La Haute Cour ordonne à l’État de démontrer que l’aide fournie à Gaza est suffisante
Suite aux demandes d'ordonnances provisoires dans les recours alléguant qu'Israël n'en fait pas assez, la Cour donne à l'État 10 jours pour répondre
Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.
La Haute Cour de justice a rendu des ordonnances provisoires à l’encontre de l’État concernant la fourniture d’aide humanitaire à Gaza. Il incombe donc au gouvernement de prouver qu’il fournit suffisamment d’aide humanitaire à la population palestinienne dans ce territoire en proie à la guerre contre le groupe terroriste palestinien du Hamas pour satisfaire à ses obligations légales.
L’État dispose de dix jours pour répondre, après quoi la Cour devrait tenir une autre audience avant de rendre une décision finale.
À l’issue d’une audience de trois heures qui s’est tenue lundi, la Haute Cour a rendu une ordonnance provisoire enjoignant à l’État d’expliquer pourquoi il ne devrait pas autoriser l’accès sans entrave de l’aide humanitaire, du matériel et du personnel dans la bande de Gaza, compte tenu de la gravité de la situation humanitaire dans l’enclave, dans le cadre de la guerre en cours déclenchée par l’assaut barbare et sadique du Hamas sur le sud d’Israël le 7 octobre.
La Cour a également accédé à la deuxième requête, qui demandait une ordonnance provisoire enjoignant à l’État d’expliquer pourquoi il ne devrait pas être considéré comme une « puissance occupante » à Gaza et donc être responsable de la fourniture de l’aide humanitaire essentielle à la population locale.
Les ordonnances suggèrent que la Cour prend au sérieux les préoccupations soulevées par les organisations requérantes et que l’État devra fournir plus d’informations qu’il ne l’a fait jusqu’à présent pour contrer les allégations selon lesquelles il continue d’entraver dans une certaine mesure la fourniture de l’aide humanitaire à Gaza.
Dans sa décision, la Cour a toutefois précisé qu’elle rendait l’ordonnance « sans prendre position et afin de permettre à la Cour d’obtenir une base factuelle complète et exhaustive ».
Les audiences et les réponses écrites des deux parties ont été marquées par les divergences entre le tableau désastreux des conditions humanitaires à Gaza dépeint par les requérants et les affirmations de l’État en réponse, selon lesquelles la situation humanitaire, bien que mauvaise, n’est pas catastrophique.
L’ordonnance concernant la question de savoir si Israël occupe légalement la bande de Gaza était également remarquable, car une décision finale déterminant que ce serait le cas aurait un impact juridique significatif, les obligations d’une puissance occupante envers une population locale étant considérablement plus importantes que celles requises en vertu des lois sur les conflits armés, qui, selon l’État, constituent le cadre juridique pertinent pour ses opérations à Gaza à l’heure actuelle.
Malgré l’ordonnance concernant la fourniture d’aide humanitaire, les juges de la Haute Cour ont souligné à de multiples reprises aux requérants que l’État et ses appendices étaient mieux placés pour connaître la véritable situation humanitaire à Gaza, étant donné leur accès direct aux sources locales et la coordination permanente avec les agences de l’ONU et les groupes d’aide internationale.
Les requérants soutiennent néanmoins que l’État n’a pas fourni un compte-rendu complet et fiable de la situation humanitaire à Gaza, soulignant les témoignages du personnel soignant travaillant dans l’enclave qui contredisent le compte-rendu de l’État sur l’état des services médicaux dans l’enclave.
Les procédures engagées contre Israël devant la Cour internationale de justice (CIJ) et la Cour pénale internationale (CPI) portent sur l’acheminement de l’aide humanitaire à la population de Gaza. La CIJ craint que les conditions dans l’enclave ne violent l’interdiction, prévue par la la Convention des Nations unies sur le génocide – émise après l’extermination de 6 millions de Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale -, de créer des conditions d’existence visant à détruire la vie civile, et la CPI accuse Israël d’utiliser la famine comme une arme de guerre.
Les recours déposés devant la Haute Cour ont donc pris une signification profonde dans les tentatives de l’État de montrer qu’Israël respecte ses obligations légales et ne commet pas les crimes dont il a été accusé devant les deux tribunaux de La Haye.
Me Osnat Lipshitz-Cohen, qui représente l’organisation de défense des droits de l’Homme Gisha, principal requérant, a reconnu au début de l’audience que son organisation n’était pas en mesure de fournir une « base factuelle solide » sur la situation à Gaza en raison du « chaos » et de la situation dynamique qui règne dans l’enclave.
« Nous comprenons que vous ne disposiez pas d’informations directes. C’est aussi un problème dans une certaine mesure », a répondu Uzi Vogelman, président en exercice de la Cour suprême.
En discutant de la situation concernant l’accès aux traitements et aux services médicaux qui, selon Lipshitz-Cohen, s’est aggravée, elle a noté que l’État, dans ses arguments, avait précédemment mis en doute les affirmations de Gisha lorsqu’il avait cité des directeurs d’hôpitaux à Gaza et allégué qu’ils étaient compromis par leurs liens avec l’autorité gouvernante du Hamas.
Aujourd’hui, a noté Me Lipshitz-Cohen, l’État lui-même affirme que la situation médicale s’améliore sur la base de liens avec les directeurs d’hôpitaux de Gaza.
« L’État dispose des outils nécessaires pour savoir si le Hamas est à l’origine de la publication [d’informations]. L’État peut le savoir mieux que vous », lui a répondu le juge Noam Sohlberg.
Me Lipshitz-Cohen a reconnu que la situation dans le nord de la bande de Gaza, où les organisations internationales ont déclaré que la situation humanitaire était la plus grave, s’était améliorée.
« Depuis lors, nous avons constaté une certaine amélioration de la situation dans le nord de Gaza, nous avons assisté à la réouverture de la canalisation d’eau, au transfert de carburant pour le pompage [des puits] et les usines de dessalement, et à l’ouverture des points de passage pour l’aide humanitaire et la nourriture », ce qui, a-t-elle reconnu, a conduit à « une certaine amélioration en ce qui concerne la nourriture et l’eau ».
Elle a toutefois affirmé que les problèmes liés aux eaux usées et à l’accès aux soins médicaux s’étaient aggravés.
Me Lipshitz-Cohen a également affirmé que la distribution de l’aide à l’intérieur de la bande de Gaza, une fois qu’elle a été transférée par les postes-frontières, posait toujours de sérieux problèmes.
Elle a fait référence à une mise à jour effectuée dimanche par le Coordinateur des activités gouvernementales dans les Territoires palestiniens (COGAT), dans laquelle il est indiqué qu’un nombre important de demandes d’organisations humanitaires pour collecter et distribuer de l’aide – jusqu’à 50 % dans certains cas – avaient été rejetées la veille.
Le chef du COGAT, le général Ghassan Alian, qui s’est longuement adressé à la Cour, a toutefois déclaré qu’un total de quelque 8 000 demandes de distribution avaient été approuvées par le COGAT au cours de la guerre, avec un taux d’approbation de 88 %.
La question de la distribution est devenue critique, les agences de l’ONU et les organisations humanitaires affirmant que l’afflux massif d’aide à travers les postes frontaliers de Gaza n’a pas permis d’atténuer la crise humanitaire en raison de l’absence de points de distribution suffisants, qu’Israël n’a pas fournis selon elles.
Le COGAT insiste cependant depuis longtemps sur le fait que ce sont les Nations unies et les agences d’aide qui n’ont pas réussi à augmenter la capacité de distribution.
La semaine dernière, l’organisation caritative américaine World Central Kitchen (WCK) a déclaré qu’elle était en communication permanente avec le COGAT et qu’elle avait réussi à approvisionner ses nombreuses cantines à Gaza avec de l’aide acheminée par les points de passage et qu’elle était parvenue à livrer à ses centres d’opération.
« Nous avons ouvert de nouveaux points de passage pour les marchandises, nous avons augmenté la main-d’œuvre [travaillant aux postes frontaliers], acheté plus d’équipements d’inspection [pour augmenter la capacité d’approvisionnement] et augmenté les heures d’ouverture », a déclaré Alian au tribunal.
« Alors que nous avons travaillé à l’amélioration de nos capacités, les organisations internationales sont toujours en train d’adapter leurs processus logistiques et organisationnels. »
« C’est ainsi qu’un fossé s’est creusé entre notre capacité à inspecter l’aide et leur capacité à la distribuer », a-t-il ajouté, notant que seuls 26 camions de distribution d’aide supplémentaires sont entrés à Gaza depuis le début de la guerre, malgré les offres du COGAT de faciliter de telles importations.
« Ces lacunes représentent un obstacle important à la distribution de l’aide à ceux qui en ont besoin », a ajouté Alian.
Il a indiqué que dimanche, 144 camions d’aide humanitaire ont été récupérés au poste-frontière de Kerem Shalom, à l’extrémité sud de la bande de Gaza.
Alian a indiqué que neuf hôpitaux réguliers fonctionnaient actuellement à Gaza, ainsi que onze hôpitaux de campagne dont le COGAT a facilité la mise en place.
Interrogé sur le taux d’occupation des lits dans les hôpitaux, Alian a donné un chiffre de 70 %, que Vogelman a immédiatement remis en question, notant que les agences d’aide affirmaient que ce chiffre était bien plus élevé.
Me Lipshitz-Cohen a également relevé cette divergence, déclarant « qu’il y a un grand fossé dans le tableau dressé par les deux parties, qui ne fait que se creuser ».