centrale des rabbins américains déclare que l’enfant d’un parent juif est sous la présomption d’une origine juive. Cette présomption du statut juif des fruits issus d’un mariage mixte doit être établie par des actes appropriés, formels et publics d’identification avec les croyances et le peuple juifs ».
Cependant, quand Nicole avait une vingtaine d’années, elle a déménagé à New York et a commencé à évoluer dans des cercles plus pratiquants.
Quand elle a eu ses premiers rendez-vous amoureux, elle a rapidement compris que, pour se marier et élever des enfants juifs, elle devrait se convertir : le judaïsme orthodoxe accepte uniquement l’ascendance matrilinéaire comme halachique, conforme à la loi juive.
Nicole – qui a été élevée comme juive par son père juif et qui fréquentait même une synagogue Chabad depuis ses 13 ans – n’était donc pas considérée comme juive, et toute future descendance serait confrontée au même problème halachique. Mais, paradoxalement, parce qu’elle voulait éviter que ses futurs enfants n’aient de problèmes d’identité, elle est maintenant dans une situation floue au sein de l’Etat juif.
La route vers la conversion orthodoxe
Le processus de conversion orthodoxe de Nicole a commencé il y a environ cinq ans, quand elle a pris rendez-vous avec le rabbin Haskel Lookstein, de la congrégation Kehilath Jeshurun de Manhattan, et le directeur de l’éducation et du rayonnement de la communauté, le rabbin Elie Weinstock. Elle se souvient que Lookstein lui avait demandé comment elle s’identifiait religieusement.
« J’ai répondu, à l’heure où vous me le demandez, je me sens absolument juive. Ils étaient très contents », se remémore Nicole. Elle ajoute que les rabbins ont ensuite décrit les étapes vers la conversion, notamment les cours qu’elle devrait suivre. Ils ont dit qu’elle devait commencer à vivre comme une juive orthodoxe et lui ont communiqué tous les commandements à respecter.
« Je devais aller à la synagogue pour chaque Shabbat, pour me familiariser avec les prières et l’atmosphère – les gens et la congrégation. Trois heures chaque vendredi soir, pendant presque deux ans », explique Nicole. « C’était intense, mais adorable ; j’ai vraiment apprécié ».
Lookstein, qui vient d’une famille respectée d’importants rabbins orthodoxes, a pris les rênes de la Kehilath Jeshurun des mains de son père, le rabbin Joseph Lookstein, en 1979, après l’avoir servi pendant presque 20 ans.
Aujourd’hui, il y a plus d’une douzaine de synagogues orthodoxes réputées à Manhattan, selon Farber, d’ITIM. Et c’est grâce à la famille Lookstein, qui a pratiquement construit le judaïsme orthodoxe là-bas à partir de rien.
Alors que les autres communautés juives plus établies étaient réformistes, « le père et le grand-père de Lookstein ont créé un centre pour l’orthodoxie, une île, ici, à Manhattan », a expliqué Farber.
Avec environ 1 100 familles inscrites sur sa liste des membres, la congrégation Kehilath Jeshurun était un choix évident pour Nicole. Weinstock est connu pour son
« programme très développé pour débutants », comme le note le site Internet du conseil rabbinique américain pour le judaïsme orthodoxe.
La synagogue tient de nombreux offices de prière en même temps, pour correspondre aux niveaux variés des participants en hébreu et en connaissance des textes. Les Juifs qui veulent devenir plus observants ou se convertir apprennent les textes et la subtile chorégraphie de la prière orthodoxe.
Nicole explique qu’elle est lentement passée du minyan pour débutants à celui plus avancé, où elle est restée de nombreuses années à cause de son manque de maîtrise de l’hébreu. « Pour moi, c’était un service très intense », se souvient-elle.
Un réveil brutal
Nicole a rempli les critères pour la conversion en mai 2015, a été immergée dans le mikveh et a reçu un certificat attestant de sa conversion devant un beit din, un tribunal religieux orthodoxe.
« Ils m’ont demandé si j’avais déjà donné de l’argent à mon rabbin »
Mais, quand elle a présenté le certificat au rabbinat de Petah Tikva, elle a rencontré de la suspicion, raconte-t-elle.
« Ils m’ont demandée si mon rabbin était orthodoxe, j’ai répondu oui. ‘Mais est-il vraiment orthodoxe ?’, ont-ils répété. Ils ont dit, ‘Pourquoi n’êtes-vous pas allée à un beit din d’une université religieuse ?’. J’ai répondu, ‘C’est mon rabbin et il est orthodoxe, et il peut me convertir. Auprès de qui d’autre aurais-je dû aller ?’ », continue Nicole, pleine d’indignation à ce souvenir.
« Ils m’ont demandée si j’avais déjà donné de l’argent à mon rabbin. Je n’ai pas compris ce qu’ils me disaient. J’ai dit, ‘Non, pourquoi le ferais-je ?’. Ils ont dit, ‘Est-ce qu’il vous a demandé de l’argent pour vous convertir ?’. Je leur ai rétorqué que le seul argent que j’avais donné, c’était les 250 dollars pour l’immersion dans le mikveh. J’ai fait le chèque au mikveh, pas au rabbin », confie la jeune femme.
« Mon père, qui est Juif, et ma sœur, nous sommes très proches, ne peuvent pas croire ce que je suis en train de vivre. Ils se demandent, ‘Quoi ? Qui te dit que tu n’es pas juive ?’ », explique Nicole.
Le cas de Nicole est encore plus étrange du fait que le rabbin Itamar Tubul, chef du département du statut personnel au sein du grand rabbinat d’Israël, qui décide quels rabbins américains sont autorisés à prononcer des conversions, a écrit au rabbinat de Petah Tikva que le témoignage de Lookstein est casher. Sa lettre n’a pas été prise en compte, et c’est à la base de l’audience mercredi.
Selon les organisateurs de la manifestation de mercredi matin, qui coordonnent leurs efforts avec ITIM, c’est un comportement typique rencontré par les convertis étrangers.
« Les convertis de nombreuses communautés dans le monde entier sont désormais traités avec suspicion et sont dénigrés quand ils demandent que l’Etat d’Israël reconnaisse leurs conversions pour qu’ils puissent se marier ici. C’est en contradiction avec le commandement ‘Aimez les convertis’ », expliquent les organisateurs. En plus, ignorer Lookstein blesse l’unité du peuple juif, ajoutent-ils.
Lookstein était l’un des trois rabbins qui a été invité par le président américain Barack Obama à sa prière nationale pour le petit déjeuner d’inauguration du service traditionnel. Ardent sioniste, il a récemment reçu un doctorat honorifique de l’Université Bar-Ilan pour « le rôle influent qu’il a joué dans l’approfondissement des valeurs et du patrimoine juifs parmi la communauté juive américaine ».
Weinstock et Lookstein sont tous deux des membres en règle du mouvement orthodoxe RCA en pleine croissance. Ce dernier prend parfois des positions controversées, a reconnu Farber, comme lors de l’affaire du petit-déjeuner de prière d’Obama, qui était multi-confessionnel et a eu lieu dans une église.
La pratique orthodoxe de Lookstein est au-delà de l’examen, explique Farber, mais « il est clair qu’il pense que, parfois, vous devez enfreindre les règles là où il y a de grands enjeux ».
« Ce qui est arrivé à Nicole met en lumière le chaos qui caractérise la reconnaissance des Juifs de l’étranger et du rabbinat, et c’est une chose que nous ne pouvons pas laisser tranquillement passer »
Seth Farber
Et pour Farber et les militants concernés, il y a beaucoup en jeu avec le cas de Nicole.
« Ce qui est arrivé à Nicole met en lumière le chaos qui caractérise la reconnaissance des Juifs de l’étranger et du rabbinat, et c’est une chose que nous ne pouvons pas laisser tranquillement passer », explique Farber.
Cette injustice souvent négligée est ce qui pousse Nicole à raconter son histoire.
« Si nous pouvions changer le système ici, même un peu, pour qu’il soit meilleur pour ceux qui suivront, c’est la raison pour laquelle j’ai choisi de faire cela. Il pourrait y avoir un changement, même un changement moindre et ce serait déjà mieux », a déclaré Nicole.
L’ITIM de Farber a mis en avant une proposition visant à simplifier la reconnaissance du statut juif des immigrants.
« Nous pensons que tant que le rabbinat est au pouvoir, il ne devrait pas vérifier les rabbins eux-mêmes, mais faire confiance aux institutions telles que la RCA », a déclaré Farber, soulignant que plusieurs institutions devraient être appelées à fournir des listes de membres en règle.
Farber a ajouté qu’il devrait y avoir une confiance bien plus importante entre le rabbinat israélien et les communautés non-orthodoxes dans la diaspora.
« Les taux d’assimilation en Amérique sont si élevés et la désaffection est si grande. Si les gens viennent pour se convertir, même si le rabbinat ne les accepte pas comme entièrement Juifs, il devrait y avoir une reconnaissance de cela comme une étape importante pour rejoindre le peuple juif et ils devraient être traités d’une manière beaucoup plus respectueuse qu’aujourd’hui », affirme Farber.
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