La « Grande révolution » de Deri continuera – de manière tragique
Le chef du Shas a promis de continuer à défendre les plus pauvres, mais lui et ses collègues haredim font le contraire - avec de lourdes conséquences et Netanyahu le sait bien
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
![Le chef du Shas, Aryeh Deri, aux abords de son domicile de Jérusalem, le 18 janvier 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90) Le chef du Shas, Aryeh Deri, aux abords de son domicile de Jérusalem, le 18 janvier 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)](https://static-cdn.toi-media.com/fr/uploads/2023/01/F230118YS149-e1674123678970-1024x640.jpg)
De manière complètement éhontée, Aryeh Deri, condamné pour corruption et pour fraude fiscale, a choisi de répondre au jugement rendu par la Haute cour – qui a estimé que son retour à la tête d’un ministère était « déraisonnable à l’extrême » – en affirmant que cette décision était une attaque menée contre « la grande révolution » prônée par son parti du Shas, une attaque aux motivations malhonnêtes. Il a aussi promis qu’il se soustraira aux tentatives livrées par le tribunal de protéger Israël et ses coffres de ses services et qu’il est prêt à utiliser, pour ce faire, tous les moyens possibles.
Quelques heures après le jugement qui affirmait, mercredi, qu’il devait immédiatement démissionner ou être renvoyé, et après avoir accueilli Benjamin Netanyahu chez lui lors d’une démonstration de solidarité stratégique qui aura également transmis un message de défiance aux mêmes magistrats que le Premier ministre est bien déterminé à neutraliser, Deri a déclaré que « nous continuerons la grande révolution. Nous continuerons à représenter les catégories de la société les plus pauvres ; nous continuerons à représenter le monde de la Torah ; nous continuerons à protéger l’identité juive du pays par tous les moyens possibles ».
« Et si on nous ferme la porte au nez, alors nous entrerons par la fenêtre », a-t-il juré avec une ferveur toute révolutionnaire. « Si on ferme la fenêtre, alors nous entrerons par le plafond avec l’aide de Dieu ».
Avec les encouragements de Netanyahu, les dirigeants ultra-orthodoxes du Shas, la faction séfarade, et de Yahadout HaTorah, son pendant ashkénaze, se sont en effet lancés dans une révolution. Je ne parle pas ici de la refonte catastrophique du système judiciaire qui est programmée mais d’une révolution éducative, sociale et économique qui aura des conséquences dévastatrices pour une grande partie d’électorat haredi et pour Israël.
Les accords qui ont été conclus, le mois dernier, entre le Shas, Yahadout HaTorah et le Likud ne feront qu’accélérer les dégâts. S’ils sont mis en œuvre, ils ne feront qu’approfondir la crise de l’éducation et de l’emploi que connaît la communauté haredi, condamnant la majorité de cette population – c’est celle qui se développe le plus vite en Israël – à encore davantage de pauvreté, ce qui viendra finalement menacer la viabilité même de l’État d’Israël.
Abusant leur électorat
Dans leurs accords de coalition, le Shas et Yahadout HaTorah ont négocié des financements qui ont été largement accrus en direction du système scolaire ultra-orthodoxe, un système qui n’est pas supervisé par l’État. Non seulement les fonds versés à ces écoles et leur fonctionnement ne sont pas contrôlés de manière effective – avec un potentiel conséquent en matière d’abus financiers – mais cet argent supplémentaire sera alloué sans exigence préalable d’enseigner les matières du tronc commun comme les maths, les sciences et l’anglais.
De la même façon, les partis ont obtenu des financements à la hausse en faveur des étudiants à plein temps dans les yeshivot, fréquentées par les haredim, et ils ont obtenu la promesse d’élargir encore les exemptions accordées à ce secteur de la population en ce qui concerne l’obligation, pour tous les jeunes Israéliens, de faire leur service militaire ou autres service national.
Si on les combine, ces priorités – qui ont été présentées par Deri et par le leader de Yahadout HaTorah, Yitzhak Goldknopf, comme autant d’avancées significatives – signifient qu’une plus grande partie encore des électeurs issus de la population ultra-orthodoxe n’aura plus droit à l’enseignement de base qui est nécessaire pour intégrer de manière complète et efficace le marché de l’emploi et pour répondre aux besoins d’un foyer. Ces mesures pourraient même avoir un effet dissuasif pour ceux qui auraient pu être tentés de le faire.
A la place (et c’est très précisément là la stratégie du Shas et de Yahadout HaTorah), un grand nombre deviendra plus dépendant encore des allocations financées par l’État et tributaire des leaders politiques de la communauté, qui utiliseront l’influence qu’ils ont dans la coalition pour conserver l’afflux de ces fonds. Il faut néanmoins souligner que le Shas a une conception plus clairement sioniste que Yahadout HaTorah et que ses électeurs sont beaucoup plus susceptibles de faire leur service militaire ou de rejoindre le marché de l’emploi.
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Personne ne reconnaît mieux les dangers entraînés pour l’économie israélienne par des pans entiers de la population recevant une éducation médiocre et non-incités à travailler que Netanyahu. Le mois dernier seulement, dans des propos hallucinants au regard des accords ultérieurement conclus avec les factions ultra-orthodoxes, Netanyahu a expliqué très précisément au cours d’un entretien en anglais comment, lorsqu’il était ministre des Finances il y a de cela deux décennies, il avait entrepris des réformes radicales du système d’allocations sociales qui, avait-il ajouté, avait fait l’objet d’importants abus de la part d’une grande partie des communautés arabes et ultra-orthodoxes.
« De manière à mettre cet ‘homme obèse’ – je parle du secteur public – au régime, il a fallu que je réduise le système généreux de versement d’allocations familiales qui encourageait à vivre au chômage et à ne pas aller travailler », a raconté le Premier ministre. Et au risque de devenir impopulaire, a-t-il ajouté, « j’ai réduit les allocations familiales qui, en Israël, étaient extraordinaires – elles augmentaient à chaque enfant, ce qui nous entraînait vers l’effondrement démographique et économique. Et la même chose est arrivée dans d’autres secteurs, la communauté ultra-orthodoxe, etc… Ils ne travaillaient pas. Ils avaient beaucoup d’enfants et c’est le secteur privé qui payait la facture ».
A peine trois semaines après cette interview et une semaine seulement après avoir écrit un tweet sur le sujet, le Likud de Netanyahu a donc signé ses accords de coalition avec les formations haredim, qui prévoit le retour aux mêmes pratiques contre-productives auxquelles il s’était attaqué il y a vingt ans.
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Préjudice national
Non seulement se trouver réduit à suivre une éducation inférieure, être exclu du service national, n’avoir que de maigres perspectives d’emploi rendant rédhibitoire toute perspective de travail est excessivement dommageable pour la majorité des ultra-orthodoxes, mais c’est également fortement nuisible pour le reste d’Israël.
Quand votre secteur démographique, celui qui se développe le plus vite, n’a droit qu’à une éducation médiocre, alors votre pays va graduellement et inévitablement passer d’un statut de pays avancé à un pays inférieur à la normale (si elle constitue actuellement environ 12,6 % de la population, la communauté haredi devrait se développer deux fois plus vite que la population dans son ensemble. Dans les faits, selon Dan Ben-David, de l’Institution de recherche socioéconomique Shoresh, 23,7 % des Israéliens âgés de 0 à 4 ans sont ultra-orthodoxes).
Tandis qu’une large partie de cette communauté ne partage pas l’obligation du service national, elle se trouve dans l’incapacité de s’intégrer de manière saine auprès des autres Israéliens, ce qui nourrit le ressentiment de ceux qui, de l’autre côté, portent le fardeau des responsabilités. Quand les autres Israéliens doivent aussi payer de leurs poches des allocations qui coûtent de plus en plus cher (20 % de la main-d’œuvre paie déjà 92 % de l’impôt sur le revenu alors que 50 % de la population, au bas de la pyramide, est trop pauvre pour payer un impôt, ajoute Ben-David), le ressentiment et le sentiment d’injustice ne peuvent que se renforcer avec des conséquences potentiellement drastiques. Parmi ces répercussions possibles, une fuite des cerveaux croissante, un élargissement de la désunion nationale, une incapacité à maintenir une économie forte (ce stade n’est pas si éloigné que cela) et finalement, par extension, une capacité réduite à assurer la défense d’Israël.
Le taux de natalité élevé, l’éducation médiocre, l’exemption à grande échelle du service militaire et une participation relativement basse dans la main-d’œuvre ne sont pas une tendance nouvelle au sein de la communauté haredi et leurs implications entraînent des inquiétudes qui, là aussi, ne sont pas une nouveauté. Mais l’ordre du jour déclaré de la coalition exacerbera davantage ces problématiques qu’il ne les règlera.
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Les juges de la Haute cour ont fait savoir que Deri ne pourrait pas prendre la tête d’un ministère en raison de sa délinquance récidiviste et pour avoir trompé une cour des magistrats de Jérusalem en affirmant, alors qu’il négociait une peine avec sursis dans le cadre de sa condamnation pour fraude fiscale, l’année dernière, qu’il ne s’occuperait plus « des intérêts publics économiques dans la mesure où j’aurai quitté la sphère publique. »
En fait, au détriment terrible des propres électeurs de Deri et de l’État plus largement, la « grande révolution » du leader du Shas continuera -, ceci dans l’objectif de contourner le tribunal et de le diriger depuis le fastueux bureau d’un ministère.
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