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Analyse

Karim Khan, impartial ? Oui, mais des experts en Israël restent sur la défensive

Un nouveau procureur a été nommé à La Haye - et il est probable qu'il poursuive les enquêtes sur Israël et les Etats-Unis étudiées par Fatou Bensoua

Lazar Berman

Lazar Berman est le correspondant diplomatique du Times of Israël

Le nouveau procureur de la CPI, Karim Khan, à Bagdad, le 27 juillet 2019. (Sabah Arar/AFP)
Le nouveau procureur de la CPI, Karim Khan, à Bagdad, le 27 juillet 2019. (Sabah Arar/AFP)

Israël est potentiellement ciblé par une enquête internationale sur d’éventuels crimes de guerre commis à Gaza. Jérusalem porte toute son attention sur le nouveau procureur Karim Khan car il est probable qu’il change l’orientation de la Cour pénale internationale (CPI).

Bien qu’il ne soit pas certain qu’il décide véritablement de changer l’orientation de la Cour et qu’il est probable qu’il entame des enquêtes sur le comportement d’Israël dans la bande de Gaza, notamment dans ses guerres contre le groupe terroriste palestinien du Hamas, les Israéliens voient plutôt d’un bon œil sa nomination. De surcroît, il se félicite du départ de l’ancienne procureure en charge du dossier, Fatou Bensouda.

La parlementaire Michal Cotler-Wunsh (Kakhol lavan), chargée des questions liées à la CPI au sein de la Knesset, a déclaré récemment que la nomination de M. Khan « laisse entrevoir la possibilité pour la CPI de remplir son importante mission : défendre, promouvoir et protéger les droits de tous ceux qui en ont besoin comme tribunal de dernier recours ».

Dans sa déclaration, elle a particulièrement mis en avant le travail de Khan dans les enquêtes menées sur les crimes de guerre commis par l’État islamique en Irak. « Khan s’est montré pro-actif en faveur des droits de l’Homme, notamment pour la défense des victimes Yazidis en Irak, » a précisé Michal Cotler-Wunsh au Times of Israël.

La députée Michal Cotler-Wunsh (Kakhol lavan) lors d’une table ronde de la Knesset sur l’antisémitisme dans les médias sociaux, 14 octobre 2020. (Capture d’écran)

Khan, âgé de 50 ans, a une très longue carrière judiciaire. Il a participé à certaines des plus grandes enquêtes internationales pour crimes de guerre, soit du côté des victimes soit du côté des accusés. L’avocat britannique a conseillé des procureurs lors des procès liés à l’ex-Yougoslavie et au Rwanda. Il a également défendu des personnalités controversées à l’instar de Seif Al-Islam Kadhafi, fils du dictateur libyen, ou encore le président libérien Charles Taylor.

Khan a obtenu les voix de 123 Etats membres de la CPI, vendredi. Ce qui lui a offert la victoire face à l’autre prétendant irlandais, Fergal Gaynor. En juin 2021, il deviendra le troisième procureur général de l’histoire de la CPI, succédant à la Gambienne Fatou Bensouda.

Selon Emmanuel Navon, politologue franco-israélien et chercheur au sein de l’Institut pour la stratégie et la sécurité de Jérusalem, Khan ne fait pas de politique contrairement à Bensouda.

Certains observateurs avancent l’idée que Bensouda fut nommée sous la pression des États africains de la Cour, qui considéraient que la CPI ne se focalise que sur des affaires africaines au détriment d’autres régions.

Emmanuel Navon sur la chaine i24News. (Crédit : CC BY-SA 4.0)

L’accusation des États africains est toujours d’actualité. En 2015, malgré l’annonce publique de Bensouda précisant que des enquêtes internationales étaient en cours en Afghanistan, en Irak, en Colombie, en Palestine et en Ukraine, une part importante des États africains membres de la cour, ont continué à porter l’accusation selon laquelle la CPI ne viserait que l’Afrique.

Certains membres sont même allés jusqu’à accuser Bensouda de « politiser » les enquêtes de la CPI.

« Khan doit recrédibiliser la cour en la dépolitisant et en rappelant à ses États-membres que la CPI s’occupe uniquement de crimes de guerre, » affirme Navon.

Début février 2021, une chambre préliminaire de la CPI a indiqué que La Haye était compétente pour diriger des enquêtes sur d’éventuels crimes de guerres commis par Israël, à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Ces dernières découlant d’une enquête préliminaire de cinq ans, menée par Bensouda.

La Procureur de la CPI, Fatou Bensouda, à la Cour pénale internationale à La Haye, Pays-Bas, le 28 janvier 2016. (AP Photo/Peter Dejong)

En 2019, Bensouda déclara qu’un enquête criminelle serait menée (à condition qu’elle soit approuvée par la Cour) concernant le conflit Israël-Hamas de 2014 (opération « Bordure protectrice »). Elle indiqua également que cette dernière inclurait « la politique de colonisation » d’Israël en Cisjordanie et l’utilisation de la force à Gaza contre des manifestants civils. Or, elle déclara également qu’une telle enquête s’intéresserait aussi aux crimes de guerre commis par le Hamas contre des civils israéliens.

La CPI ne juge pas les pays. En revanche, elle juge les responsables (politiques, militaires etc.). Des officiels israéliens ont cependant déclaré vendredi qu’Israël n’avait pas à s’en faire et que les responsables politiques et militaires de l’époque n’avaient pas à s’inquiéter.

La délivrance de mandats d’arrêt contre de hauts responsables politiques ou militaires de l’époque n’est pas le scénario le plus probable. Or l’annonce de l’ouverture d’une enquête sur Israël, inquiète Jérusalem sur plusieurs points. D’une part cela risquerait de miner les pourparlers israélo-palestiniens en poussant Ramallah à obtenir des avantages (économiques et politiques) de la part d’instances internationales – ce qui ne facilitera pas les négociations de paix. D’autre part, cette enquête pourrait remettre en cause les accords d’Oslo qui interdisent aux Palestiniens de demander des réparations à l’Etat hébreu auprès de la CPI.

D’après Eiav Lieblich, spécialiste en droit international, « il n’y a aucune raison qui dissuaderait Khan de ne pas poursuivre cette enquête ». « Je n’arrive pas à voir sur quoi repose l’enthousiasme des représentants israéliens, » a-t-il déclaré au Times of Israël.

« Je ne pense pas qu’il va changer les directions prises par la CPI ces dernières années par rapport à Israël. Je ne pense pas que l’attention de la CPI, que ces affaires, vont disparaître », ajoute-t-il.

D’après Eli Bar-On, ancien avocat général de Tsahal de 2012 à 2015, le soutien que Khan a reçu de nombreuses organisations internationales, montre qu’il ne va pas laisser tomber.

« Ils ne le soutiendraient pas s’ils étaient sûr qu’il laisserait tomber l’affaire », a-t-il déclaré. « Je ne vois pas trop pourquoi beaucoup de gens en Israël, célèbrent sa nomination ». « Je ne vois pas pourquoi il n’ouvrirait pas d’enquête. Mais attendre l’émission de mandats d’arrêts internationaux est une toute autre histoire, » a-t-il ajouté.

Bar-On rappelle cependant que la CPI dispose de moyens très limités. Ceci pourrait conduire à ce qu’elle se concentre sur des faits mineurs.

La Cour pénale internationale, ou CPI, à La Haye, Pays-Bas, le 7 novembre 2019. (AP Photo/Peter Dejong)

« Il pourra tout à fait poursuivre et clôturer des enquêtes moins controversées, qui pour sûr aboutiront à des condamnations. Il pourra tout à fait poursuivre des affaires contre des pays qui sont des Etats-parties, sans soulever pour autant des questions de compétence », poursuit-il.

Quel que soit le chemin que Khan décide de prendre, les experts pensent qu’il fera un procureur très efficace.

Selon Bar-On, « Khan connait tous les dossiers. Il connait toutes les astuces des accusés et de leur défense ».

Les alliés d’Israël à la CPI (Allemagne, Canada, Australie) pourraient s’opposer à l’enquête du tribunal. Ils pourraient faire pression sur Khan, pour qu’il se concentre sur d’autres affaires.

Les Etats-Unis pourraient aussi éventuellement faire pression. Les Etats-Unis ont maintenu les sanctions prises par l’administration Trump contre Bensouda. Ils pourraient également travailler en coulisses afin d’inciter Khan à se concentrer sur des pays membres de la Cour qui n’ont pas de système juridique fiable. Permettant ainsi de relâcher l’attention du procureur sur les Etats-Unis et Israël.

« Les Etats-Unis sont les seuls qui peuvent faire pression efficacement sur la Cour, » indique Lieblich, rappelant que la CPI et les Etats-Unis s’opposent violemment sur les agissements américains en Afghanistan.

Les grandes puissances internationales (Etats-Unis, Russie, Chine, Inde et Turquie) ne sont d’ailleurs pas membres de la CPI.

Fergal Gaynor (Crédit : capture d’écran RTE Newz)

Anne Herzberg, conseillère juridique de l’ONG Monitor, considère que le choix de Khan acte un divorce entre la direction du tribunal et Bensouda. Pour Herzberg, Khan ne « se contentera pas de suivre au pied de la lettre les actions de l’ancienne procureure. Il va réévaluer son travail, relire attentivement ses enquêtes, consulter les décisions des tribunaux et faire les choix adéquats en fonction ».

Si Gaynor avait battu Khan, à l’issue du long processus électoral au sein de la Cour qui a crée moults divisions, tout porte à croire que l’avocat irlandais aurait poursuivi les enquêtes visant Israël et les Etats-Unis.

Gaynor a présenté un mémoire à la CPI sur les victimes palestiniennes, exhortant la Cour à enquêter sur les actions israéliennes en territoire palestinien. Il a également représenté les victimes afghanes devant la CPI, plaidant que la Cour possédait des compétences lui permettant d’enquêter puis de sanctionner les crimes de guerre présumés commis en Afghanistan par les Etats-Unis et d’autres Etats de la coalition.

Selon Herzberg, « Gaynor a de nombreux conflits d’intérêts dans deux affaires très polémiques à la CPI ».

En fait ce qui ravit Israël, c’est que Gaynor ait perdu face à Khan. Cependant, Khan a un avantage par rapport à son homologue irlandais qui pourrait lui servir dans d’éventuels enquêtes contre Israël : il n’a jamais été accusé de partialité ou autre, ce qui lui conférerait plus de légitimité auprès des tribunaux.

Israël ne peut actionner aucun levier qui lui permettrait de savoir ce que Khan compte faire dans les affaires où il est visé. Surtout en ce qui concerne les revendications palestiniennes contre Israël. De plus Khan n’a jamais travaillé, dans le passé, sur des affaires qui impliquaient l’Etat hébreu.

« Il faut toujours être prudent avec les procureurs de la CPI » averti Herzberg. « On ne sait pas ce qu’il peut faire et rien ne l’empêcherait d’agir de manière préjudiciable pour Israël ». »

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