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Interview

Kevliuk : les défenses anti-aériennes qu’Israël refuse de fournir seraient « idéales »

Selon le colonel ukrainien, les systèmes Frondes de David, Barak et Dôme de fer conviendraient parfaitement au réseau ukrainien, contre les armes iraniennes employées par la Russie

Lazar Berman est le correspondant diplomatique du Times of Israël

Un test du système de défense antimissile Fronde de David (Crédit : Ministère de la Défense)
Un test du système de défense antimissile Fronde de David (Crédit : Ministère de la Défense)

Alors que l’Ukraine a annoncé qu’elle comptait faire une demande d’aide officielle à Israël dans sa défense contre les missiles et les drones de Russie, un expert militaire ukrainien a expliqué comment certains systèmes israéliens s’intégreraient parfaitement dans le système de défense antiaérienne de Kiev.

Le colonel Viktor Kevliuk, qui a pris sa retraite en 2020 du QG opérationnel des forces conjointes de l’Ukraine et qui est aujourd’hui chercheur au Center for Defence Strategies de Kiev, a déclaré dimanche au Times of Israel que « les technologies développées par les entreprises israéliennes dans le domaine de la défense antiaérienne et antimissiles constituent certainement des solutions conceptuelles exceptionnelles. »

Israël exploite un dispositif de défense aérienne à plusieurs niveaux, composé du Dôme de fer pour les missiles à courte portée, de la Fronde de David pour ceux à moyenne portée et des systèmes Arrow et Patriot pour ceux à longue portée. Un système laser à courte portée devrait également être déployé dans un avenir proche.

Mardi, un jour après les attaques russes ciblant l’énergie et les infrastructures critiques en Ukraine à l’aide de drones kamikaze, des Shahed-136 de fabrication iranienne, le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, a déclaré que son pays envisageait de soumettre une demande officielle à Israël pour obtenir une assistance immédiate en matière de défense aérienne.

Israël a déjà rejeté à plusieurs reprises les demandes de Kiev concernant des armes défensives, en particulier les systèmes de défense antimissile qui pourraient être utilisés pour repousser les frappes aériennes russes, tout en exprimant sa sympathie pour la situation critique du pays.

Mercredi, le ministre de la Défense, Benny Gantz, a réaffirmé qu’Israël n’enverrait pas d’armes à l’Ukraine, mais a déclaré que Jérusalem pourrait fabriquer pour le pays en difficulté un système de détection précoce pour prévenir les civils de toute attaque imminente, comme celui utilisé en Israël.

L’Iran étant l’ennemi juré d’Israël, les responsables ukrainiens ont exprimé leur consternation devant le fait que la position d’Israël n’a pas changé alors même que les armes iraniennes occupent une place de plus en plus importante dans les combats. « L’Iran est notre ennemi commun », a déclaré l’ambassadeur d’Ukraine en Israël, Yevgen Korniychuk, au Times of Israel, « mais Israël ne coopère que de manière très limitée en matière de renseignement. »

L’agence Reuters a rapporté mardi que l’Iran aurait accepté de vendre à Moscou des missiles balistiques surface-surface de courte portée Fateh 110 et Zolfaghar.

Le colonel (retraité) Viktor Kevliuk (Crédit : Autorisation)

Selon Kevliuk, le système Fronde de David à portée moyenne « pourrait renforcer considérablement la défense antiaérienne et antimissile de l’Ukraine ».

Le système, conçu pour intercepter les roquettes et les missiles à une distance de 40 à 300 kilomètres, serait particulièrement efficace contre le missile balistique russe Iskander, a affirmé Kevliuk.

L’Ukraine compte actuellement sur le système NASAMS américano-norvégien pour améliorer ses défenses contre les Iskander et les missiles de croisière. Après les frappes massives de missiles russes la semaine dernière, les États-Unis ont annoncé qu’ils enverraient en urgence des batteries à l’Ukraine. L’Allemagne fournit également des batteries Iris-T montées sur véhicule.

Kevliuk a ajouté que le système israélo-indien Barak 8 pourrait renforcer les capacités de défense du littoral ukrainien, qui s’étend sur plus de 1 300 kilomètres.

La plupart des succès remportés par Moscou dans ce conflit l’ont été le long de la côte, où les forces russes ont capturé une bande de territoire s’étendant de la frontière près de Marioupol jusqu’à la banlieue de Mykolaiv. Les navires russes en mer Noire ont employé des missiles de croisière Kalibr lors d’attaques contre le port d’Odessa ainsi que lors de la frappe de Vinnytsia en juillet qui a coûté la vie à plus de 20 civils.

Le Barak-8, également connu sous le nom de missile sol-air à longue portée (LRSAM), possède une version maritime utilisée par les navires de guerre israéliens Saar-6 Corvette et par la marine indienne. Il peut se défendre contre toute une série de menaces, notamment les missiles balistiques, les missiles de croisière et les avions ennemis.

Korniychuk a également évoqué le Barak-8 comme une solution de moyenne portée souhaitable.

Une capture d’écran d’un drone de combat iranien Shahed-129. (Crédit : YouTube/Future technologie militaire)

Les systèmes laser de défense israéliens, actuellement en cours de développement, ne seraient que partiellement appropriés en Ukraine en raison des conditions météorologiques, a déclaré Kevliuk.

« Chaque année, on compte 15 à 30 jours de brouillard – jusqu’à 130 jours par an dans les montagnes – et seulement 217 jours de soleil, de sorte que les systèmes laser constitueraient un moyen secondaire pour épauler le dispositif antimissile principal », a-t-il déclaré.

L’inconvénient d’un système laser est qu’il ne fonctionne pas bien en cas de faible visibilité, notamment en cas d’épaisse couche de nuages ou d’autres conditions météorologiques défavorables.

Cela fait plusieurs années que le ministère de la Défense procède à des tests du système de défense laser, qui a abattu des drones, des roquettes non guidées et des missiles guidés antichars lors d’une série de tests effectués en mars.

Le département de recherche et développement du ministère prévoyait initialement de déployer le système antimissile d’ici 2024, mais l’armée a fait pression pour un déploiement plus rapide. Le Premier ministre de l’époque, Naftali Bennett, avait annoncé en février qu’Israël déploierait le système dans l’année.

Le ministre de la Défense Benny Gantz, à droite, présente au président américain Joe Biden l’aile d’un drone intercepté par le système de défense laser Iron Beam, sous le regard du Premier ministre Yair Lapid (L) à l’aéroport Ben Gurion, le 13 juillet 2022. (Crédit : Ariel Hermoni/Ministère de la Défense)

Cependant, en mars, le ministre de la Défense Benny Gantz a déclaré : « Cela prendra du temps, ce n’est pas un processus court, mais nous le ferons dans le plus court délai possible ».

Le système laser terrestre – baptisé Iron Beam – qui est en cours de développement avec le fabricant d’armes Rafael, n’est pas destiné à remplacer le Dôme de fer ou les autres systèmes de défense aérienne d’Israël, mais à les compléter, en abattant les petits projectiles et en laissant les plus gros pour les batteries de missiles plus robustes.

Uzi Rubin, ancien chef de l’Organisation de défense antimissile du ministère de la Défense et membre du Jerusalem Institute for Strategy and Security, doute qu’il soit prêt de sitôt. « Il existe au total un prototype qui a été testé dans le Neguev, mais il n’a jamais réellement intercepté quoi que ce soit. Et il n’y en a qu’un, et il faudra des années avant d’en avoir d’autres ».

Le Dôme de fer

Les responsables ukrainiens ont demandé le système à courte portée Dôme de fer dès le début de l’invasion.

À la deuxième semaine de la guerre, le gouverneur de l’oblast de Lviv, Maksym Kozytskyy, avait déclaré au Times of Israel que l’Ukraine était particulièrement intéressée par des systèmes de défense aérienne comme le Dôme de fer.

« Si nous avions disposé des mêmes capacités qu’Israël, c’est-à-dire de ces systèmes de défense aérienne, nous aurions remporté la victoire dans les airs », a-t-il déclaré.

En mars également, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a évoqué le Dôme de Fer lors d’un discours à la Knesset.

Le mois dernier encore, Zelensky s’était plaint, lors d’une interview accordée à la chaîne française TV5Monde, qu’Israël n’avait « rien » donné à son pays pour l’aider à se défendre, indiquant que les dirigeants israéliens avaient été malhonnêtes en rejetant ses demandes de systèmes de défense aérienne.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky, au centre, réagit après sa conférence de presse à Kiev, en Ukraine, le vendredi 9 septembre 2022. (Crédit : Efrem Lukatsky/AP)

« Israël ne nous a rien donné. Rien, zéro », a déclaré Zelensky. « Je comprends qu’ils sont dans une situation difficile avec la Syrie, avec la Russie ».

Zelensky, qui a dit avoir parlé à Lapid et à son prédécesseur Bennett au sujet de livraisons de défense aérienne, a indiqué qu’on lui avait dit que la raison du refus était qu’Israël avait besoin des batteries pour sa propre protection.

« Je comprends qu’ils aient besoin de défendre leur territoire, mais par la suite, mes services de renseignement m’ont informé qu’Israël fournit [les dispositifs de défense aérienne] à d’autres pays. Ils peuvent vendre, ils peuvent exporter, c’est pour cette raison que je suis choqué. »

Le Dôme de fer est particulièrement intéressant pour l’Ukraine en raison des capacités anti-drones de plus en plus perfectionnées du système. Depuis 2021, il a prouvé à plusieurs reprises sa capacité à détruire des drones du Hamas pendant les combats.

« Aujourd’hui, il peut intercepter des drones », a déclaré Rubin. « S’il peut intercepter ce que les Iraniens ont envoyé là-bas, je ne sais pas ».

En mars 2021, le ministère de la Défense et Rafael ont effectué une série de tests au cours desquels le Dôme de fer a réussi à intercepter simultanément quatre drones présentant des dimensions similaires à celles des drones iraniens.

Ce système peut également assurer la défense des villes et des installations militaires contre les roquettes à courte portée. Kiev n’est qu’à 150 kilomètres de la Biélorussie, qui est l’alliée de la Russie, et Kharkiv n’est qu’à 40 kilomètres de la frontière russe, ce qui est tout à fait dans le champ d’action du Dôme de Fer.

Le système à courte portée présente toutefois de nombreux inconvénients. Chaque batterie couvre une zone de 150 kilomètres carrés, et Kiev à elle seule s’étend sur 840 kilomètres carrés. Le coût pour couvrir les grandes villes ukrainiennes, qui nécessiteraient entre 18 à 20 batteries chacune serait prohibitif.

Kevliuk n’est pas non plus convaincu que le Dôme de Fer puisse faire face à la gamme de missiles de croisière, de drones et d’avions que la Russie utilise contre l’Ukraine.

« Les capacités des organisations terroristes sont incomparables à celles d’un État terroriste », a déclaré l’ancien colonel.

Michael Kurilla, chef du Commandement du centre des États-Unis (à droite) rencontre le chef adjoint de Tsahal, Herzi Halevi, à côté d’un système de défense antiaérienne Dôme de Fer, le 17 juillet 2022. (Crédit : Armée israélienne)

Qui plus est, très peu de batteries Dôme de fer sont opérationnelles. « Je ne pense pas qu’Israël soit capable aujourd’hui d’envoyer des Dôme de fer à qui que ce soit. Nous en avons besoin pour nous-mêmes », a déclaré Rubin.

Israël a vendu des composants du système à plusieurs pays, y compris deux batteries aux États-Unis, à titre de capacité provisoire de missiles anti-crises, en attendant de développer un système national.

Le système israélien SPYDER à courte et moyenne portée pourrait être un candidat plus probable pour l’Ukraine d’un point de vue logistique. Il a été utilisé au combat par l’Inde et probablement par la Géorgie, et a été vendu par Israël à des pays dans le monde entier, dont la République tchèque, un pays membre de l’OTAN.

Armer l’Ukraine nécessiterait toutefois une décision politique, décision qui a peu de chances d’être prise.

Israël redouterait de voir sa technologie militaire classifiée tomber entre les mains de l’ennemi. La coopération militaire entre la Russie et l’Iran s’étant renforcée au cours de la guerre, il est tout à fait concevable que les services de renseignement russes investissent des efforts considérables pour voler des secrets ou capturer une batterie.

Une vidéo de Rafael montre son système SPYDER en action. (Crédit : Capture d’écran de la vidéo ; utilisée conformément à la clause 27a de la loi sur les droits d’auteur)

Mais d’après Kevliuk, le contre-espionnage militaire ukrainien est conçu sur le système soviétique rigide et fiable, ce qui laisse moins de possibilités à la Russie de pouvoir se procurer des agents dans l’armée ukrainienne, car la génération qui a servi dans l’Armée rouge prend sa retraite et les officiers qui combattent les Russes depuis 2014 assument des fonctions de commandement.

Les jeunes officiers de Kiev spécialisés dans le contre-espionnage ont également acquis une expérience significative au cours des huit années de combat contre la Russie. « Les bébés tigres ont fait pousser non seulement des rayures sur leur pelage, mais aussi des crocs acérés », a-t-il déclaré.

Même si le gouvernement israélien se décidait à modifier radicalement sa politique envers l’Ukraine, il aurait bien du mal à y envoyer quoi que ce soit sans compromettre sa propre sécurité.

« Nous avons une épée à la gorge », a déclaré Rubin. « Je ne pense pas que quiconque va lâcher des dispositifs de défense. »

« Si quelqu’un passait une commande, nous la fabriquerions. Mais cela prendrait des années. »

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