La Knesset interdit à l’UNRWA d’opérer en Israël et limite son action à Gaza et en Cisjordanie
Malgré la pression mondiale, les députés soutiennent massivement la législation contre l'agence controversée des Nations unies pour les réfugiés palestiniens en raison des liens de son personnel avec le terrorisme
Malgré l’opposition internationale généralisée, les législateurs ont voté à une écrasante majorité, lundi soir, deux projets de loi interdisant essentiellement à l’UNRWA, l’agence controversée des Nations unies pour les réfugiés palestiniens et leurs descendants d’opérer en Israël et limitant fortement ses activités à Gaza et en Cisjordanie.
Lors de la séance plénière qui a donné le coup d’envoi à la session législative d’hiver de la Knesset, les députés ont approuvé par 92 voix contre 10 une loi interdisant à l’UNRWA d’opérer sur le territoire israélien, et par 87 voix contre 9 une autre mesure limitant les activités de l’UNRWA dans la bande de Gaza et en Cisjordanie en interdisant aux autorités de l’État d’avoir le moindre contact avec l’agence.
Les deux lois prendront effet 90 jours après leur adoption, selon la Knesset.
Sans coordination avec Israël, il sera presque impossible pour l’UNRWA de travailler à Gaza ou en Cisjordanie, puisque Jérusalem ne délivrera plus de permis d’entrée dans ces territoires et n’autorisera plus la coordination avec les forces israéliennes. Israël contrôle également actuellement l’accès à Gaza depuis l’Égypte, les troupes israéliennes étant déployées le long de la frontière entre les deux pays.
L’UNRWA est censée fournir des services éducatifs, des soins de santé et une aide à des millions de Palestiniens à Gaza, en Cisjordanie, en Jordanie, au Liban et en Syrie.
Réagissant à ce vote « sans précédent », l’UNRWA a averti que la législation « créait un dangereux précédent », violait la charte des Nations unies « et les obligations de l’État d’Israël à l’égard du droit international ».
« Ces projets de loi ne feront qu’aggraver les souffrances des Palestiniens, en particulier à Gaza, où les habitants vivent un véritable enfer depuis plus d’un an, et ne sont rien d’autre qu’une punition collective », a déclaré l’agence dans un communiqué.
Si cette interdiction est mise en œuvre, « c’est un désastre, notamment en raison de l’impact qu’elle aura probablement sur les opérations humanitaires à Gaza et dans plusieurs parties de la Cisjordanie », a déclaré à l’AFP la porte-parole de l’agence, Juliette Touma.
« Il est scandaleux qu’un État membre des Nations unies s’efforce de démanteler une agence de l’ONU qui se trouve être le principal acteur de l’opération humanitaire à Gaza », a-t-elle ajouté.
Selon le site d’information Ynet, le ministère des Affaires étrangères avait mis en garde contre les dangers de l’adoption de la loi sur l’UNRWA, déclarant qu’Israël pourrait être accusé de violer la charte des Nations unies et d’en être expulsé.
Avant le vote, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a prévenu que l’adoption des projets de loi serait une « catastrophe », tandis que le vice-président de la Commission européenne, Josep Borrell, a déclaré qu’ils « auraient des conséquences désastreuses ».
Avant même le vote, les Etats-Unis s’étaient déclarés « très préoccupés » et « avaient exhorté le gouvernement à ne pas approuver » ce texte, selon le porte-parole du département d’Etat, Matthew Miller, qui a réitéré le rôle humanitaire « crucial » de l’UNWRA à Gaza. Il avait également déclaré aux journalistes que l’aide humanitaire ne parvenait pas aux habitants de Jabalia, dans le nord de la bande de Gaza, où l’armée israélienne a intensifié sa campagne, et que Washington n’accepterait pas cette situation.
Un porte-parole du département d’État a déclaré au Times of Israel que les États-Unis étaient « profondément troublés » par la législation, et que celle-ci pourrait obliger l’agence de secours des Nations unies pour les réfugiés palestiniens à interrompre toutes ses opérations à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.
Le secrétaire d’État américain Antony Blinken et le secrétaire à la défense Lloyd Austin ont également exprimé leur inquiétude à l’égard de ces projets de loi, déclarant que « l’adoption de telles restrictions aurait un effet dévastateur sur la réponse humanitaire à Gaza » ainsi que sur la fourniture de services « vitaux » à Jérusalem-Est.
Le chef de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, a dénoncé une décision jugée « intolérable » qui aura des « conséquences dévastatrices ». « Elle contrevient aux obligations et aux responsabilités d’Israël », a-t-il ajouté, en estimant que « l’UNRWA est une bouée de sauvetage irremplaçable pour le peuple palestinien ».
Le Conseil de sécurité de l’ONU, y compris les Etats-Unis, allié historique d’Israël, avait mis en garde le gouvernement contre cette loi.
Le Premier ministre britannique Keir Starmer s’est dit « gravement préoccupé », tandis que l’Allemagne a « vivement critiqué » cette décision.
Le ministre britannique des Affaires étrangères, David Lammy, a exprimé le « profond regret » de Londres concernant la législation, déclarant que « les allégations contre le personnel de l’UNRWA au début de cette année ont fait l’objet d’une enquête approfondie et ne justifient en rien la rupture des liens avec l’UNRWA ».
Lammy a ajouté que l’interdiction de l’organisation ne servirait pas les intérêts d’Israël.
« La mise en œuvre de ces lois aurait des conséquences très graves sur la situation humanitaire à Gaza, déjà catastrophique, mais également dans l’ensemble des territoires palestiniens occupés », a estimé mardi le Quai d’Orsay, qui « réaffirme son soutien à l’UNRWA » et sa volonté de continuer « de veiller à ce que soient mises en oeuvre les réformes nécessaires à la neutralité de son action ».
L’Irlande, la Norvège, la Slovénie et l’Espagne, quatre pays ayant reconnu l’Etat de Palestine, ont « condamné » dans un communiqué commun ce texte en jugeant « essentiel et irremplaçable » le travail de l’UNRWA.
La Jordanie a elle dénoncé mardi une tentative d’ « assassinat politique » de l’UNRWA.
« L’adoption de ces lois fait partie d’une campagne systématique contre l’agence et constitue une poursuite des efforts acharnés d’Israël pour l’assassiner politiquement, tout en intensifiant sa guerre agressive contre le peuple palestinien », a assuré le porte-parole du ministère jordanien des Affaires étrangères. « Ces mesures et pratiques israéliennes sont illégales et invalides », a-t-il ajouté.
Réagissant à l’indignation générale, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a toutefois affirmé qu’Israël était « prêt » à « travailler avec (ses) partenaires internationaux » pour continuer à « faciliter l’aide humanitaire à Gaza d’une façon qui ne menace pas (sa) sécurité ».
« Les employés de l’UNRWA impliqués dans des activités terroristes contre Israël doivent répondre de leurs actes. Comme il est également essentiel d’éviter une crise humanitaire, une aide humanitaire soutenue doit rester disponible à Gaza aujourd’hui et à l’avenir », a déclaré le cabinet du Premier ministre dans un communiqué publié en anglais.
« Dans les 90 jours précédant l’entrée en vigueur de cette législation – et après – nous sommes prêts à travailler avec nos partenaires internationaux pour veiller à ce qu’Israël continue à faciliter l’aide humanitaire aux civils de Gaza d’une manière qui ne menace pas la sécurité d’Israël », a précisé le bureau de Netanyahu.
Alors qu’Israël s’est efforcé de limiter progressivement le rôle de l’UNRWA dans l’acheminement de l’aide humanitaire, au profit du Programme alimentaire mondial, de l’UNICEF et d’autres agences, l’UNRWA est toujours fortement impliquée dans les opérations humanitaires de la bande de Gaza, gère des abris, des cliniques et des entrepôts.
Un responsable israélien a déclaré au Times of Israel que l’establishment de la sécurité et le personnel professionnel ont mis en garde les dirigeants politiques contre l’adoption de la législation en pleine guerre contre le Hamas à Gaza, sans qu’une solution de remplacement viable ne soit mise en place.
Bien que certains dirigeants politiques israéliens aient reconnu le risque humanitaire et la réaction internationale qui en résulterait, « le coût politique de l’opposition à la législation est devenu trop important pour être supporté », a déclaré le fonctionnaire, expliquant que les forces israéliennes elles-mêmes ont passé des mois à élaborer une campagne qui lie l’UNRWA au Hamas.
L’approbation par la Knesset de ces deux projets de loi en deuxième et troisième lectures (finales) est intervenue quelques jours seulement après que l’UNRWA a confirmé qu’un commandant du Hamas de l’unité de la Nukbha, tué lors d’une frappe israélienne et qui a coordonné l’assassinat et l’enlèvement d’Israéliens dans un abri antiatomique en bord de route près du kibboutz Reïm le 7 octobre de l’année dernière, avait été employé par l’agence depuis juillet 2022.
Israël affirme que plus de 10 % du personnel de l’UNRWA à Gaza a des liens avec des factions terroristes et que les établissements d’enseignement sous les auspices de l’organisation incitent systématiquement à la haine d’Israël et glorifient le terrorisme.
En février, l’armée avait révélé l’existence d’un centre de données souterrain du Hamas situé directement sous le siège de l’UNRWA dans la bande de Gaza. Les forces israéliennes ont également pris pour cible à plusieurs reprises les centres de commandement du Hamas et les hommes armés qui se cachent dans les écoles de l’UNRWA.
Les législateurs israéliens ont célébré l’adoption de la loi lundi soir. Le député du Likud Boaz Bismuth, auteur du projet de loi interdisant à l’UNRWA d’opérer en Israël, a tweeté : « Terroristes de l’UNRWA, votre histoire se termine ici : les ennemis n’ont pas le droit d’exister dans l’État d’Israël ».
« L’UNRWA n’opérera pas sur le territoire de l’État d’Israël, ses avantages seront annulés, son entrée en Israël sera interdite, les liens seront totalement rompus », s’est exclamée la députée de l’opposition Yisrael Beytenu, Yulia Malinovsky, auteure de la seconde proposition de loi.
« C’est fini, c’est fini. L’UNRWA est éliminé », a acclamé le député du Likud Yuli Edelstein, président de la puissante commission des Affaires étrangères et de la Défense de la Knesset, qualifiant l’adoption des projets de loi de « mesure historique et significative pour la sécurité du pays » contre les terroristes opérant « sous les auspices des Nations unies. »
« L’Etat d’Israël a le droit et le devoir, en tant qu’Etat souverain engagé dans sa survie, de lutter contre les menaces y compris celles qui existent en son cœur », ajouté Edelstein.
« L’UNRWA a employé des terroristes qui ont participé au massacre du 7 octobre et éduque les jeunes Palestiniens au terrorisme et à la haine d’Israël », a renchéri le ministre de l’Energie, Eli Cohen.
« Les terroristes et ceux qui les soutiennent n’ont pas leur place dans l’État d’Israël », a déclaré le ministre du Logement, Yitzhak Goldknopf.
« Je félicite et remercie les membres de la Knesset, toutes tendances politiques confondues, d’avoir adopté les lois qui, ce soir, mettent fin à l’ignominie de la coopération avec l’UNRWA », a déclaré le ministre de la Sécurité nationale d’extrême droite, Itamar Ben Gvir. « Quiconque porte atteinte à la sécurité de l’État d’Israël, l’État d’Israël lui portera atteinte », a-t-il ajouté.
Le parti centriste HaMahane HaMamlahti du député Benny Gantz a également soutenu la législation et a critiqué Netanyahu pour avoir manqué les votes contre ce qu’il a décrit comme « une organisation qui faisait partie de l’appareil du Hamas et dont les employés ont participé au massacre du 7 octobre ».
Lors d’un débat en séance plénière de la Knesset avant les votes, les législateurs arabes se sont insurgés contre les lois, la députée radicale Aida Touma-Sliman (Hadash-Taal) affirmant qu’Israël se livrait à un « génocide » à Gaza. « Aucun Palestinien ne veut être un réfugié », a-t-elle crié, ajoutant que « la majorité des habitants de Gaza sont désormais des réfugiés ».
La députée controversée Tally Gotliv (Likud) a dû être physiquement retenue par les huissiers de la Knesset après s’être approchée du podium lors d’un discours du député radical Ahmad Tibi (Hadash-Taal), dans lequel il s’est insurgé contre ce qu’il a qualifié de législation « fasciste ».
« Le peuple palestinien sera libéré de l’occupation », a crié Tibi, alors que les députés de droite lui demandaient de quitter la Knesset.
Bien avant le massacre perpétré par le Hamas dans le sud d’Israël le 7 octobre 2023, Israël s’était montré extrêmement critique à l’égard de l’UNRWA, affirmant que son caractère quasi unique au monde – l’octroi du statut de réfugié non seulement à la première génération de réfugiés mais aussi à tous leurs descendants – perpétuait le conflit et une culture de dépendance chez les Palestiniens.
Dans le même temps, certains politiciens et responsables israéliens ont vu dans l’aide apportée par l’agence un moyen de préserver la bande de Gaza et certaines parties de la Cisjordanie d’une pauvreté encore plus grande et donc d’une violence et d’un terrorisme accrus.
L’AFP a contribué à cet article.