La colère contre Netanyahu monte encore d’un cran après le renvoi de Gallant
Le ministre de la Défense a été renvoyé après avoir averti que la refonte judiciaire menaçait la sécurité. Pour un nombre croissant d'Israéliens, c'est Netanyahu la menace
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
Il est deux heures du matin et après avoir passé plusieurs heures à scander des slogans et à défiler dans les rues de Jérusalem, des centaines d’Israéliens, des jeunes en majorité, se sont assis autour d’un feu – avec la Knesset d’un côté et le bureau du Premier ministre de l’autre.
Benjamin Netanyahu serait, dit-on, enfermé dans son bureau, ayant consacré une grande partie de la soirée à des consultations « sécuritaires et juridiques » avec des ministres et avec des conseillers de premier plan, notamment avec le ministre de la Justice Yariv Levin. Il entend probablement les appels à la démission qui lui sont directement adressés depuis l’extérieur et il entend peut-être même les chants railleurs des plus jeunes qui lui affirment qu’il a cherché à jouer « avec la mauvaise génération ».
Cinq heures auparavant, le Premier ministre avait annoncé qu’il avait limogé de son poste Yoav Gallant, le ministre de la Défense qui lui avait confié, en privé, que la législation visant à détruire l’indépendance du système judiciaire et à affaiblir les pouvoirs de ce dernier commençait à faire planer une menace directe sur la sécurité du pays. Avec un nombre croissant de réservistes qui ont averti qu’ils ne serviraient pas dans l’armée d’un Israël dépourvu de son caractère démocratique, avec une opposition au coup de force mené par Netanyahu qui commence à se propager chez les soldats de carrière de manière plus générale, Gallant avait vivement recommandé au Premier ministre, jeudi, de geler les projets de loi et de convoquer le cabinet de sécurité, déterminant dans la prise de décision.
Le Premier ministre n’a finalement rien fait. Ainsi, samedi soir, Gallant a choisi de révéler ses inquiétudes au grand public, disant à la nation au cours d’un discours retransmis à la télévision que « les clivages croissants dans notre société pénètrent dans l’armée et dans les agences de sécurité. Ce qui pose un danger clair, immédiat et tangible pour la sécurité de l’État ».
Plutôt que de prêter attention à la mise en garde de Gallant, Netanyahu a fait le choix de doubler la mise – comme il l’a fait encore et encore dans un contexte de mouvement de protestation national croissant et face aux prédictions les plus sombres du président, des économistes, des directeurs de banque, des universitaires, du secteur technologique, des alliés internationaux d’Israël et de presque tous les anciens chefs de l’armée, du Shin Bet et du Mossad, qui ont – tous – estimé que le pays allait à la catastrophe.
En renvoyant Gallant, Netanyahu a apparemment cru qu’il étoufferait toute rébellion potentielle au sein de son parti du Likud, facilitant ainsi l’adoption finale de sa réforme radicale du système de gouvernance israélien. Le premier projet de loi déterminant – qui accorde le contrôle presque total de la nomination des juges en Israël à la coalition – était préparé par la Commission de la Constitution en vue de ses dernières lectures à la Knesset alors même que le Premier ministre annonçait le limogeage de son ministre de la Défense.
Toutefois, ce faisant, Netanyahu n’a pas calmé les dissensions : bien au contraire. Alors que l’information portant sur le renvoi de Gallant – ministre de la Défense saqué pour avoir commis le crime d’avoir fait son travail et d’avoir activé le signal d’alarme lorsqu’il a reconnu qu’une menace tangible planait sur la sécurité de l’État – était rendue publique, les Israéliens, de Kiryat Shmona dans le nord à Eilat dans le sud, sont descendus dans les rues, laissant éclater leur colère.
Et contrairement aux douze semaines de rassemblements et de manifestations qui se sont écoulées depuis que Levin a présenté pour la première fois le plan « de réforme » du système judiciaire avancé par la coalition de la droite dure, ces mouvements de protestation ont été spontanés – une riposte nationale instinctive à un Premier ministre qui, pour un grand nombre, a fait la démonstration au-delà de toute mesure que le bien-être du pays était moins important que ses propres intérêts politiques et personnels.
Faisant brûler des pneus sur l’autoroute Ayalon de Tel Aviv, se regroupant autour de la résidence privée de Netanyahu qui se trouve au centre de Jérusalem, les manifestants n’ont pas appelé, cette nuit, au retrait de l’enveloppe de réformes révolutionnaires du système de la justice en Israël, ils ont appelé au retrait de Netanyahu.
Comme l’a dit Ehud Barak, ancien Premier ministre et l’un des ministres les plus critiques de son successeur, à un journaliste qui l’interviewait pour une chaîne de télévision, « mettre la refonte judiciaire en pause n’arrêtera pas les manifestations. Nous avons franchi le point de non-retour ».
Netanyahu a toujours été un politicien cynique qui s’est complu à créer et à exploiter les clivages, mais sa mise en place de la coalition la plus extrémiste de toute l’Histoire israélienne à l’issue de sa victoire aux élections du 1er novembre – une coalition composée par son parti du Likud, de plus en plus nationaliste, par deux formations ultra-orthodoxes et par trois factions suprématistes juives – a profondément éloigné la moitié de l’électorat qui avait voté pour l’opposition. Il avait ensuite nommé les leaders de ces partis à des postes de premier plan du gouvernement et donné carte blanche à Levin pour son projet de réforme judiciaire.
Le chef de gouvernement est depuis entré en guerre contre la procureure-générale ; il a fait approuver une loi pour tenter d’échapper à un accord sur les conflits d’intérêts qui devait interdire qu’il intervienne dans l’adoption de législations susceptibles d’affecter son procès pour corruption et il fait actuellement avancer à la Knesset un texte qui l’autoriserait à financer ses frais judiciaires à l’aide de dons manquant singulièrement de transparence. Levin, pour sa part, avait annoncé, la semaine dernière, que si la Haute-cour devait essayer d’invalider la législation avec laquelle la coalition a l’intention de la mettre aux fers, le jugement rendu serait simplement ignoré : « Nous ne l’accepterons certainement pas », avait-il dit.
Mais le renvoi de Gallant – décidé pendant la période sensible du ramadan, alors que les menaces terroristes sont très élevées, que le Hezbollah observe de très près le déroulement des événements depuis la frontière nord et que l’Iran se rapproche dangereusement de la bombe – a fait encore monter d’un cran le niveau des manifestations, dimanche soir, de manière à la fois spontanée et passionnée.
« Ceux qui ont risqué leur vie à de nombreuses reprises et qui ont perdu des collègues au service d’une démocratie ne sont pas prêts à le faire au service d’une dictature ou d’un dictateur », a dit Barak.
Sending love to friends, family and colleagues in Israel this evening. Israeli democracy will prevail ❤️????????pic.twitter.com/klZwG9FxFX
— Yiftah Curiel (@yiftahc) March 26, 2023
Un peu après trois heures du matin, lundi, la patience des unités de police déployées sur l’autoroute Ayalon est arrivée à bout et les agents ont avancé vers les quelques milliers de manifestants qui bloquaient encore la route, utilisant la force pour les disperser – éteignant, pour le moment, les espoirs de ceux qui voulaient transformer le secteur en sorte de nouvelle place Tahrir israélienne, en un centre de résistance jusqu’au départ de Netanyahu.
Israeli police clash with protesters as they attempt to clear the Ayalon Highway in Tel Aviv. pic.twitter.com/PFXR31B7xF
— BBlues100???????????????????????????????????? (@BBlues100) March 27, 2023
Pendant ce temps, à Jérusalem, Netanyahu devait encore répondre aux manifestations. Quelques-uns de ses ministres avaient appelé à faire une pause temporaire dans la réforme judiciaire ; Levin, de son côté, avait menacé de démissionner si une telle décision devait être prise. Cela faisait déjà longtemps que les membres de la Commission de la Constitution, à la Knesset, étaient rentrés chez eux mais la prochaine session était prévue dès mardi à huit heures du matin.
Également prévues, de nouvelles manifestations – notamment un rassemblement devant la Knesset dans l’après-midi de lundi.
Les agissements du gouvernement de Netanyahu, au cours de ces trois derniers mois, ont mis à nu la vulnérabilité de notre démocratie – sans constitution, sans droits fondamentaux gravés dans le marbre de la loi, avec un gouvernement de coalition déterminer à neutraliser le seul frein susceptible de limiter ses excès et avec un Premier ministre indifférent face à la colère, à la division croissante et aux blessures sociétales causées par sa faute et par celles de ses alliés.
Malgré toutes les informations qui ont fait état, ces dernières semaines, d’Israéliens désabusés et cherchant à abandonner un pays dans lequel ils ont de plus en plus de mal à se reconnaître, le mouvement de protestation spontané de dimanche a fait la démonstration de citoyens dynamisés et déterminés à défendre leurs droits et leurs libertés.
Pour tous ceux qui étaient dans les rues – et pour de nombreux autres qui ne s’y trouvaient pas – c’est Netanyahu lui-même qui est « la menace claire, immédiate et tangible » pour la nation. Et il y aura d’autre nuits comme celle-ci, il n’y aura aucune perspective de guérison des clivages dans le pays tant que le Premier ministre dûment élu restera à sa fonction en abusant de son pouvoir.
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