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Jean-Marie Le Pen, une carrière politique marquée par son obsession pour les Juifs

Des chambres à gaz "point de détail de l'histoire", à "l'inégalité des races", en passant par l'Occupation allemande "pas particulièrement inhumaine", il n'a jamais exprimé aucun regret pour ses dérapages

Le président français, leader et fondateur du parti d'extrême droite français Front national (FN) Jean-Marie Le Pen s'exprime lors d'une conférence de presse au siège de son parti à Saint-Cloud, le 23 mars 2004. (Crédit : Daniel JANIN / AFP)
Le président français, leader et fondateur du parti d'extrême droite français Front national (FN) Jean-Marie Le Pen s'exprime lors d'une conférence de presse au siège de son parti à Saint-Cloud, le 23 mars 2004. (Crédit : Daniel JANIN / AFP)

Provocateur sulfureux obsédé par l’immigration et les juifs, patriarche contrarié par les siens, Jean-Marie Le Pen, décédé mardi à l’âge de 96 ans, a sorti l’extrême droite française de sa marginalité au cours d’une carrière politique qui a marqué la Ve République.

Le « Menhir » n’a jamais exprimé aucun regret pour ses dérapages, contrôlés ou non, répétés souvent, qui lui ont valu plusieurs condamnations en justice : des chambres à gaz « point de détail de l’histoire », à « l’inégalité des races » (1996), en passant par l’Occupation allemande « pas particulièrement inhumaine » (2005) ou l’agression physique d’une adversaire socialiste (1997). « Je vais te faire courir, moi, tu vas voir, rouquin… Pédé ! », s’en était-il encore pris à un militant hostile.

Dans un post sur X mardi soir, Yonathan Arfi, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), a déclaré que la mort de l’homme « ne doit pas marquer le début de sa réhabilitation ». « Condamné à plusieurs reprises par la justice, Jean-Marie Le Pen est le premier à avoir donné une caution politique à l’antisémitisme, au racisme et au négationnisme après la guerre », a-t-il dénoncé, avertissant aussi que « le combat contre ses idées ne s’éteint pas avec la disparition de l’homme qui les a portées ».

Éternel provocateur et défricheur des extrêmes droites européennes, Le Pen voulait-il cependant vraiment le pouvoir ? « On ne me l’a jamais apporté sur un plateau », se victimisait-il.

Mais « au fond de lui, il ne voulait pas gouverner », croit surtout savoir le journaliste Serge Moati qui a suivi « le diable de la République » pendant 25 ans au gré de documentaires et ouvrages.

« Avoir été considéré comme un réprouvé, un exclu, un antisystème, l’a en fait arrangé et lui a donné paradoxalement une popularité qui s’est traduite progressivement dans les urnes », décrypte le réalisateur.

« Un Front (national, ndlr) gentil, ça n’intéresse personne », résumait Le Pen, en ironisant : « avant le ‘détail’, 2,2 millions d’électeurs; après, 4,4 millions ».

Jean-Marie Le Pen, fondateur du Front national, lors d’un déjeuner à Marseille, le 5 septembre 2015. (Crédit : Boris Horvat/AFP)

« Fout-la-merde magnifique »

Le plus emblématique de ses succès restera inachevé. Le 21 avril 2002, à 73 ans et pour sa quatrième candidature à l’Élysée, il crée la surprise en se qualifiant pour le second tour de l’élection.

Le triomphe a son revers : pendant quinze jours, des millions de personnes défilent contre le racisme et son incarnation politique. Surtout, Jean-Marie Le Pen permet la réélection facile de son ennemi juré Jacques Chirac.

Reste qu’au fil de soixante ans de carrière et cinq présidentielles, Le Pen a réveillé une extrême droite française jusqu’alors disqualifiée par la Collaboration.

Né le 20 juin 1928, à La Trinité-sur-Mer (Morbihan), le Breton devient pupille de la Nation à 14 ans quand son père, patron pêcheur, meurt en mer en sautant sur une mine.

A Paris, l’étudiant en droit, fort en gueule et bagarreur, privilégie l’activisme aux études. Il en garde des amitiés bigarrées, du député italien radical Marco Pannella au cinéaste de la Nouvelle Vague Claude Chabrol, engagé à gauche, et qui verra dans le tribun un « fout-la-merde magnifique ».

Le Pen s’engage ensuite en Indochine, où il se lie avec une future légende du cinéma, Alain Delon. De retour à Paris, il devient en 1956, à 27 ans, benjamin de l’Assemblée nationale sur les listes poujadistes, dans une IVe République déclinante. Puis il repart, en Algérie cette fois, où il sera accusé de tortures – ce qu’il conteste.

Jean-Marie Le Pen, fondateur du parti d’extrême droite français du Front national, donne un discours à Paris le 17 février 1996 (Crédit : AFP/Pierre Boussel)

Anticommuniste viscéral, M. Le Pen dirige en 1965 la campagne présidentielle de l’avocat d’extrême droite Jean-Louis Tixier-Vignancour puis est désigné en 1972 à la tête d’un nouveau parti qui réunit des néofascistes: le Front national.

Le Pen, une marionnette d’Ordre nouveau, ce groupuscule qui cherchait une « façade » respectable en la personne de cet ancien parlementaire? Peut-être.

Le visage barré d’un bandeau après la perte d’un œil lors d’un accident domestique, il se montre stratège et finit par s’imposer comme leader de droit et de fait de cette machine électorale. Et lui choisit le même emblème que celui du MSI, le parti italien resté fidèle à Mussolini : une flamme tricolore.

Illustration : Jean-Marie Le Pen, fondateur du Front national, en conférence de presse, à Marignane, le 31 mai 2017. (Crédit : Franck Pennant/AFP)

« J’assume tout »

Premiers succès dès les municipales 1983, et un thème favori répété à l’envi: « Un million de chômeurs, c’est un million d’immigrés en trop ».

L’année suivante, il frôle les 11 % aux élections européennes – aidé, déplore la droite, par le président socialiste François Mitterrand qui lui a fait ouvrir grand les portes des studios de télévision lors de la campagne.

Les slogans s’enchaînent: « Les Français d’abord », puis « Le Pen, le peuple », lui qui est devenu millionnaire après avoir hérité en 1976, notamment d’un hôtel particulier dans le prolongement des beaux quartiers parisiens.

Mais à côté des splendeurs – 15 % aux présidentielles de 1988 et 1995 -, celui qui gère le FN comme « une boutique familiale » et sa famille comme une entreprise politique, doit essuyer les misères des divisions.

A la fin des années 80, son orgueil est mis à mal lorsque son épouse et mère de ses trois filles le quitte brutalement avant de poser nue dans le magazine Playboy – la France antilepéniste persifle.

Dix ans plus tard, alors que le dauphin Bruno Mégret tente en vain de prendre le parti, Le Pen renie en direct au 20H de TF1 la fille promise à l’héritage politique, Marie-Caroline. Sa faute ? Avoir suivi son mégretiste de mari.

C’est finalement la benjamine de la fratrie, Marine, qui est désignée pour reprendre le flambeau.

Ce fichier photo pris le 30 mars 2012 montre Marine Le Pen (d) embrassée par son père, président honoraire FN, Jean-Marie Le Pen (g) à la fin d’une réunion de campagne à Nice, dans le sud-est de la France. (Crédit : AFP PHOTO / BORIS HORVAT)

Devenue présidente du FN en 2011, Le Pen fille se veut loyale: « Je prends l’ensemble de l’histoire de mon parti et j’assume tout ».

« Durafour… crématoire »

Le passif est pourtant lourd, Le Pen père ayant notamment montré tout au long de sa carrière une obsession pour les juifs. En 1958, il avait pointé à l’endroit de l’ancien chef du gouvernement Pierre Mendès France « un certain nombre de répulsions patriotiques et presque physiques ».

Condamné à la fin des années 60 pour apologie de crime de guerre après avoir édité un disque de chants du IIIe Reich, c’est en 1987 qu’il compare pour la première fois la Shoah à « un détail de l’Histoire ». Un an plus tard, il ose un jeu de mot avec le nom du ministre Michel Durafour, « …crématoire! ».

« Un certain nombre de juifs considèrent qu’ils ont une immunité qui est liée à ce trait et que les autres leur doivent en quelque sorte une révérence, certains même une prosternation particulière », déplore-t-il en 1991.

Dans ses Mémoires, il enfonce : « L’antisémitisme garantit l’homogénéité du groupe juif, les sionistes le savent ».

Mais lorsqu’en 2015, Jean-Marie Le Pen promet une prochaine « fournée » à Patrick Bruel, Marine Le Pen estime que le « président d’honneur » du Front national va à l’encontre de la stratégie de dédiabolisation du parti.

Le fondateur du Front national (FN), Jean-Marie Le Pen, pose lors d’une séance photo le 2 février 2022 à son domicile de Rueil-Malmaison, à l’ouest de Paris. (Crédit : JOEL SAGET / AFP)

Car la « lepénisation des esprits » trouve ses limites: certes, le Menhir s’est imposé dans le paysage politique français et a ouvert la voie à l’essor de mouvements nationalistes et populistes en Europe. Mais ses outrances l’ont inexorablement marginalisé, empêchant toute alliance, tant dans l’Hexagone qu’au Parlement de Strasbourg.

La fille chérie exclut finalement son père du mouvement qu’il avait fondé quarante-trois ans plus tôt – aux côtés d’un ancien Waffen-SS, Pierre Bousquet – puis renomme le parti en Rassemblement national.

« Un suicide », commente Le Pen, en fustigeant les purges contre les éléments les plus radicaux du mouvement, lui qui avait théorisé le rassemblement de toutes les extrêmes droites, des catholiques traditionalistes aux néo-païens, nostalgiques de Vichy voire néo-nazis compris.

La guerre familiale, dûment mise en scène devant médias et tribunaux, s’estompe au fil des années. Même avec l’ex-femme, à nouveau logée dans l’ancienne demeure conjugale, ou Marion Maréchal, la petite-fille qui avait défié son autorité en refusant de concourir de nouveau aux législatives de 2017: toutes sont pardonnées.

« Vacarme continuel »

Depuis son bureau du manoir de Montretout ou, de plus en plus souvent, du domicile de sa nouvelle épouse, Jany, à Rueil-Malmaison, à l’ouest de Paris, Jean-Marie Le Pen recevait ces dernières années à tour de bras. Entre deux chansons fredonnées, il avait laissé entendre qu’il voterait pour Eric Zemmour à la présidentielle de 2022.

Un malaise cardiaque survenu un an plus tard l’avait contraint à renoncer aux mondanités. A partir de février 2024, ses trois filles Marie-Caroline, Yann et Marine avaient été désignées pour gérer ses affaires courantes, dans le cadre d’une protection juridique proche de la tutelle.

Marie-Caroline Le Pen, membre du Rassemblement national (RN), assiste à une conférence de presse pour sa campagne en tant que candidate aux prochaines élections législatives en France, au Mans, dans l’ouest de la France, le 18 juin 2024. (Crédit : GUILLAUME SOUVANT / AFP)

Alors que le RN triomphait aux élections européennes en juin de la même année, une providentielle dissolution laissait entrevoir la possibilité que sa fille Marine emmène l’extrême droite au pouvoir, un rêve auquel il s’était finalement mis à croire mais qui s’est encore fracassé sur un « front républicain ».

La défaite accompagnait un inexorable déclin de la santé du Menhir : « insuffisance cardiaque », « profonde détérioration de ses capacités physiques et psychologiques », avaient recensé des experts appelés à déterminer s’il pouvait comparaître au « maxi-procès » du Front national dans l’affaire des assistants des eurodéputés lepénistes.

« Aucune conscience du but, du sens et de la portée de cette audience », avaient encore conclu les médecins, laissant seuls Marine Le Pen et vingt-quatre autres figures du parti répondre d’un vaste système présumé de détournement de fonds européen au profit de la formation.

Pour ses obsèques, Jean-Marie Le Pen avait exigé « le concerto en ré majeur pour violon et orchestre de Beethoven ». A l’époque de sa première interprétation, il y a deux siècles, les critiques y avaient vu une œuvre manquant « de cohérence », « un amoncellement touffu et décousu d’idées » et « un vacarme continuel ».

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