Italie : Le délit d’apologie du fascisme confirmé, mais encore loin des tribunaux
La cour de cassation italienne estime que la manifestation fasciste du 7 janvier à Rome ainsi que le "salut romain" - bras tendu - sont punissables par la loi

Le « salut romain » constitue un délit d’apologie du fascisme, a statué la cour suprême italienne, mais la Constitution « ouverte » de la république rend les condamnations très hypothétiques en la matière.
La plus haute juridiction pénale du pays siégeait jeudi après un rassemblement le 7 janvier à Rome lors duquel des centaines de personnes avaient fait le salut fasciste devant l’ancien siège romain du Mouvement social italien (MSI), un parti formé par des partisans de Benito Mussolini (au pouvoir de 1922 à 1943) après la Seconde Guerre mondiale.
La Première ministre Giorgia Meloni, co-fondatice du parti post-fasciste Fratelli d’Italia, a été vertement critiquée par l’opposition pour avoir gardé le silence sur cette manifestation dont les images ont fait le tour du monde.
Toutes chambres réunies, la cour de cassation italienne – appelée aussi cour suprême – estime dans sa décision que la cérémonie d’appel, par laquelle les participants à une manifestation fasciste répondent « présents », ainsi que le « salut romain » – bras tendu – sont punissables par la loi.
⚠️ Hier à Rome plusieurs centaines de fascistes, bras tendu, se sont rassemblé en hommage à leurs anciens « camarades » qui avaient été combattu par des résistants communistes.
Renvoyons-les dans les poubelles de l’histoire ♻️????️ pic.twitter.com/9g8wmqspme
— Raphaël Arnault (@ArnaultRaphael) January 8, 2023
Ce sont des rituels « évocateurs de la gestuelle propre au parti fasciste dissout » après la Seconde Guerre mondiale et à ce titre ils tombent sous le coup de l’article 5 de la loi dite « Scelba » datant de 1952, ont dit ses juges.
Le délit n’est toutefois pas manifeste dans le cadre d’une commémoration et s’il n’est pas prouvé que les personnes qui l’exécutent ont pour dessein de ressusciter le parti fasciste.
« Il convient », pour sanctionner, ajoutent-ils, « de prendre en compte le danger concret de réorganisation du parti fasciste dissout », un obstacle quasi insurmontable selon les juristes interrogés par l’AFP.
Un autre texte peut toutefois être invoqué contre de telles manifestations publiques : la loi dite « Mancino » de 1993, qui sanctionne des actes de discrimination ou de violences à caractère racial. Mais là encore, ce sera à l’appréciation des tribunaux.
À l’appui de leurs conclusions, les juges suprêmes ont décidé un nouveau procès en appel pour huit militants qui avaient fait le salut fasciste lors d’une cérémonie commémorative en 2016, et qui avaient été condamnés en seconde instance.
Pour l’avocat de deux d’entre eux, la décision de la cour de cassation leur donne raison. « En Italie, on ne punit pas les opinions », s’est réjoui Domenico Di Tullio, cité par l’agence Ansa.
Le groupuscule néofasciste CasaPound a salué « une victoire » tandis que pour le président du Sénat Ignazio La Russa, amateur assumé de bustes de Mussolini, la décision de la cour suprême « se passe de commentaires ».

« Démocratie ouverte »
Le vice-président de l’Association nationale des partisans italiens (Anpi), Emilio Ricci, y voit à l’inverse une « clarification » à même de faire condamner les militants néo-fascistes.
Il appelle la justice à poursuivre les participants au rassemblement du 7 janvier, qui commémoraient alors le meurtre de deux adolescents membres de l’aile jeunesse du MSI, abattus le 7 janvier 1978, au cours des « Années de plomb ».
« Je souhaite que le parquet les mette en cause pour violation des lois Scelba et Mancino », a-t-il dit.
Dans les médias italiens et sur les réseaux sociaux ont émergé les mêmes divergences d’interprétation. Certains y voient un renforcement de l’arsenal législatif contre les résurgences fascistes, d’autres pensent qu’il sera tout aussi difficile qu’avant, voire davantage, de les réprimer.
Pour le constitutionnaliste Gaetano Azzariti, la cour de cassation a « confirmé les valeurs antifascistes » de la république italienne d’après-guerre.
Elle ancre aussi « le délit d’apologie du fascisme » tout en laissant les modalités d’application aux tribunaux. Une position d’équilibre en somme, selon lui.
Le professeur de droit constitutionnel Giulio Vigevani estime pour sa part qu’il restera toujours compliqué de poursuivre pour ces faits à partir des dispositions de la loi Scelba réprimant l’apologie du fascisme.
« Dans 99 % des cas, il ne sera pas possible de condamner sur le seul salut romain. La Constitution italienne défend une démocratie ouverte qui n’a pas peur de ses ennemis », rappelle-t-il.