La dernière fiction de Dara Horn sur Pessah veut que les gens aiment les Juifs vivants
L'autrice du best-seller « People Love Dead Jews » emmène les lecteurs aux tables de seder de juifs emblématiques de l'histoire — comme celle de Sigmund Freud

JTA – « Tous mes livres sont le même livre », affirme Dara Horn, qui a écrit sept romans et un recueil d’essais, « People Love Dead Jews », sorti en 2021, peut-être le livre juif le plus discuté de ces dernières années.
Le sujet de l’ouvrage, dit-elle, c’est le temps — la manière dont les Juifs le marquent, la manière dont ils le préservent, la manière dont ils comprennent un moment une fois ce dernier passé. Son premier livre, « A World to Come », paru en 2006, oscillait entre le New Jersey d’aujourd’hui et la Russie des années 1920. Son roman « Eternal Life », paru en 2018, racontait l’histoire d’une femme immortelle, née à Jérusalem, qui connaissait d’innombrables vies sur une période de 2 000 ans.
Le titre de son roman sur la guerre civile écrit en 2009, « All Other
Nights », était tiré de la Haggadah de Pessah. Un livre qui, selon elle, était consacré à « l’effondrement du temps », cet effondrement qui s’exprime dans une injonction : « À chaque génération, chacun est tenu de se considérer comme étant soi-même sorti d’Égypte ».
C’est un verset qui prend également tout son sens dans son dernier livre, le roman graphique « One Little Goat : A Passover Catastrophe ». L’ouvrage est destiné aux élèves de l’enseignement primaire. Dans ce livre, un jeune garçon s’échappe d’un seder familial apparemment interminable en compagnie d’une chèvre parlante, qui le ramène à travers un « trou dans l’espace-temps interdimensionnel » aux tables de seder de personnalités juives emblématiques de l’Histoire, dont Sigmund Freud, la philanthrope du 16e siècle Doña Gracia Nasi et le duo talmudique connu sous le nom de Rav et Shmuel.
Cet ouvrage est une leçon d’Histoire — et une leçon sur l’Histoire.
« Le seder, ce n’est pas seulement l’Exode d’Égypte. C’est aussi la commémoration de la commémoration de la commémoration », dit Horn, qui souligne que la Haggadah traditionnelle elle-même contient les descriptions d’au moins deux seders antérieurs, le tout premier en Égypte et un second qui s’était tenu en Terre d’Israël après la destruction du second Temple. Citant feu l’historien américain Yosef Hayim Yerushalmi, Horn déclare que la culture juive fait une distinction entre l’Histoire et la mémoire, et que les Juifs s’intéressent davantage à la mémoire : ils investissent un événement historique en lui prêtant une signification éternelle et héréditaire.
« Quand je dis que j’écris sur le temps, ce que je veux dire en particulier, c’est : comment vivons-nous en tant que mortels dans un monde qui nous dépasse ?… C’est la question centrale que j’explore en tant qu’écrivaine. »

L’Histoire et la mémoire étaient au cœur de « People Love Dead Jews » — un livre dans lequel Dara Horn affirmait que, dans sa fascination à l’égard des souffrances et de la mort du peuple juif, le monde négligeait ou dévalorisait la façon dont ils vivaient et dont il vivent. Même les initiatives les mieux intentionnées — comme l’enseignement de la Shoah ou les monuments commémoratifs du génocide — ignorent les strates de l’Histoire et la complexité juives, faisant des Juifs des abstractions commodes pour les antisémites et les théoriciens du complot, note-t-elle.
Le débat entraîné par le livre — Elle plaisante en disant que « People Love Dead Jews » a changé toute sa vie — a fait de cette romancière également spécialiste de l’hébreu et du yiddish une experte incontournable de la récente recrudescence de l’antisémitisme. Ancienne élève de Harvard, elle a accordé une interview à une commission du Congrès en tant que membre du groupe consultatif sur la haine antijuive au sein de Harvard, un groupe qui avait été créé à la suite du pogrom commis par le Hamas dans le sud d’Israël, le 7 octobre 2023. Ces derniers mois, elle a lancé une association à but non lucratif, Mosaic Persuasion, qui vise à compléter les cours sur la Shoah et l’Histoire des religions dans les classes des écoles primaires et secondaires en proposant des programmes consacrés aux fondements de la civilisation juive et aux causes de l’antisémitisme.
« Il y a 29 États dans ce pays où la loi oblige les élèves à apprendre que les Juifs sont des personnes qui ont été assassinées », explique-t-elle, évoquant les obligations en matière d’enseignement sur la Shoah. « Il n’y a pas un seul État dans ce pays où l’on est obligé d’apprendre, par exemple, les réponses aux questions suivantes : Qui sont les Juifs ? Qu’est-ce qu’Israël ? Qu’est-ce qu’ils ont à voir avec le Moyen-Orient ? Nous avons sous-traité cela à TikTok ».
« One Little Goat » semble s’inscrire dans le prolongement de ce projet : aider les collégiens à comprendre que l’histoire de leur propre famille est une accumulation de vies et d’expériences juives qui remontent dans le temps et qui sont marquées chaque année à la table du seder.
L’histoire a été inspirée par deux seders auxquels Horn, qui a grandi et qui vit toujours à Short Hills, dans le New Jersey, a assisté pendant son enfance. Lors du premier, organisé par ses parents, Horn et ses trois frères et sœurs interprétaient des chansons et des sketchs en s’inspirant de la culture pop. Le second, qu’elle décrit comme un « grand rassemblement multigénérationnel », comprenait des survivants de la Shoah, dont certains avaient participé au soulèvement du ghetto de Varsovie lors de Pessah, en 1943, et d’anciens « refuzniks » soviétiques actifs dans le mouvement « Juifs soviétiques libres ».
Bien que frustrée par le fait que les enfants n’aient joué qu’un rôle secondaire dans le second seder, elle en a tiré une sorte de vision. « J’ai eu l’impression que la pièce dans laquelle je me trouvais était une boîte lumineuse posée sur une pile d’autres boîtes lumineuses qui représentaient autant d’autres seders, y compris les seders auxquels les personnes assises à cette table avaient participé dans le passé », raconte-t-elle.
L’idée du livre a germé pendant des années avant qu’elle ne contacte l’auteur de romans graphiques et illustrateur Theo Ellsworth – l’un des préférés de ses enfants. Elle lui a proposé une collaboration. Ellsworth, qui n’est pas juif, a semblé comprendre cette démarche : S’il ne connaissait pas l’histoire de Pessah, il a immédiatement réalisé le potentiel du récit en tant qu’aventure pour les enfants. Horn dit que son livre est un « portail » – comme peuvent l’être la série Harry Potter ou les contes de Narnia de C.S. Lewis, dans lesquels les enfants se glissent dans un monde fantastique, situé au-delà.
« Cette histoire a une grande résonance pour les enfants parce que leur vie est un microcosme et qu’elle est entièrement gérée par les adultes qui les entourent », explique Horn. « C’est pour cette raison que les enfants recherchent ce point d’accès à une vie plus grande que la leur. »
Horn indique que l’art d’Ellsworth — ses dessins sont en noir et blanc, avec beaucoup d’encre, avec une sensibilité de bande dessinée underground — l’a attirée parce qu’il n’est pas « mignon, câlin ». Ce qui soulève une question : Quand les enfants sont-ils prêts à découvrir l’Histoire juive, une Histoire faite de persécutions et de massacres ?

Une réponse est fournie pendant le seder lui-même, qui se termine souvent par la chanson traditionnelle « Chad Gadya », ou « une petite chèvre » en araméen. Il s’agit d’une chanson qui raconte l’histoire d’un chevreau mangé par un chat, tué par un chien, battu à l’aide d’un bâton – avec en point culminant l’ange de la mort, tué par Dieu. Selon une interprétation, la chèvre représente le peuple juif et le point culminant de la chanson signale la rédemption. Il s’agit d’une thématique sombre introduite clandestinement dans une chanson pour enfants optimiste, quoique macabre.
Créer de la lumière pour éclairer les thématiques les plus sombres du seder est une tradition à part entière de Pessah – et Horn l’a bien compris.
« Lorsque les enfants sont en âge d’apprécier [la noirceur], ils s’approprient l’Histoire. Ils sont des personnages de l’Histoire, ils savent qu’il s’agit d’une histoire qui nous concerne tous », dit Horn.
Horn embrasse cette noirceur dans son livre, qui comprend une ou deux apparitions de l’ange de la mort. Horn rappelle que le seder de la Torah est décrit comme la Nuit de veille. Il se déroule avant la véritable fuite d’Égypte, les Juifs attablés ne sachant pas s’ils vont survivre.
« Je ne peux plus regarder cette scène, ce premier seder, sans penser à un mamad, aux abris anti-bombes et aux chambres sécurisées où les Israéliens se cachaient le 7 octobre, et où tout le monde se rend lors des attaques de missiles, où l’on se cache avec sa famille pour essayer d’attendre l’ange de la mort », s’exclame-t-elle, faisant référence au massacre perpétré par le Hamas, qui a vu plus de 1 200 personnes massacrées dans le sud d’Israël et 251 autres enlevées et prises en otage dans la bande de Gaza. « C’est ce que j’avais en tête lorsque nous avons terminé le livre. »
Les seders de Horn sont loin d’être de sinistres affaires. Elle, son mari et ses quatre enfants organisent des extravagances, avec une sorte de fête foraine dans le sous-sol, des lumières laser et des machines à brouillard pour simuler la séparation de la mer Rouge, avec des parodies de films et d’émissions télévisées faites maison.
Pour Horn, Pessah est l’Histoire de la vie des Juifs et de leur survie. L’Histoire des persécutions ne peut être évitée, mais elle ne constitue qu’une partie du récit.
Avant « People Love Dead Jews », explique Horn, elle parlait de ses romans dans les librairies et elle posait deux questions à son auditoire : « Combien de personnes peuvent citer ici quatre camps de concentration ? Et combien de personnes peuvent citer ici quatre écrivains yiddish ? »
La plupart pouvaient répondre à la première question, mais peu à la seconde.
« Je répondais : ’85 % des [Juifs] tués dans ces camps de concentration parlaient yiddish. Il s’agit d’une culture très littéraire. Pourquoi vous préoccupez-vous tant de la façon dont ces gens sont morts alors que vous ne vous préoccupez pas de la façon dont ils ont vécu ?’, » se souvient-elle.
« Ce que je trouve vraiment important dans l’Histoire juive, ce n’est pas cette litanie d’horreurs — je ne pense pas qu’on puisse éviter d’en parler — mais le fait que l’Histoire de la vie juive est celle d’une étonnante résilience créative. »
« One Little Goat : A Passover Catastrophe » par Dara Horn
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