La Haute Cour dit au gouvernement que non, la majorité n’est pas toute puissante
Ce qu'il faut retenir du jugement historique sur la loi sur la "raisonnabilité" est la réaffirmation, par 13 juges contre 12, des limites imposées à une coalition au pouvoir
Le jugement qui a été rendu, lundi soir, par la Haute Cour de justice lorsqu’elle a invalidé la législation consacrée à la limitation de recours à la notion juridique de « raisonnabilité » entrera dans l’Histoire non pas parce qu’il a abrogé ce texte problématique – une décision qui reste forte – mais parce qu’il a réaffirmé, à une majorité écrasante, l’inviolabilité de la démocratie israélienne.
Après l’épreuve de force, sans précédent depuis la fondation du pays, qui a opposé le gouvernement et le système judiciaire israélien, les juges de la Cour ont déclaré clairement que la Knesset n’était pas toute puissante ; que les députés comme le gouvernement devaient être soumis à des contraintes provenant de l’extérieur et que des majorités politiques étroites ne pouvaient pas venir menacer les droits des individus et des minorités.
Et non seulement la Haute Cour l’a rappelé de manière claire, vigoureuse, mais elle l’a fait malgré les convictions idéologiques très variées des juges qui y siègent – alors que les magistrats, des plus libéraux aux plus conservateurs, ont insisté sur le fait que les passions populaires qui se reflètent dans des coalitions au pouvoir volatiles et instables doivent rester soumises au réexamen judiciaire, même lorsqu’elles traitent de la configuration de la nature constitutionnelle de l’État juif.
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C’est la première fois que la Haute Cour invalide une section, quelle qu’elle soit, d’une Loi fondamentale, quasi-constitutionnelle en Israël – et elle l’a fait en dépit de l’affirmation dite et répétée par le gouvernement, qui a estimé qu’elle n’avait pas l’autorité nécessaire pour intervenir dans les arrangements constitutionnels du pays.
Si on l’observe superficiellement, la décision prise lundi semble être une victoire somme toute limitée remportée dans un tribunal qui est profondément divisé – seuls sept juges libéraux ont voté en faveur de l’invalidation du texte consacré à la notion juridique de « raisonnabilité » qui avait été adopté au mois de juillet, et sept magistrats conservateurs se sont exprimés contre cette abrogation.
Dans la mesure où deux des huit juges figurant dans cette étroite majorité ont d’ores et déjà pris leur retraite – Esther Hayut et Anat Baron, qui ont émis leur décision dans le cadre d’une disposition inscrite dans la loi qui les appellent à se prononcer dans les dossiers qu’ils ont traité pendant une période de trois mois à la suite de leur départ – il apparaît qu’au jour même de l’énoncé de ce verdict, ce dernier n’aurait pas été celui qui aurait été rendu par la Cour telle qu’elle se présente sous sa forme actuelle.
Mais cette réalité dissimule la nature plus fondamentale encore de ce jugement – au cours duquel treize magistrats sur quinze ont écrit que contrairement à ce qu’affirment le gouvernement et ses membres les plus radicaux, le tribunal dispose de toute l’autorité nécessaire s’agissant d’abroger des Lois fondamentales israéliennes dans certaines circonstances, dans des circonstances limitées.
Et ce parce que cinq des sept juges appartenant à la minorité défavorable au rejet de la loi sur la « raisonnabilité » ont toutefois indiqué qu’ils pensaient que la capacité de la Knesset à formuler et à amender des Lois fondamentales n’était pas, par ailleurs, un chèque en blanc l’autorisant à changer, à annuler, voire à déformer ces arrangements constitutionnels à sa guise.
Douze juges ont soutenu, d’une certaine manière, le principe énoncé par l’ancienne présidente de la Cour suprême, Hayut, qui estimait que le Parlement, aussi puissant soit-il, n’était pas en droit – en adoptant ou en amendant une Loi fondamentale – d’altérer le caractère fondamentalement Juif et démocratique de l’État d’Israël.
Le juge Yosef Elron a écrit que la Knesset n’avait pas le droit de porter atteinte aux droits individuels, fondamentaux, essentiels pour le maintien de l’essence démocratique de l’État juif.
Et ainsi, même en l’absence de Hayut et de Baron, il restera encore une majorité de magistrats (onze contre deux) au sein de la plus haute instance judiciaire d’Israël qui sera favorable à la limitation du pouvoir de la Knesset concernant tout changement décidé dans la nature de la démocratie israélienne.
Dans le cadre de cette lutte titanesque opposant le gouvernement au système judiciaire sur ces problématiques précises – un combat qui a secoué le pays au cours des neuf premiers mois de l’année 2023 – ce verdict représente une victoire énorme pour ceux qui affirmaient que le plan de refonte radicale du système de la justice qui était avancé par le gouvernement était une initiative dangereuse qu’il fallait freiner.
De nombreux spécialistes avaient avertie que la série initiale de réformes envisagées dans ce plan, qui avait été dévoilé il y a un – quelques jours seulement après l’arrivée au pouvoir de la coalition de Netanyahu – représentait une attaque féroce contre le système judiciaire du pays, un projet dont l’adoption aurait entraîné des dégâts mortels pour les fondements démocratiques et libéraux qui soutiennent la démocratie au sein de l’État juif.
Des législations accordant le contrôle total des nominations des juges de tout le pays au gouvernement et visant à restreindre de manière drastique les capacités des juges à réexaminer les lois adoptées par la Knesset, étaient sur le point d’être approuvées et elles n’avaient été déjouées que par l’agitations qui a ébranlé la société civile et par les mouvements de protestation de grande ampleur qui s’étaient dressés en opposition au gouvernement.
Même l’artisan de la réforme, le ministre de la Justice Yariv Levin, avait reconnu, à une occasion, que le projet de loi sur les nominations judiciaires aurait détruit le principe de séparation des pouvoirs.
Ce qu’implique le jugement rendu lundi, ce dont il témoigne, c’est que la démocratie israélienne ne dépend pas seulement de la motivation des citoyens concernés ou des caprices d’une majorité au pouvoir – et qu’il y a un filet de sécurité, sous la forme d’une Haute-cour qui ne laissera pas le gouvernement et les députés piétiner facilement les principes démocratiques de base du pays.
Sur la question de la limitation de l’utilisation de la notion juridique de « raisonnabilité » en elle-même, la majorité de huit à sept est évidemment moins nette – en particulier au vu de la retraite prise par Hayut et par Baron.
Et en effet, si le gouvernement devait relégiférer le même texte demain, une majorité s’exprimerait en sa faveur – une réalité qui pourrait, à l’avenir, ternir la légitimité de l’invalidation de cet amendement à la Loi fondamentale.
Il y a d’autres options, ont rappelé trois des juges conservateurs : renvoyer la législation pour modérer son abolition totale de la notion juridique de « raisonnabilité » ou permettre la présentation d’une interprétation plus étroite de la loi qui limiterait sa portée.
Et pourtant, même dans ce cas de figure, les juges auraient confirmé exactement de la même façon que la Haute Cour jouit de toute l’autorité nécessaire pour réexaminer les Lois fondamentales – une confirmation qui aurait peut-être été moins spectaculaire mais qui aurait par ailleurs peut-être réuni une majorité plus importante en faveur de la limitation des répercussions de la législation sur la « raisonnabilité. »
Quoi qu’il en soit, la décision prise par la Haute Cour a donné un signal clair au gouvernement actuel et pour la postérité : celui que les juges ne garderont pas le silence lorsqu’une majorité politique étroite cherchera à refaçonner la nature fondamentale des valeurs démocratiques israéliennes, comme d’autres tribunaux, dans d’autres pays, l’ont également fait au cours des dernières années.
D’Esther Hayut et de son remplaçant temporaire Uzi Vogelman aux magistrats conservateurs Alex Stein et Yael Wilner, la Haute cour s’est dressée face au gouvernement dans le contexte de la pire crise constitutionnelle connue par le pays depuis sa fondation pour lui dire avec clarté : « Il y a une limite au pouvoir de la majorité ».
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